(BFI) – L’avenir à court et moyen terme de l’approvisionnement alimentaire et de la production agricole est actuellement au cœur des préoccupations en Afrique, alors que les prix des matières premières flambent sur fond de crise ukrainienne et de sanctions contre la Russie. Le président de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina qui entend mobiliser 1 milliard de dollars en faveur de l’agriculture en plus des projets qui bénéficieront d’une partie des 32 milliards de dollars récoltés lors des boardrooms de l’Africa Investment Forum, estime que les voies de secours pour le continent devraient être multipliées.
Riz, blé, maïs, soja, … Pendant que les prix sur les marchés explosent suite à la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie, plusieurs économies dans le monde trinquent sous la menace de l’insécurité alimentaire, obligeant certaines à casser leur tirelire. Mais pour le président de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina -qui s’est exprimé récemment lors d’une rencontre dématérialisée avec des journalistes- le mot d’ordre est sans appel : « Face à l’augmentation des prix des matières premières notamment agricoles, l’Afrique doit se préparer à répondre de manière conséquente, afin d’éviter les pressions de l’insécurité alimentaire », a-t-il déclaré à La Tribune Afrique.
Des milliards de dollars en cours de mobilisation
Le leader nigérian qui venait de présider les séances de boardrooms de l’Africa Investment Forum (AIF) organisées virtuellement du 15 au 17 mars se réjouit que sur les 32 milliards de dollars collectés à cette occasion pour des projets en Afrique, « il y a eu beaucoup d’intérêt pour l’agriculture ». A côté, la BAD va mobiliser une facilité d’urgence de 1 milliard de dollars pour couvrir le riz, le blé, le maïs, et le soja, dans le but de soutenir les pays du continent fortement dépendant des importations. « L’Ukraine et la Russie présentent à titre d’exemple plus de 70% des importations de céréales de l’Egypte et le tiers des importations d’Afrique de L’Est. Avec ce qui se passe en ce moment, la situation de crise alimentaire va s’aggraver », a souligné le président de la BAD avant d’ajouter : « ce que nous essayons de faire, c’est de nous assurer que nous investissons beaucoup dans l’agriculture… Nous en discutons avec nos partenaires avant de pouvoir faire des annonces ».
Les pays africains face à l’urgence alimentaire
Les marchés sont effectivement en ébullition depuis plusieurs semaines, en raison des répercussions économiques et humanitaires du conflit ukraino-russe. Si les cours du blé et du maïs étaient en baisse à l’ouverture des marchés ce lundi 28 mars, ceux-ci restent à des niveaux élevés. D’ailleurs dans sa dernière perspective économique publiée le 17 mars, l’OCDE reste pessimiste et ne s’attend pas de sitôt à un retour à la normale. Un pays comme le Rwanda -dont les importations de céréales ont franchi la barre des 44 millions de dollars pour plus de 177 700 tonnes en 2020 et à 64% assurées auprès des Russes- prévoit déjà une facture explosive et cherche d’autres fournisseurs. A cela s’ajoute la hausse des prix des fertilisants -sur fond de hausse du cours du gaz- qui renforce le spectre de l’improductivité agricole.
Si à la veille du Ramadan, les pouvoirs publics en Afrique du Nord encadrent le secteur pour rassurer les populations, dans certains pays au Sud du Sahara, les professionnels de la boulangerie notamment plaident déjà pour revoir le poids de la baguette. « Même avant la guerre, la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie pesait sur les budgets des ménages et des gouvernements dans de nombreux pays plus petits et plus pauvres dont les économies avaient également été parmi les plus lentes à se remettre de la pandémie de COVID-19. De nouvelles flambées de prix déclenchées par le conflit en Europe de l’Est menacent désormais d’aggraver la pauvreté et l’insécurité alimentaire », alerte Ngozi Okonjo Iweala, directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dans une tribune publiée mardi dernier sur Project Syndicate.
Des projets « encourageants », malgré tout…
Akinwumi Adesina estime tout de même « encourageant » les différents projets transformateurs en gestation dans différents pays africains. « Si nous prenons la Côte d’Ivoire où je suis basé, le lancement du pôle agro-industriel spécial dans le Nord permettra la mise en place d’infrastructures pour la production et l’ajout de valeur à la chaîne de valeur des céréales… Je voudrais d’ailleurs saluer l’action du président Alassane Ouattara et son leadership parce qu’ils vont transformer le secteur agricole », a déclaré le président de la BAD, évoquant également le projet national ivoirien autour du cacao dont le pays est le premier producteur mondial ou encore le projet de produits laitiers en Angola ou le projet national de transformation du riz local au Togo.
En parlant de projets transformateurs, Aliko Dangote – première fortune africaine- faisait la une des médias la semaine dernière pour avoir inauguré à Lagos son usine d’engrais de 2,5 milliards de dollars pour une capacité de 3 millions de tonnes par an, soit l’une des plus grandes au monde. Un coup inédit du secteur privé dans ce mastodonte économique d’Afrique de l’Ouest qui importe environ 5,5 milliards de dollars de céréales par an, selon les données du Bureau national des statistiques. Alors que la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) est progressivement mise en place, ce type d’initiatives est plutôt très apprécié, au moment où le continent poursuit son développement. Assistera-t-on à la multiplication de ce type de projets pour (enfin) bâtir une solide sécurité alimentaire sur un continent qui, selon les données de l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), dispose de 60% des terres arables non exploitées dans le monde ?
« C’est maintenant ! »
Dans une tribune co-signée avec Patrick Verkooijen, PDG du Centre mondial sur l’adaptation et Anne Beathe Tvinnereim, ministre norvégienne du Développement international publiée vendredi 25 mars sur Thomson Reuters Foundation, Akinwumi Adesina évoque la « menace d’une catastrophe silencieuse en Afrique ».
« S’il n’y a jamais eu un moment pour augmenter considérablement la production alimentaire en Afrique, c’est maintenant ! », martèlent les auteurs.