(BFI) – Moh Sylvester Tangongoh, directeur général du Trésor et de la Coopération financière et monétaire au ministère des Finances.
M. le directeur général, le Cameroun est reparti sur le marché international afin de collecter des fonds pour refinancer l’Eurobond émis en 2015. En quoi consistait cette opération ?
Six ans après sa première émission d’Eurobond, l’État du Cameroun s’est retrouvé sur le marché financier international après plusieurs analyses, pour lever un montant identique à celui de 2015. Cette opération consistait donc à rechercher 450 milliards de Fcfa à un coût très faible, pour procéder à son remboursement anticipé, avant l’échéance qui était prévue en 2025.
De façon pratique, cette émission était couplée à une opération technique de gestion de passifs, s’inscrivant dans la stratégie proactive de gestion de la dette publique mise en œuvre par le gouvernement. Le rachat de l’Eurobond 2015 permet ainsi au Cameroun de limiter les risques de refinancement, d’étendre la maturité de cette dette et de réduire son coût moyen. Cette double opération a connu un grand succès, tant pour l’émission que pour le rachat, car il n’y avait aucune obligation pour les détenteurs de l’Eurobond d’accepter un remboursement anticipé. Ce succès traduit ainsi la confiance renouvelée des investisseurs à l’égard du Cameroun.
L’autre point de satisfaction relevé dans le cadre de cette opération se situe au niveau des intentions de souscription très élevées. 2,258 milliards d’euros (1481,15 milliards de F), soit plus de trois fois le montant escompté. Ces souscriptions proviennent essentiellement d’investisseurs privés traditionnels, ce qui traduit davantage la crédibilité de l’État du Cameroun sur les marchés obligataires internationaux. La prouesse réalisée par le pays a été d’obtenir ce montant au taux de remboursement de 5,95%, avec une maturité finale de 11 ans, un taux très satisfaisant, en comparaison notamment à celui de l’émission obligataire de novembre 2015 (9,5 %, Eurobond 2025).
Pourquoi refinancer l’Eurobond de 2015 maintenant, alors que son échéance de remboursement était encore un peu éloignée, par un autre ?
Une clarification s’impose par rapport au montant levé en 2015. L’émission de 2015 avait été faite en dollars américains pour un montant retenu de 750 millions. Par une technique de couverture de risque de change euros/dollars, l’État avait procédé à un swap de devise (cross-currency swap) qui a porté cette dette à 450,35 milliards de Fcfa et non plus 375 milliards collectés au départ. Généralement, un encours d’Eurobond est remboursé via une nouvelle émission.
Quid du moment du rachat ?
S’agissant du choix de la période de rachat, plusieurs raisons techniques le justifient. D’abord, il est déconseillé de procéder au rachat d’un eurobond à une maturité résiduelle inférieure à trois ans. L’analyse de nos experts nous a montré que le contexte actuel du marché financier international était favorable pour le Cameroun jusqu’au 30 juin 2021. Le Cameroun était très optimiste sur le taux de sortie de cette émission caractérisée par un appétit des investisseurs pour la dette des pays africains par émission d’eurobonds. Si les conditions du marché devenaient défavorables, le Cameroun avait la possibilité de renoncer à cette émission pour revenir en 2022.
Pourquoi avoir décidé de retourner sur le marché européen pour le remboursement de cette dette, alors que le marché de la CEMAC semble sourire au Cameroun ?
Le marché de la CEMAC sourit effectivement au Cameroun, qui a toujours bénéficié des meilleurs taux de souscription et de faibles taux d’intérêt sur ce marché. Il a d’ailleurs innové avec succès les émissions d’OTA de maturité de 10 ans sur ce marché. Toutefois, au stade actuel du développement de notre marché domestique, plusieurs raisons expliquent le choix du marché financier international. La maturité recherchée ainsi que le montant ne permettaient pas à notre marché domestique de répondre à notre objectif. Le marché des titres publics de la CEMAC reste encore peu profond, et donc lever un montant relativement élevé (plus de 50 milliards) sur une longue maturité (plus de sept ans) même par le Cameroun, reste encore difficile, voire impossible. Par ailleurs, l’objectif principal de cette seconde émission d’Eurobond étant le rachat ou le remboursement anticipé de celle de 2015, émettre en CFA pour rembourser des euros ou des dollars aurait conduit à une réduction des réserves de change de la sous-région. Il faut également dire que cette émission sur le marché financier international permet d’éviter d’assécher les ressources sur le marché domestique au détriment des entreprises et d’éviter de possibles effets d’éviction.
Peut-on également y voir un gage pour plus de discipline de la part de l’Etat ?
En effet ! Le recours aux marchés financiers internationaux incite les pays à poursuivre leurs efforts pour une meilleure gouvernance économique. Le recours aux financements internationaux présente également pour avantage de confronter les pays (africains) aux marchés internationaux, les incitant ainsi à poursuivre leurs efforts en matière de discipline de politiques économiques (budgétaire et monétaire) et de transparence vis-à-vis de la communauté internationale. Les pays emprunteurs mesurent leur visibilité sur le marché et la confiance que leurs politiques économiques suscitent de manière immédiate. En effet, les montants empruntés et les conditions d’accès peuvent constituer un étalon de comparaison ou benchmark. De plus, les pays emprunteurs sont surveillés par les prêteurs et une mauvaise gestion économique peut entacher la confiance des investisseurs et la visibilité des emprunteurs sur les marchés.
En quoi cet eurobond constitue-t-il une belle affaire pour les investisseurs européens ?
Le Cameroun, de par sa notation financière (B perspectives stables par Fitch), est mieux apprécié et moins risqué que certains pays de la sous-région. Mais il y a plusieurs autres raisons telles que la gestion appréciée par le FMI des effets de la pandémie du Coronavirus ; les finances publiques du Cameroun relativement résistantes au choc pandémique ; la résilience économique du pays aux différents chocs économiques ; un exceptionnel potentiel géographique et humain. On peut également citer, pour ce pays considéré comme le moteur économique de l’Afrique centrale, un sous-sol énergétique riche et varié, une situation politique stable, l’augmentation des investissements publics, une monnaie nationale en parité fixe à l’euro, un cadre incitatif au développement des affaires et une fiscalité attractive.
Au moment où on pense au remboursement de l’emprunt de 2015, qu’est-ce qui a été réalisé au Cameroun avec les 450 milliards de F du premier eurobond et pour quel impact ?
L’eurobond 2015 du Cameroun était adossé au financement de plusieurs projets. Les financements affectés devaient, pour la plupart constituer une partie et non la totalité des financements des différents projets. On peut citer, sans être exhaustif, la construction du deuxième pont sur le Wouri ; le bitumage de la route Mbama-Messamena à l’Est ; le refinancement de la Sonara ; la construction des routes de désenclavement des bassins de production de l’Ouest. La construction de l’autoroute Yaoundé-Nsimalen et la construction du port en eau profonde de Kribi font également partie des projets financés par cet eurobond.