(BFI) – En sa qualité de président d’Afreximbank, le Pr Benedict Oramah, joue un rôle de premier plan dans la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine et dirige la création et le déploiement de plateformes numériques innovantes visant à stimuler le commerce et les investissements intrarégionaux, en promouvant l’évolution des paiements transfrontaliers et l’amélioration de l’accès à des informations commerciales de qualité. Sous sa direction, Afreximbank soutient l’harmonisation des normes et le développement d’infrastructures de qualité à travers l’Afrique, dans le cadre d’une stratégie d’industrialisation et de développement des exportations. En tant que président du conseil d’administration du fonds de réponse covid-19 de l’Union africaine, le Pr Benedict Oramah aide à coordonner la mobilisation et l’utilisation des subventions à travers l’Afrique, ainsi que l’approvisionnement et la distribution de fournitures médicales entre les pays africains. Il dirige également d’autres initiatives continentales et du secteur privé afin d’améliorer les systèmes sanitaires et la croissance économique de l’Afrique.
Comment Afreximbank est-elle impliquée dans l’opérationnalisation de la zone de libre-échange continentale africaine ?
Afreximbank est un partenaire du secrétariat de la ZLECAF et de la Commission de l’Union africaine dans la mise en œuvre de l’accord de libre-échange continental africain. La particularité de la ZLECAF est que c’est le seul accord qui a une banque derrière lui. Afreximbank a été créée en 1993, mais les pères fondateurs avaient une vision pour doter l’Afrique d’un accord de libre-échange continental et un marché commun. Ils savaient que le succès d’un tel projet reposerait sur une institution financière qui fournirait le capital qui va propulser les entreprises. Il était donc important qu’Afreximbank devienne partenaire de la ZLECAF. Nous aidons à fournir tout ce dont la ZLECAF a besoin et que le secrétariat et l’Union africaine ne sont pas habilités à le faire. Nous avons lancé aujourd’hui un système panafricain de paiement et de règlement que nous avons entièrement développé en collaboration avec la banque centrale et autres institutions, en collaboration avec l’Union africaine et le secrétariat de la ZLECAF. Actuellement, il est opérationnel. Nous avons également lancé le projet pilote du système collaboratif africain de garantie du transit. Nous avons 16 pays enclavés sur le continent, les marchandises doivent donc traverser les frontières par route ou par voie ferrée. Il est nécessaire d’avoir des systèmes de garantie de transit fragmentés efficaces et c’est ce que nous avons assuré en travaillant avec le secrétariat de la ZLECAF ainsi que la Commission de l’Union africaine. Nous avons mis en place de solides bases financières pour soutenir les entreprises qui font du commerce. Ce ne sont là que quelques-unes des choses que nous avons faites. Il y a d’autres projets que nous réalisons dans le domaine de l’information commerciale, des garanties, du soutien à l’introduction d’une facilité d’ajustement qui seront nécessaires pour rendre l’accord commercial, efficace et permettre aux pays qui subiront des pertes de recettes tarifaires d’équiper les entreprises, afin d’améliorer leurs capacités de production. Les gouvernements, le secrétariat de la ZLECAF et la Commission de l’Union africaine travaillent sur la politique et la réglementation. Afreximbank se concentre sur le financement, tandis que les entreprises font du commerce.
Pouvez-vous nous donner en chiffres les niveaux d’importations et d’exportations de l’Afrique à ce jour ?
Environ 1 000 milliards de dollars au total, intra-régional 170 milliards de dollars, soit un total d’environ 17%. Nous travaillons pour faire passer ce chiffre à environ 24 à 30% à travers la ZLECAF. Bien que l’Afrique commerce à un niveau d’un milliard de dollars, voire 1,2 milliard de dollars, le commerce intra-régional reste peu satisfaisant. Le continent génère 150 à 170 milliards de dollars de commerce intra-régional, c’est ça qu’il faut changer.
Tout au long de votre parcours professionnel, vous avez milité pour le financement des entreprises africaines afin de renforcer les capacités de production et les volumes d’exportation. Comment cela a-t-il contribué au développement du commerce africain ?
Nous devons ajouter de la valeur à ce que nous exportons. Nous devons commercialiser des produits à valeur ajoutée. Si vous regardez l’évolution du commerce mondial au cours des 20 dernières années, la part des matières premières est passée d’environ 30 à 35% à moins de 15%. La part des produits de base de l’Afrique dans le commerce est en augmentation. Si vous dirigez votre propre entreprise dans une zone non-compétitive, vous devez abandonner. C’est du bon sens. Si nous exportons par exemple du pétrole brut aujourd’hui vers l’Asie ou ailleurs pour être raffiné, tenant compte des frais d’expédition, des frais d’assurance, des frais de la logistique et autres, l’économie ne sera jamais équilibrée. La seule chose que nous ne voyons pas, c’est que ces déséquilibres ne sont pas évidents, dans un sens, dynamique et c’est pourquoi dans la constitution en matières premières, l’Afrique est le seul continent qui souffre d’un choc. l’Afrique est toujours dans un déséquilibre perpétuel, donc lorsqu’une pandémie ainsi que les chocs sur les prix des matières premières se produisent, le déséquilibre se manifeste immédiatement. Nous penserons être en surplus alors que nous ne le sommes pas.
Comment cela peut-il être résolu ?
Nous devons simplement produire plus de produits à valeur ajoutée. Notre approche pour produire plus de produits à valeur ajoutée n’implique pas nécessairement que nous transformons les produits que nous avons sur le continent. Cela pourrait s’appliquer sur certains produits, mais pas forcément sur d’autres. L’Afrique dispose d’une offre abondante en main-d’œuvre. Ce qui manque, c’est le capital. Si la conversion de ce que nous avons en marchandise nécessitera plus de capital que de main-d’œuvre et que le coût du capital est très élevé, cette conversion ne sera pas efficace, car d’autres qui ont ce capital feront la conversion plus facilement. Avec une main-d’œuvre élevée, le marché sera plus compétitif. Cela montre aussi l’urgence de renforcer la production de marchandises à forte valeur ajoutée. Toute décision de se lancer dans la valeur ajoutée doit être prise de manière très critique. Les individus devraient l’examiner de manière très critique et découvrir ce qui fonctionne le mieux pour eux.
Quelles sont vos prévisions pour le commerce intra-africain pour la prochaine décennie ? Pouvez-vous nous donner un aperçu des secteurs économiques clés qui peuvent contribuer au développement et à l’industrialisation du continent à partir de votre expérience ?
Je ne me fierai pas à ce que montrent les statistiques. Je vais me fier à ce que je pense. Et ce serait le cas à cause du travail que nous réalisons. Nous avons lancé la ZLECAF, l’accord est opérationnel. Nous avons une équipe solide au secrétariat et l’Union africaine soutient tout ce qui concerne cet accord commercial. Il y a un enthousiasme parmi nos entreprises pour accompagner son développement. Les innovations que nous faisons pour stimuler le commerce produiront les résultats que nous attendons. Le système de paiement que nous mettons en place ramènera le commerce détourné hors du continent vers le continent. Les sociétés d’exportation que nous créons veilleront à formaliser une partie du commerce informel que nous voyons aujourd’hui en Afrique. La stratégie de financement qu’Afreximbank prévoit de mettre en place pour les cinq prochaines années consiste à débourser 40 milliards de dollars supplémentaires pour soutenir le commerce intra-africain. Les plateformes d’information que nous avons mises en place vont favoriser le commerce. Donc, ce que je prévois, c’est que dans les 10 prochaines années, c’est le commerce intra-africain qui mènera la croissance du commerce mondial. Le commerce intra-africain stimulera les chaînes de valeur régionales dans les activités à forte intensité de main-d’œuvre. Seul cela représente aujourd’hui environ 40 à 60 milliards de dollars d’importations africaines. Nous allons stimuler les chaînes de valeur, la production et le commerce intra-régional. Selon les prévisions, au cours des dix prochaines années, le commerce africain total sera d’environ 2,5 milliards de dollars, mais je m’attends personnellement à ce que le commerce intra-africain totalise environ 800 milliards de dollars. S’il n’atteint pas ce niveau, nous avons échoué parce qu’il n’y aura aucun bénéfice de nos efforts et l’objectif de 3 000 milliards de dollars ne sera pas atteint. L’impact sur le produit intérieur brut global sera évident. Ce qui est important est de développer le commerce intra-africain et je pense que nous allons connaître un gros succès au cours de la prochaine décennie.
Vous participez au 35ème sommet de l’Union africaine organisé sous le thème “Renforcer la résilience en nutrition sur le continent africain, accélérer le capital humain, le développement social et économique. Comment la nutrition et la sécurité alimentaire sont-elles liées à la croissance économique de l’Afrique ?
Tout projet de développement doit se centrer autour de la population. C’est le développement humain qui compte. Un homme affamé est un homme en colère. Quand la population n’est pas bien nourrie, il y aura des crises, du terrorisme, de l’extrémisme et autres formes de violences. Quand il y a pénurie alimentaire, le marché n’est pas compétitif et nous n’allons pas gagner la guerre numérique qui se déroule actuellement. Le renforcement du capital humain doit être au centre des plans de développement et cela commence par bien nourrir la population. Si vous nourrissez bien un être humain, vous pouvez obtenir le meilleur rendement avec une meilleure éducation, car nous avons également besoin de personnes bien éduquées. Si vous avez une population en bonne santé, vous avez une population productive, c’est pourquoi ce thème est très important et je suis heureux que ce soit adopté par l’ensemble des membres de l’Union africaine.
En tant que membre du dialogue de haut niveau lors du forum des affaires en Afrique, les experts estiment que des infrastructures et des services efficaces dans tous les modes de transport et de tourisme sont essentiels pour tirer pleinement profit de la ZLECAF et de la croissance économique. Quelle est la vision d’Afreximbank pour la contribution du secteur des transports dans les pays africains ?
Le secteur des transports est très important. À l’échelle mondiale, le secteur aérien, à lui seul, transporte environ 35% des marchandises. De plus, l’Afrique est un très grand continent, ne tenant pas compte de la manière dont elle est représentée sur la carte du monde. La zone que couvre l’Afrique contiendra les États-Unis actuels, l’Europe, et certaines parties de l’Asie. C’est un très grand continent. Si nous voulons faciliter le déplacement des biens et personnes, ce qui est essentiel pour le développement de la ZLECAF, nous devons, de manière intégrée, disposer d’un système de transport efficace. De bons chemins de fer, routes et avions. J’insiste sur intégré parce que l’Afrique a souffert d’années de colonialisme qui ont fragmenté le continent en 55 pays et ont amené le développement des infrastructures à adopter une approche qui n’était pas destinée à intégrer le continent, mais plutôt à stimuler les échanges entre chacune des colonies et les puissances métropolitaines. Ce que nous devons faire, c’est changer cela. Nous devons mettre en place un nouvel ensemble d’infrastructures. C’est ce qui stimulera les chaînes de valeur régionales, la circulation des personnes et des marchandises, ainsi que le tourisme intra-régional qui, nous l’espérons, commencera à stimuler nos économies.
Que pensez-vous de la contribution du partenariat public-privé à la réalisation des objectifs de développement de l’Agenda 2063 de l’Union africaine?
Regardons côté infrastructure, où nous voyons la plupart des accords de partenariat public-privé. Si l’on considère les estimations en besoins d’investissements dans les infrastructures en Afrique pour les dix prochaines années, elles sont fixées entre 60 et 100 milliards de dollars par an. En partant de là, nous avons besoin d’environ un milliard de dollars pour le développement des infrastructures. Sur une base annuelle, 100 milliards de dollars par an représentent environ 50% du budget total de tous les pays africains. Il y a toujours un besoin urgent d’investissements privés et c’est pourquoi le partenariat public-privé est essentiel. En raison de la nécessité de construire des infrastructures intégrées pour remplacer ce que nous avons actuellement d’une manière qui va favoriser les chaînes de valeur régionales, nous devons rendre l’infrastructure intrarégionale bancable. Le seul moyen d’y parvenir est de renforcer le marché commun africain. C’est pourquoi Afreximbank travaille très dur pour assurer la fourniture d’informations commerciales nécessaires pour stimuler le commerce intrarégional. Lorsque cela sera fait et que les Africains commenceront à commercer davantage entre eux, nous allons rendre les infrastructures régionales bancables et attirer les financements privés dont nous avons besoin pour pouvoir combler le déficit de financement, afin de construire les infrastructures africaines au niveau que nous souhaitons.