(BFI) – Pharmacienne et titulaire d’un Masters en Management des industries de santé, ancienne directrice des opérations commerciales de Novartis en Afrique subsaharienne (17 pays), Docteur Anne-Maryse K’HABORE dirige depuis 2018, la Centrale d’achat des médicaments essentiels génériques et des consommables médicaux (CAMEG) du Burkina Faso. Nous l’avons interrogée sur les missions de la centrale d’achat, de ce que celles-ci impliquent comme effort de transformation pour un organisme de tout premier plan dans le domaine de la santé. L’interview a également porté sur les garanties de qualité des produits et de transparence des procédures au sein de la CAMEG Burkina. Un entretien sans langue de bois ni fuite du concret au style franc et direct.
Tout d’abord, qu’est-ce que la CAMEG – Burkina et quelles sont ses missions et ses moyens d’action ?
La CAMEG du Burkina Faso est la centrale d’achat qui assure l’approvisionnement du système sanitaire national en intrants de santé. Elle approvisionne aussi bien le système sanitaire public que celui du privé, et ça, c’est une de ses particularités. La CAMEG Burkina a vu le jour en 1992 par décret présidentiel, suite à « L’initiative de Bamako », avec pour objectif principal de garantir la disponibilité et d’améliorer l’accessibilité aux médicaments essentiels génériques.
Il s’agit de faire en sorte que l’ensemble de la population puisse bénéficier de médicaments de qualité et à moindre coût, sur toute l’étendue du territoire national. C’est cet objectif qui explique le maillage du territoire national avec les 11 agences commerciales de la CAMEG afin de se rapprocher le plus près des patients. Ce modèle de décentralisation repose sur une logistique propre avec des entrepôts et des moyens de transports aux normes, garantissant la qualité des produits médicaux depuis les magasins centraux jusqu’aux dépôts régionaux, que nous appelons agences commerciales. C’est donc la performance de notre organisation qui nous permet de revendre notre expertise auprès des centrales soeurs des pays frères du Burkina Faso.
Cette expertise, dont vous parlez, serait-elle de nature à permettre à la CAMEG d’étendre ses activités au delà du Burkina Faso ou est-ce surtout pour un partage de savoir-faire ?
Très sincèrement les deux car nous avons des expériences réussies. Notre leadership nous a permis déjà d’abriter le secrétariat permanent de l’Association Africaine des Centrales d’achats de Médicaments Essentiels (ACAME) depuis sa création en 1996.
Il convient de rappeler que la survenue de plusieurs épisodes épidémiques en Afrique subsaharienne dans un contexte de dévaluation du franc CFA (qui avait porté un coup dur aux pays de la zone franc) ont conduit à la création de l’ACAME, avec pour objectif principal la mutualisation des achats de médicaments afin de minimiser les coûts des commandes en fonction des volumes.
Ainsi, grâce à notre expertise au sein du réseau de l’ACAME, en particulier le projet MTN (Maladies Tropicales Négligées) portant sur la chimioprophylaxie du paludisme, nous avons pu assurer l’approvisionnement du Niger et du Mali en intrants de santé, quand le besoin s’est exprimé.
Cette expérience d’achats groupés, nos expériences réussies de décentralisation, l’importance de nos ressources humaines et matérielles, mais surtout la qualité des médicaments dont nous assurons l’approvisionnement à moindre coût, suscitent de la part des centrales soeurs de l’ACAME des voyages d’étude et l’accueil de plusieurs stagiaires. Tous ces résultats s’inscrivent dans notre vision stratégique et seront renforcés par la mise en œuvre de notre plan stratégique qui, à l’horizon 2025, devrait permettre à la CAMEG d’être reconnue, d’une part, comme une centrale performante à l’échelle nationale et, d’autre part, pour son expertise à l’échelle régionale.
Vous avez parlé des stratégies de la CAMEG du Burkina Faso, comment comptez-vous les mettre en œuvre pour atteindre les objectifs, je suppose qu’il y a d’importants défis logistiques à relever ?
Absolument. Une des particularités de la CAMEG, c’est notre politique de distribution qui est vraiment spécifique dans toute la sous-région. Comme je le disais précédemment dans la présentation de la CAMEG, nous avons un modèle de décentralisation pour rapprocher les médicaments des patients. Depuis nos entrepôts centraux à Ouagadougou, nous assurons la disponibilité des produits à l’intérieur du pays à partir de nos agences régionales. Je profite, d’ailleurs de cette occasion, pour saluer les efforts accomplis par mes prédécesseurs dans le développement de cette politique de décentralisation qui aujourd’hui porte ses fruits et représente pour la CAMEG une force et un modèle que beaucoup de pays prennent en exemple.
Cette décentralisation repose également sur une logistique très performante.
Chaque agence commerciale dispose d’un entrepôt d’environ 10 000 m3, ce qui représente une capacité de stockage totale de 150.000 m3. C’est l’une des plus grandes de la sous-région. Cet avantage nous permet de garantir une disponibilité de stock, à minima trois mois et au maximum 10 mois de produits. Cette capacité de stockage est facilitée par notre flotte d’une cinquantaine de véhicules de grandes capacités (40 tonnes et 20 tonnes), mais également
de véhicules de moyennes capacités pour les livraisons urbaines.
Quelles garanties dispose la CAMEG pour rassurer sur la qualité des médicaments qu’elle distribue ?
La question de la qualité est au centre de nos activités. C’est par la qualité qu’on se différencie et c’est par la qualité qu’on acquiert la confiance des populations, des partenaires, des pouvoirs publics. C’est donc une condition sine qua non pour l’existence de la CAMEG. Pour ce faire, nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs qui reposent sur les référentiels internationaux qui font référence en la matière, tel que le “model quality assurance system” (MQAS) de l’OMS.
Le premier concerne notre politique d’achat. Tous nos fournisseurs sont soumis à une procédure de préqualification, faite sur des critères de qualité, avant d’être autorisés à participer à nos appels d’offres.
Le deuxième dispositif concerne nos partenaires fournisseurs.
Régulièrement, ceux-ci font l’objet d’inspections pour nous assurer que ce qui a été mentionné sur leurs documents est conforme à la réalité de leurs activités.
Le troisième dispositif concerne le contrôle qualité des achats. Les produits reçus sont systématiquement mis en quarantaine dans un magasin. Un prélèvement de contrôle qualité est effectué par le laboratoire national de santé publique pour nous assurer de la qualité des produits de chaque fournisseur. C’est à la suite de l’autorisation du laboratoire national que les produits sont acheminés dans nos entrepôts.
Là également, je voudrais insister sur les conditions de stockage (nos magasins), et de distribution (nos véhicules) qui respectent tous, les normes en la matière pour chaque type de produit. Des capteurs de température et d’humidité nous permettent de nous assurer de la régularité de la chaîne du froid, indispensable pour une bonne conservation des produits de santé.
Enfin, notre certification ISO 9001: 2015, que nous venons juste de recevoir en fin Juillet 2021, est un label de qualité qui garantit le fait que nous travaillions selon les normes et standards internationaux. En effet, nous sommes une des rares centrales d’achats en Afrique subsaharienne à avoir certifié l’ensemble des procédures d’achat, de stockage et de distribution dans toutes nos 11 agences commerciales.
Cette exigence qualité que nous nous sommes imposés volontairement, a pour but de renforcer la confiance de la population, du gouvernement et des partenaires techniques et financiers quant à la fiabilité, la sécurité et la qualité de notre chaine d’approvisionnement et des intrants de santé que nous rendons disponibles sur toute l’étendue du territoire du Burkina Faso voire au-delà.
Pouvez-vous nous dire quelques mots également sur la garantie de la régularité des appels d’offres ?
La certification selon la norme ISO 9001:2015 accordée par des auditeurs internationaux de BSI Group (British Standard Institution) dont je viens de parler, concerne également la qualité du management et donc de la transparence de nos procédures. A titre d’exemple, nous avons à la CAMEG un ratio technique relatif aux achats. Depuis les trois dernières années, 98% de nos achats sont effectués par la procédure d’appels d’offres, et donc de mise en concurrence de fournisseurs pré qualifiés. Une commission technique siège et attribue les marchés.
En trois années, en adoptant cette politique de mise en concurrence des fournisseurs, nous avons fait des économies de près de 3 milliards de Francs CFA.
Ce sont ces économies qui nous ont permis de subventionner les prix de plusieurs médicaments et consommables médicaux, tout en maintenant à un prix constant, des médicaments dont les coûts sur le marché international ont connu des hausses. C’est aussi cela notre mission de service public à vocation sociale.
Les médicaments de rue constituent un danger de santé publique et représentent certainement un concurrent important de la CAMEG. Pensez-vous prendre des dispositions pour réduire ce fléau ?
Les médicaments de la rue sont dangereux pour la santé. Leur commercialisation étant illégale, je ne peux pas dire qu’ils constituent un concurrent pour la CAMEG, mais plutôt un problème de santé publique à l’origine de plusieurs fléaux dont la résistance aux antibiotiques, et la survenue de maladies graves comme l’insuffisance rénale.
La première chose que nous faisons c’est bien évidemment de communiquer sur les méfaits des médicaments de la rue et dire aux populations qu’elles disposent désormais de bons médicaments, accessibles partout sur le territoire et à moindre coût.
Par ailleurs, avec l’appui du Ministère de la santé, nous nous efforçons d’avoir un système d’approvisionnement harmonisé afin que les produits pharmaceutiques entrent par une seule voie, en l’occurrence celle de la CAMEG. Cela permet une meilleure traçabilité et un meilleur contrôle du circuit de distribution.
In fine, la qualité de nos produits, leur disponibilité et leur accessibilité géographique et financière sont la meilleure réponse aux médicaments dits de la rue. De surcroit, nous accompagnons, les initiatives communautaires dans les campagnes de sensibilisation sur les médicaments de qualité inférieure ou falsifiés qui sont distribués dans des circuits illicites tel que la rue.
Quels impacts la crise du Covid 19 et la crise sécuritaire qui sévissent au Burkina Faso, ont-elles eu sur les activités de la CAMEG ?
Nous faisons face à ces situations tout comme nos pays voisins de la bande sahélo-sahélienne.
Notre plan de résilience face à la Covid-19 nous a permis de garantir une disponibilité des médicaments tout en respectant nos critères d’achats qualitatifs. Ce sont des efforts que nous consentons avec l’accompagnement des plus hautes autorités du pays.
Bien entendu, pour nous, conformément à la convention que nous avons avec le Ministère de la santé, nous nous efforçons à ce que le droit à l’accès aux produits de santé, soit garanti et une réalité pour nos populations. C’est notre devoir que nous assumons.
Dernière question, le fait d’être une femme, de surcroît la première, à la tête de la CAMEG, est-il pour vous un défi ou un atout ?
Je suis en effet la première femme à diriger la CAMEG et l’une des cinq femmes des 22 pays membres de l’ACAME. Est-ce un atout ou un défi ? Je crois que ce sont les deux. Un atout, parce qu’il y a des qualités intrinsèques au management féminin, comme la rigueur, l’empathie, la discipline, un management participatif. Un défi parce qu’en tant que femme leader, on n’a pas vraiment le droit à l’erreur. On se doit d’être un modèle et un exemple pour ouvrir la porte à toutes les femmes et jeunes filles qui aspirent à des postes à responsabilité.
Et, je pense que les résultats tendent à prouver que de plus en plus, ce leadership gagnerait à être promu…. Car une femme peut faire aussi bien sinon mieux qu’un homme. (Rires).
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