(BFI) – Laureen Kouassi-Olsson annoncera ce lundi 26 avril, le lancement de Birimian, une société d’investissement opérationnelle, qui réunit créateurs africains et acteurs stratégiques européens. Retour sur un parcours peu ordinaire d’une ex golden-girl de Lehman Brothers qui a choisi la finance responsable pour faire rayonner la créativité africaine à l’international.
Comment se prépare-t-on à gérer des fusions-acquisitions chez Lehman Brothers à 23 ans ?
Etudiante à l’EM Lyon, je me suis intéressée tout naturellement aux métiers de la finance. En 2006, j’ai intégré Lehman Brother’s à l’issue d’un stage d’été, avant même d’être diplômée. C’est ainsi qu’a débuté ma carrière dans la haute finance à Londres. J’intervenais sur des transactions pour des groupes industriels. Autant dire que j’étais une exception sur la plateforme où j’étais la plus jeune employée, la seule africaine et la seule femme analyste. On ne se prépare pas vraiment à cela. J’avais atteint mon objectif d’intégrer un Bulge Bracket [groupe de banques d’investissement les plus puissantes du monde, ndlr] à 23 ans, mais la pression était telle que j’ai fini, comme mes confrères, par me « déshumaniser » et par perdre une partie de mon « africanité ».
De quelle manière la crise des subprimes a-t-elle été un révélateur dans votre carrière ?
Avant l’arrivée de la crise, je commençais déjà à réfléchir à de nouvelles orientations, mais à cette époque, l’Afrique n’intéressait personne. Arrive le 15 septembre 2008, la faillite de Lehman Brothers […] J’ai décidé de donner du sens à mon parcours professionnel et de m’orienter vers une finance responsable. Je me suis dirigée vers des institutions qui travaillent sur l’Afrique, en intégrant pro-bono – bénévolement-, une entité qui s’occupait des obligations d’Etat. En dehors de mon origine ivoirienne, je ne connaissais pas les déterminants macro-économiques des différents pays d’Afrique. J’ai ainsi formé des équipes sur la construction de modèles financiers, en contrepartie je développais mes connaissances du continent. De fil en aiguille, j’ai rencontré un collaborateur de Proparco… J’ai intégré cette structure dans laquelle j’intervenais sur des transactions de financements d’institutions financières en Afrique, au sein de la division banque et marchés financiers.
En 2013, vous accompagnez une partie de l’équipe de direction de Proparco qui lance Amethis, un fonds d’investissement pour l’Afrique sponsorisé par Edmond de Rothschild private equity…
Fin 2012, en rejoignant Amethis, j’ai pris la responsabilité de la stratégie du secteur bancaire qui représentait environ 40% de ses engagements. En 2016, je me suis installée en Côte d’Ivoire où j’ai pris la direction du 1er bureau régional d’Amethis sur le continent. J’y ai découvert une créativité exceptionnelle, mais des moyens limités. Je me suis penchée sur le secteur des industries créatives et culturelles (ICC) et j’ai identifié peu à peu les actions à mettre en place pour porter les acteurs du secteur. En juillet 2020, j’ai quitté Amethis, enfin prête à lancer Birimian, un projet que je nourrissais depuis quatre ans.
Que recouvrent les activités de Birimian et que signifie ce nom ?
Birimian c’est le nom du premier gisement d’Afrique de l’Ouest où ont été découverts des diamants bruts. Je voulais faire le parallèle entre les industries créatives et les industries extractives, considérant que les créateurs africains sont des pierres précieuses à l’état brut, qu’il faut polir et sublimer pour les faire éclore à l’échelle internationale. A l’opposé des courants de revendications identitaires qui peuvent parfois porter à confusion sur la conscientisation de la créativité africaine, nous défendons notre culture en nous appuyant sur des partenariats avec des acteurs stratégiques reposant sur des termes favorables à toutes les parties.
De quelle façon est structurée la société Birimian ?
C’est une société d’investissement opérationnelle, dédiée à l’accompagnement stratégique financier de marques de luxe et premium qui s’inspirent d’un héritage africain. Je suis l’actionnaire majoritaire -60% -. J’ai investi quelques millions d’euros avec une dizaine d’investisseurs qui sont des personnes physiques. Birimian recouvre quatre métiers. Premièrement, nous identifions les créateurs et les entreprises créatives, avec le support d’un creative board et le soutien de l’Institut français de la mode (IFM). Nous voulons rassembler un pool d’acteurs issus du monde de la création, de l’édition et des influencers pour identifier les talents.
Le deuxième métier est le renforcement de capacités et la formation. Nous élaborons un programme d’incubation et d’accélération avec l’IFM. Le troisième métier, c’est l’investissement. Nous apportons du capital patient aux marques identifiées, sous la forme de prises de participation et d’investissement en obligations convertibles […] Au stade de l’incubation, le ticket d’entrée est compris entre 30 000 dollars et 70 000 dollars, au stade de l’accélération entre 80 000 dollars et 500 000 dollars et au stade du capital croissance, de 500 000 dollars à 3 millions de dollars. Le quatrième métier repose sur le développement. Il s’adresse à des marques qui ne souhaitent pas faire entrer de nouvel actionnaire dans leur capital, mais qui ont besoin d’avoir accès à un écosystème. Nous leur proposons cette solution, moyennant des commissions qui seront prélevées sur leur chiffre d’affaires.
Qui sont vos partenaires techniques et stratégiques ?
A Paris, Londres ou Milan, toutes les fashion week du début de cette année ont mis en avant la créativité africaine. Pourtant, les créateurs du continent ne sont pas prêts à répondre à la demande, tant au niveau des capacités de production qu’en termes de normes de qualité. L’IFM a compris l’intérêt de nous ouvrir ses portes, tout comme la Fédération de la haute couture et de la mode. Nous finalisons un partenariat avec Who’s Next, le principal organisateur d’événements liés à la distribution de marques à l’échelle mondiale. Nous allons engager des discussions avec des distributeurs comme Le Bon Marché ou Les Galeries Lafayette et préparer nos marques à entrer dans ces canaux de distribution. Nous sommes également en discussion avec ANDAM, pour leur proposer de jeunes talents lors du prochain Fashion Award.
Quelle est la valeur ajoutée de Birimian ?
Nous avons plusieurs atouts. Birimian repose sur une communauté de marques à fort potentiel, une communauté d’investisseurs africains ou africanophiles, une communauté d’acteurs clés de l’industrie de la créativité, de la scène de la mode internationale, mais aussi de grands groupes – Birimian a décidé d’être donateur de la Fondation IFM, dont les donateurs sont les grands groupes de luxe tels que LVMH ou Chanel. Le rôle de Birimian sera de promouvoir la diversité au sein de la création internationale -. Birimian est dirigée par une équipe de femmes. Céline Gainsbourg-Rey est une experte française en management du luxe, Michelle Kathryn Essomé, américaine, est l’ancienne CEO de l’AVCA (Africa Venture Capital Association), Funke Faweya, nigériane – ex-Procter & Gamble – est spécialiste de la gestion des opérations de marques […] Birimian se place comme un partenaire stratégique auprès des marques. Nous apportons les fonds, structurons la société, nous l’institutionnalisons et nous faisons appel aux experts si nécessaire, afin que les créateurs n’aient plus à se soucier de la gestion.
Quels sont les géographies et les secteurs sur lesquels Birimian intervient ?
Birimian ne se fixe aucune frontière sur le continent. Nous partons de l’Afrique de l’Ouest, car je suis basée à Abidjan et que nos marques sont réparties à ce jour, entre la Côte d’Ivoire et le Ghana. Christie Brown est basée au Ghana, Loza Maléombho et Simone et Elise en Côte d’Ivoire. YEBA est en Belgique (avec des origines au Bénin), car Birimian accompagne également les créateurs des diasporas africaines […] Au niveau des secteurs, nous sommes présents dans la mode et les accessoires, la beauté et les cosmétiques et le secteur « gourmet » [café, cacao, ndlr].
De quelle façon la pandémie de Covid-19 a-t-elle impacté le secteur du luxe ?
L’industrie du luxe a été frappée dans ses fondamentaux, ne serait-ce qu’en matière de distribution. Il a fallu se diriger vers des solutions numériques. En termes de workflow, c’est l’une des industries qui a pourtant le mieux résisté. La pandémie a également entraîné un phénomène de conscientisation. L’industrie africaine conserve dans ses modes de production, des systèmes hérités de sa tradition et de son héritage à travers les tailleurs, les tisserands… Cette spécificité repose sur les matériaux, les inspirations et les composantes. Nous sommes face à des créateurs qui réinventent l’héritage africain, selon des codes modernes. Les consommateurs d’aujourd’hui sont en recherche de plus d’éthique or, la créativité africaine s’appuie sur des traditions qu’elle préserve et qui se sont perpétuées de génération en génération, par opposition à une scène internationale trop souvent vidée de sens, sans transmission. C’est le bon moment pour nous ! La marque YEBA que nous avons en portefeuille, s’inspire d’une reine béninoise et Christie Brown d’un héritage traditionnel lié au matriarcat et à l’autonomisation des femmes au Ghana, par exemple.
Quel rôle a joué le secteur numérique dans le secteur du luxe ?
La créativité africaine a connu un véritable leapfrog. Le secteur numérique est devenu le premier pourvoyeur de contenus et de diffusion de cette créativité. Birimian a décidé de placer les Digital Native Vertical Brands – DNVB – au cœur de sa stratégie et s’appuie sur un modèle « phygital » pour relever un certain nombre de défis (accès limité aux capitaux, faibles capacités de production et exclusion des chaînes de valeur internationales).
Quelles sont vos ambitions à court terme ?
Fin 2021, nous ambitionnons de sélectionner une quinzaine de marques dans nos programmes d’incubation et d’accélération, qui bénéficieront de soutien financier et d’accès à des opportunités. Nous voulons rapidement avoir des marques distribuées dans de grands selective retailers comme Le Bon Marché.
La Tribune Afrique