(BFI) – Lors de sa session qui s’est tenue le 21 décembre 2023 à Cotonou, le Conseil des ministres de l’UMOA a décidé de doubler le capital social minimum des banques de la zone. Celui-ci passera de 10 milliards à 20 milliards de francs CFA, cela « en vue de renforcer la résilience du secteur bancaire et de répondre aux besoins croissants de financement auxquels font face les pays de l’Union ». Le capital social minimum des banques de la zone UMOA a connu des relèvements dans le passé. Il était de 1 milliard avant 2008, puis a été porté à 5 milliards avant de passer à 10 milliards en 2010.[1] Depuis lors, il est resté à ce même montant, en dépit des appels récurrents pour son augmentation afin de permettre l’essor d’un secteur bancaire plus développé au sein de l’espace UMOA.
Dès 2011, Abdoul Mbaye, ancien dirigeant de banque, appelait à un relèvement du capital social minimum des banques pour leur permettre de mieux financer l’économie et développer leur résilience lors des crises. Ainsi, il disait dans une interview : « Je pense que la faiblesse totale vient de l’émiettement du système bancaire et de la faiblesse de la taille des banques. Il faut se mettre dans la marche mondiale qui est celle du regroupement, et comme on peut le penser, cette démarche pourrait ne pas venir des banques elles-mêmes, les autorités monétaires doivent jouer leur rôle en relevant le capital minimum requis pour pouvoir bénéficier d’un agrément bancaire (…). »[2]
La tendance dans le monde est à la concentration dans le secteur bancaire. Soit cela se fait volontairement, les grandes banques absorbant les plus petites, soit c’est dû à l’initiative des régulateurs. Au Canada, le marché bancaire est dominé par cinq champions nationaux : TD, RBC, BMO, Scotia Bank, et CIBC. En France, le marché bancaire est concentré entre de grands groupes mondiaux tels que la Société Générale, la BNP, le Crédit Agricole, la BPCE…
Au Nigéria, il y a quelques années, le régulateur avait forcé la fusion de banques pour accroître la résilience du secteur bancaire. En même temps, il exige périodiquement la recapitalisation des banques afin de protéger les déposants et permettre aux institutions financières nigérianes de financer l’économie. Le Nigéria s’est fixé comme objectif d’atteindre un produit intérieur brut (PIB) de 1000 milliards de dollars à l’horizon 2030 ; le secteur bancaire est primordial pour l’atteinte de cet objectif. Ainsi, lors d’une rencontre entre la banque centrale du Nigéria (CBN) et les banques commerciales, le gouverneur de la CBN a dit :
« Les banques nigérianes disposeront-elles d’un capital suffisant pour répondre aux besoins du système financier dans le cadre d’une économie de 1000 milliards de dollars d’ici peu ? À mon avis, la réponse est “non”, à moins que nous n’agissions. Nous devons donc prendre des décisions difficiles concernant l’adéquation des fonds propres. Dans un premier temps, nous demanderons aux banques d’augmenter leur capital. »[3]
Les banques sont importantes dans l’économie d’un pays. Elles drainent l’épargne et financent les autres branches d’activité. Elles constituent également un secteur économique sensible : la défaillance de l’une d’elles peut provoquer des risques systémiques pour un pays, en atteste la crise des années 1930 et celle de 2008. La ruée aux guichets des banques peut entraîner de graves problèmes économiques et sociaux dans un État.
Pour cela, la Commission bancaire de l’UMOA a établi une liste d’établissements bancaires systémiques (EBIS)[4]. Un EBIS est « un établissement dont la défaillance, en raison de sa taille, de sa complexité, du volume de ses activités ou de son interconnexion systémique, pourrait mettre en péril le système financier et l’activité économique de l’UMOA ». Ces établissements sont plus régulés, étant donné les risques élevés qu’ils présentent pour leur pays ou pour la zone en cas de dysfonctionnement.
Quels sont les risques d’un capital social faible pour une banque ?
Un capital social faible signifie qu’une banque est plus exposée en cas de faillite d’un de ses clients. Par son effet de contagion, quand ses autres déposants le sauront, ils seront tentés de retirer leurs fonds, accroissant les problèmes de la banque. Un capital social plus important fera qu’une banque pourra absorber les chocs, comme des pertes financières ou l’insolvabilité d’un de ses clients. Le secteur bancaire carbure à la confiance ; les dépôts de la banque ne lui appartiennent pas, ils appartiennent à ses clients. Ces derniers veulent être sûrs qu’ils pourront récupérer leur argent en cas de demande, d’où l’importance du capital social qui fait partie du Common Equity Tier 1, selon les normes de Bâle 3.
Plus haut, nous expliquions que la tendance dans le monde est à la concentration des banques. De plus en plus, à l’échelle internationale, le marché bancaire est dominé par quelques champions nationaux. La tendance en revanche dans la zone UMOA est à une hausse du nombre d’implantations bancaires. Le marché bancaire de l’espace UMOA est fragmenté, les dépôts sont partagés entre plusieurs banques qui ne peuvent financer, seules, que des projets de faible envergure.
Il y a nécessité aujourd’hui, pour améliorer l’efficacité et la résilience du secteur bancaire de la zone, d’encourager les fusions de banques. Une trentaine de banques au Sénégal et en Côte d’Ivoire, c’est excessif. Leur regroupement permettrait de disposer d’un secteur bancaire plus compétitif à l’échelle mondiale.
La BCEAO devrait, comme la CBN du Nigéria, amorcer cela, obliger les banques qui n’atteignent pas une taille de bilan minimum à fusionner avec de plus grands groupes. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de concurrence, mais nous passerons d’une situation de marché fragmenté à un marché plus concentré, avec quelques grands groupes plus résilients et plus capables de financer l’économie.
Dix milliards de francs CFA de capital social minimum, treize ans plus tard, représentent un montant faible. Déjà, l’inflation l’a érodé. Un projet qui coûtait 5 milliards en 2010 coûte beaucoup plus en 2023. Cela veut dire qu’en réalité, le capital social minimum réel (après prise en compte de l’inflation) des banques est beaucoup plus faible.
Pour cela, l’augmentation du capital social minimum des banques de la zone est une décision salutaire. Elle leur permettra d’être plus résilientes face aux crises et d’accroître leur capacité de financement de l’économie. Toutefois, à l’instar des autres banques centrales, la BCEAO devrait encourager la fusion des banques afin de permettre l’émergence de grands groupes nationaux ou régionaux qui pourront se lancer dans le monde. Cela est une nécessité aujourd’hui.
Moussa SYLLA, Auteur du livre La conformité bancaire au Sénégal et dans la zone UMOA
[1] Voir cette note d’information de la BCEAO : https://www.bceao.int/sites/default/files/2018-02/note_information_no6_en_4e_lecture.pdf
[2] Entretien avec Abdoul Mbaye, Réussir Magazine (14 février 2011) : https://www.seneweb.com/news/Economie/entretien-avec-abdoul-mbaye-ancien-banquier-laquo-il-faut-relever-le-capital-minimum-pour-ameliorer-le-systeme-bancaire-senegalais-raquo_n_41210.html
[3] Research Team, “How much each Nigerian bank will need to raise if share capital is raised to N300 billion” (22 décembre 2024) : https://nairametrics.com/2023/12/22/how-much-each-nigerian-bank-will-need-to-raise-if-share-capital-is-raised-to-n300-billion/
[4] Liste des EBIS au titre de l’année 2023 : https://www.cb-umoa.org/fr/actualites/liste-des-etablissements-bancaires-dimportance-systemique-ebis-au-titre-de-lannee-2023