(BFI) – L’agriculture n’est que trop rarement au cœur des préoccupations des politiques en appui au continent alors qu’elle fait vivre 660 millions d’habitants en Afrique subsaharienne, c’est-à-dire quelque 60 % de la population en 2020.
Le sommet de Paris sur le financement des économies africaines est désormais derrière nous. L’on ne peut que saluer une telle initiative au bénéfice d’un continent trop longtemps piégé dans un cercle vicieux de réendettement. La mobilisation de plus de 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux, qui seront alloués au continent engage à l’optimisme. On sait pourtant que ces conférences ont, historiquement, peiné à produire des résultats concrets pour les populations du continent. C’est, en grande partie, parce que l’agriculture et l’élevage sont systématiquement tenus à l’écart des discussions. Hélas, le Sommet du 18 mai n’a pas dérogé à la règle.
Cela est regrettable, car il s’agit sans doute du seul secteur qui, situé à l’intersection de tous les enjeux majeurs du XXIe siècle – climat, santé, culture, emplois et sécurité – permettrait de déclencher un cycle de croissance inclusive au bénéfice de l’Afrique, et du reste du monde.
L’agriculture n’est que trop rarement au cœur des préoccupations des politiques en appui au continent alors qu’elle fait vivre 660 millions d’habitants en Afrique subsaharienne, c’est-à-dire quelque 60 % de la population en 2020. A noter ce terrible paradoxe : l’Afrique est importatrice nette de produits alimentaires alors même qu’elle abrite la majorité des terres arables disponibles dans le monde. Les tensions alimentaires risquent de croître dans les prochaines décennies si l’Afrique ne réalise pas sa révolution verte.
L’agriculture dispose en outre de formidables atouts pour distribuer des revenus dans les campagnes, structurer les chaînes de valeur, transformer les produits, créer de la valeur ajoutée, employer les jeunes, nourrir les populations urbaines… Si les États et les bailleurs agissent en tant que pourvoyeurs de capitaux à taux compétitifs et de systèmes de garantie à long terme au bénéfice du secteur privé, ils peuvent initier une dynamique vertueuse pour le développement des chaînes de valeur agricoles. Les flux privés peuvent massivement investir en aval des filières et contribuer à la structuration de l’amont. L’entreprise au niveau local prendra naturellement le relais pour enfin sortir les campagnes de la pauvreté.
Sans compter que l’économie agricole est aujourd’hui en mesure d’opérer les changements radicaux qui s’imposent, comme le passage à l’agriculture de conservation ou à l’agroécologie, dans un contexte de promotion de la croissance verte. Nous l’avons vu en janvier dernier à Paris, lors du One Planet Summit et de la mobilisation autour de la Grande Muraille Verte au Sahel. Les entreprises européennes comme les entreprises africaines sont prêtes à jouer le jeu et à relever le défi de l’agroécologie et du reboisement, ceci dans un cadre économique viable, pragmatique et durable.
On ne le dit pas assez, mais l’agriculture est aussi un vecteur extraordinaire pour accompagner et surtout faciliter l’émancipation des femmes africaines. Celles-ci peuvent jouer un rôle essentiel pour moderniser les exploitations, les rendre plus performantes et plus économes en ressources naturelles. Aujourd’hui, les femmes agricultrices font face à davantage de contraintes dans l’accès aux ressources productives agricoles (propriété des terres, utilisation des services financiers). Éliminer ces obstacles assurerait des gains significatifs pour la société en augmentant la productivité agricole, en réduisant la pauvreté et la faim et en promouvant la formation des femmes.
Les capitaux privés sont massivement disponibles aujourd’hui et peuvent être mobilisés au service de cette grande ambition. Mais, en matière d’agriculture et d’élevage, il faut peut-être, davantage qu’ailleurs, les accompagner avec des ressources publiques. Les institutions financières internationales se sont toutes fixé pour mission de préserver les ressources naturelles et de contribuer à la limitation des effets du changement climatique. L’agriculture africaine représente précisément une occasion unique d’expérimenter des partenariats entre les pouvoirs publics, les bailleurs de fonds et les entreprises privées pour proposer des financements verts innovants, combinant ressources publiques et privées.
Formulons le vœu qu’un prochain sommet permettra de poser courageusement ces questions et de trouver, ensemble, des solutions durables pour l’agriculture africaine. C’est un enjeu mondial.
Par Abbas Jaber, président du groupe Advens-Géocoton.