(BFI) – Les paiements au titre du service de la dette extérieure entre 2022 et 2024 ont dépassé de 741 milliards de dollars le volume des nouveaux financements reçus, un écart sans précédent depuis au moins 50 ans, selon le Rapport sur la dette internationale publié mardi 3 décembre 2025 par la Banque mondiale.
Les 78 pays les plus pauvres du monde, dont une majorité en Afrique subsaharienne, font face à une crise d’endettement sans précédent. Leur dette extérieure a atteint 1 200 milliards de dollars en 2024, tandis que plus de la moitié de la population des pays les plus endettés ne peut plus s’offrir une alimentation saine.
La Banque mondiale, principal bailleur de fonds de ces économies vulnérables, alerte sur les risques d’une dette qui « continue de s’accumuler sous des formes nouvelles et pernicieuses. »
Le rapport met en lumière les conséquences dramatiques de ce fardeau sur la vie quotidienne des populations. Dans les 22 pays les plus endettés (dont l’encours de la dette extérieure représente plus de 200 % des recettes d’exportation), 56 % des habitants en moyenne ne peuvent pas se permettre une alimentation saine et nutritive. Dix-huit de ces pays sont éligibles à l’IDA, où cette proportion grimpe à près des deux tiers de la population.
« Dans les pays les plus endettés, une personne sur deux en moyenne ne peut pas se procurer les apports alimentaires journaliers nécessaires pour rester durablement en bonne santé », souligne le document.
Au total, les pays en développement ont déboursé un montant sans précédent de 415 milliards de dollars rien qu’en intérêts en 2024, au détriment de dépenses qui auraient pu être consacrées à la scolarisation, aux soins de santé primaires et aux infrastructures essentielles.
Les taux d’intérêt moyens sur les nouveaux prêts contractés en 2024 par ces économies auprès des créanciers publics et privés se situent respectivement à leur niveau le plus élevé en 24 ans et 17 ans.a
Pour les pays ayant pu retourner sur les marchés obligataires, les financements ont été obtenus à un coût prohibitif : les taux d’intérêt ont fluctué autour de 10 %, soit environ le double des niveaux observés avant 2020.
La Banque mondiale, bouée de sauvetage des pays IDA
Face à la raréfaction des financements à faible coût, la Banque mondiale dit s’être imposée comme le principal bailleur de fonds des pays les plus vulnérables. En 2024, elle a fourni aux pays IDA 18,3 milliards de dollars de nouveaux financements de plus que ce qu’elle a perçu en remboursements du principal et en paiements des intérêts — un chiffre record. Ce montant s’est accompagné du versement de 7,5 milliards de dollars de dons, lui aussi sans précédent.
« Les conditions de financement mondiales s’améliorent, mais les pays en développement ne doivent pas s’y tromper : ils ne sont pas hors de danger », alerte Indermit Gill, économiste en chef et premier vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour l’Économie du développement.
« Leur dette continue de s’accumuler, parfois sous des formes nouvelles et pernicieuses. Les responsables publics, où qu’ils soient, devraient profiter de la marge de manœuvre dont ils disposent aujourd’hui pour remettre de l’ordre dans leurs finances publiques, au lieu de précipiter leur retour sur les marchés d’emprunt internationaux », conseille-t-il.
Par ailleurs, le rapport met en évidence un repli des créanciers bilatéraux publics (principalement des États) après leur engagement dans une vague de restructurations qui ont réduit jusqu’à 70 % la dette extérieure à long terme de certains pays.
En 2024, ces créanciers ont reçu des pays en développement 8,8 milliards de dollars de plus en principal et en intérêts qu’ils n’en ont versé en nouveaux financements.
Au total, les pays ont procédé à la restructuration de 90 milliards de dollars de dette extérieure en 2024, un montant record depuis 2010, permettant à de nombreux pays d’écarter le risque de défaut de paiement.
Un virage vers l’endettement intérieur risqué
Les possibilités de financement à faible coût s’amenuisant, de nombreux pays en développement se sont tournés vers des créanciers intérieurs — banques commerciales et institutions financières locales. Sur les 86 pays pour lesquels on dispose de données, plus de la moitié ont vu leur dette publique intérieure augmenter plus rapidement que la dette publique extérieure.
« La propension grandissante de nombreux pays en développement à recourir à des sources de financement nationales traduit une réussite importante de l’action publique », souligne Haishan Fu, statisticienne en chef de la Banque mondiale et directrice de la cellule Données sur le développement.
« Cela montre que les marchés financiers locaux évoluent. Toutefois, des emprunts intérieurs massifs peuvent inciter les banques nationales à privilégier les obligations d’État, plutôt que de prêter au secteur privé local », alerte-t-elle.
Elle avertit également que « la dette publique contractée auprès de créanciers nationaux est soumise à des échéances plus courtes, ce qui peut augmenter le coût du refinancement. Les gouvernements doivent par conséquent veiller à ne pas en abuser. »
La dette extérieure combinée des pays à revenu faible et intermédiaire s’est élevée en 2024 au niveau record de 8 900 milliards de dollars, selon le rapport de la Banque mondiale.




