AccueilThink tankL'Afrique et la nouvelle guerre froide : le développement du continent dépend de...

L’Afrique et la nouvelle guerre froide : le développement du continent dépend de sa capacité à maitriser son destin sécuritaire

-

(BFI) – Les conflits dans diverses régions en Afrique et leurs retombées ont poussé les dirigeants africains à prolonger l’objectif du projet phare de l’Union africaine « Faire taire les armes… », de 2020 à 2030. Cependant, respecter cette nouvelle échéance dans le contexte géopolitique mondial actuel –et favoriser l’accélération du développement des économies du continent- reste un défi, à moins que la région n’adopte vigoureusement une approche continentale de la promotion de la sécurité, sous-tendue par une appropriation à la fois de la sécurité nationale et du programme de développement pour une paix et une prospérité durable.

Les conséquences dévastatrices de la crise ukrainienne continuent de souligner la nécessité de mettre en œuvre de toute urgence le projet phare de l’Union africaine : « Faire taire les armes d’ici 2020 ». Les conflits dans diverses régions en Afrique et leurs retombées, bien que sous-médiatisés dans les principaux organes de presse internationale, sont de grande ampleur, extrêmement graves, et augmentent de plus en plus en intensité et en coût aussi bien humains, qu’économiques et sociaux.

Plus de 20 000 Africains ont perdu leur vie dans des conflits violents en 2020, soit presque dix fois plus qu’il y a dix ans. En République démocratique du Congo (RDC), où plusieurs millions de personnes ont été tuées dans des conflits au cours des dernières décennies, plus de 2400 ont été victimes des guerres et conflits larvés rien qu’en 2020.

Incapables d’endiguer le taux croissant de conflits de haute intensité et de décès liés aux conflits en Afrique, les dirigeants du continent ont prolongé le délai pour la paix d’une autre décennie, déplaçant ainsi l’objectif initial vers « Faire taire les armes d’ici 2030 ». Toutefois, respecter cette nouvelle échéance reste un défi à moins que la région n’adopte vigoureusement une approche continentale de la promotion de la sécurité sous-tendue par une appropriation à la fois de la sécurité nationale et du programme de développement pour une paix et une prospérité durables.

La sécurisation du développement -la subordination des objectifs de croissance et de développement aux priorités sécuritaires- n’a pas réussi à assurer la sécurité et n’a jamais fait que saper le développement économique et social. L’externalisation de la sécurité intérieure n’a pas réussi à ramener la paix et a plutôt permis aux puissances étrangères de s’immiscer dans les insurrections intérieures et de prolonger les conflits. Celles-ci minent l’intégration régionale et le développement économique, comme on le constate aujourd’hui en Libye et au Mali, théâtres de guerre depuis plus d’une décennie.

La montée des réseaux terroristes transnationaux et la nouvelle guerre froide

Récemment, l’augmentation spectaculaire des conflits de haute intensité et des décès lies aux conflits dans la région a coïncidé avec l’expansion des réseaux terroristes transnationaux, qui sont soutenus par une surabondance de combattants étrangers itinérants et la prolifération des bases militaires étrangères dans un contexte de réalignements géopolitiques et d’émergence de nouvelles alliances. Même si la crise ukrainienne a ravivé les tensions Est-Ouest qui ont défini la seconde moitié du siècle précèdent, de nouvelles alliances géopolitiques émergent, façonnées par la triangulation qui a dominé la première guerre froide.

Ce réalignement géopolitique bat son plein en Afrique, où les guerres par procuration font rage – y compris en Éthiopie, qui abrite le siège de l’Union africaine, alors que les puissances étrangères dans une concurrence effrénée se disputent le contrôle des ressources naturelles et des routes commerciales stratégiques. Les affrontements entre superpuissances ont mis le monde sur la voie d’une nouvelle guerre froide, et l’Afrique est redevenue une arène où exercer leurs rivalités.

Sur tous les continents, l’Afrique compte désormais le plus grand nombre de pays étrangers menant des opérations militaires sur son sol, pas moins de 13, dont la plupart disposent de plusieurs bases militaires réparties dans toute la région. Selon les estimations officielles les plus récentes, l’Afrique abrite au moins 47 avant-postes étrangers, les États-Unis en contrôlant la plus grande partie, suivis de l’ancienne puissance coloniale, la France. La Chine et le Japon ont tous deux choisi d’établir leurs premières bases militaires à l’étranger depuis la Seconde Guerre mondiale à Djibouti, qui se trouve être le seul pays au monde à accueillir à la fois des avant-postes américains et chinois.

Les cicatrices de la première guerre froide -qui a coûté la vie à des millions d’Africains et sapé à la fois l’intégration régionale et le développement économique, les conflits réduisant la croissance économique dans les pays touchés d’environ 2,5 % en moyenne- sont encore fraîches, et la région ne peut pas se permettre de tomber en proie à une seconde.

Outre les coûts humains et économiques incommensurables, notamment la destruction des infrastructures économiques et physiques nécessaires à la croissance de la productivité et à la diversification des exportations, la fragmentation politique qui s’est produite lorsque les pays se sont alignés sur l’un des deux blocs de superpuissances a été une des conséquences majeures de la première guerre froide. Cette fragmentation a entretenu la segmentation des marchés, durcissant les frontières coloniales et sapant le commerce transfrontalier et l’intégration régionale. Une deuxième guerre froide, dans le sillage de la prolifération des bases militaires étrangères et de l’externalisation des enjeux sécuritaires, anéantirait de la même manière les efforts de défragmentation des économies africaines pour accélérer le processus de transformation structurelle afin de réaliser le potentiel de la Zone de libre-échange continental africain (Zlecaf), qui est présentée comme un changement de donne dans un monde en pleine ébullition.

Adopter une approche régionale pour la sécurité et la gouvernance du continent

L’Afrique doit réduire considérablement l’implication des puissances étrangères dans la promotion de ses objectifs de sécurité et de développement. Cela doit commencer par la prévention des conflits et une évolution vers une approche régionale de la sécurité qui maximise les gains économiques et sécuritaires associés aux économies d’échelle. Mais pour atteindre ces objectifs, les décideurs politiques doivent d’abord s’attaquer aux moteurs internes des conflits. Ceux-ci sont généralement liés aux déficits de gouvernance, à des inégalités horizontales bien ancrées et à la faiblesse des institutions. Ces facteurs encouragent les ingérences étrangères.

En plus de réduire les ingérences étrangères, les dirigeants africains doivent adopter une approche régionale dans leur promotion de la sécurité. Une telle approche augmenterait leur pouvoir de négociation géopolitique de manière à déplacer la frontière de sécurité continentale et à réduire les coûts associés supportés par chaque pays ; ce qui accélérerait finalement la croissance économique et mettrait la région sur la voie de la viabilité budgétaire en facilitant l’allocation optimale des rares ressources disponibles.

Pour réaliser des progrès significatifs vers ces objectifs régionaux, les décideurs politiques doivent accélérer la mise en œuvre de l’Architecture africaine de gouvernance afin de renforcer la bonne gouvernance et de consolider la démocratie. La mise en place d’institutions fortes, réactives et responsables pour favoriser une croissance inclusive et la participation politique est également essentielle pour renforcer la sécurité. En outre, la mise en place dès que possible de divers mécanismes de contrôle strict des fournitures illégales d’armes légères à des acteurs non étatiques contribuera grandement à étouffer la croissance des réseaux terroristes transnationaux.

La stratégie globale de prévention et de gestion des conflits facilitera la transition vers une approche continentale qui renforce l’appropriation du programme de promotion de la paix, de la sécurité et du développement économique durable en Afrique. Alors que les réformes de la gouvernance s’attaqueront aux facteurs internes des conflits et renforceront leur prévention, l’approche continentale dans la promotion de la sécurité s’attaquera aux facteurs internes et externes, avec des retombées positives pour la gouvernance démocratique et la stabilité institutionnelle. Cela brisera la spirale terroriste et réduira considérablement les coûts de la promotion de la sécurité nationale.

Le soutien de l’Architecture africaine de paix et de sécurité, qui définit une stratégie globale de prévention et de gestion des conflits, par la majorité des gouvernements facilitera la transition vers une approche continentale qui renforce l’appropriation du programme de promotion de la paix et de la sécurité et son alignement sur la stratégie de développement économique de la région. Alors que les réformes de la gouvernance s’attaqueront aux moteurs internes des conflits et amélioreront la prévention des conflits, l’approche continentale de la promotion de la sécurité s’attaquera aux moteurs internes et externes, avec des retombées positives pour la gouvernance démocratique et la stabilité institutionnelle. Cela rompra la spirale de l’interaction entre ces forces, tout en réduisant considérablement les coûts de promotion de la sécurité nationale.

La défragmentation effective de l’Afrique et la maitrise des enjeux sécuritaires passe par le renforcement de l’intégration régionale

En plus de parler d’une seule voix sur les questions de sécurité africaines et mondiales, une approche continentale offrira aux dirigeants politiques régionaux des opportunités de tirer parti des avantages des économies d’échelle. Si ces mesures renforçaient les voix africaines sur les questions de sécurité mondiale, elles complèteraient également les progrès réalisés dans le domaine du commerce et du développement économique avec la mise en œuvre de la Zlecaf.

Tout comme l’établissement de bases militaires dans le cadre d’accords bilatéraux avec des gouvernements africains individuels n’a pas réussi à apporter la paix et la sécurité, les accords bilatéraux destinés à promouvoir le commerce et le développement économique n’ont pas non plus tenu leurs promesses. Au contraire, ces accords ont affaibli le pouvoir de négociation de l’Afrique dans les grandes batailles commerciales entre partenaires internationaux et ont freiné la croissance du commerce africain, qui est restée dérisoire, représentant à ce jour moins de 3% du commerce mondial.

Défragmenter l’Afrique pour tirer parti de ses formidables économies d’échelle stimulera considérablement le commerce et la croissance tant extra qu’intra-africains. De même, l’adoption d’une approche continentale de la promotion de la sécurité pourrait s’avérer transformatrice en termes de promotion de la sécurité nationale, de projection de puissance mondiale et de rentabilité. En élevant le programme de promotion de la sécurité au niveau continental, l’Afrique renforcera l’interaction entre sécurité et développement, réduira à la fois les coûts supportés par les pays individuels et les risques politiques pour soutenir la croissance du capital patient qui est ô combien nécessaire pour la diversification des sources de croissance et des exportations.

Les économies d’échelle associées à cette approche unifiée de la promotion de la sécurité complèteront les économies d’échelle commerciales découlant de la Zlecaf et maximiseront les rendements globaux en termes de sécurité nationale et de développement économique. Ensemble, ces économies d’échelle renforceront l’appropriation du programme de développement et de sécurité régionale pour faire taire les armes d’ici 2030 (sinon plus tôt), plaçant l’Afrique sur la voie d’une paix et d’une prospérité durables.

Dr Hippolyte Forack, Economiste en chef de la Banque africaine d’Import-Export (Afreximbank).

Rédaction
Rédaction
Média multi-support édité par l’Agence Rhéma Service, cabinet de communication et de stratégie basé à Douala, Business & Finance International regroupe des partenaires internationaux issus du monde des médias, des affaires et de la politique, mus par la volonté de fournir une information vraie, crédible et exploitable pour un investissement sûr en Afrique.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici