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« La perception du risque africain est élevée, pourtant plein de monde vient s’y faire de l’argent » Joseph Atta-Mensah

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(BFI) – Joseph Atta-Mensah est conseiller politique principal au sein de la division en charge de la macroéconomie et de la gouvernance au sein de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique. En Marge de la conférence économique africaine qui tenu du 2 au 4 décembre 2021 à Sal au Cap-Vert, l’expert a accepté de s’exprimer sur la nouvelle vision du financement du développement, défendue par son institution. Il a insisté sur la perception du risque africain qui reste élevé, alors que de nombreux investisseurs viennent réaliser des marges importantes sur le continent. 

Au cours de la 16ème édition de la Conférence économique Africaine qui s’est tenue à Sal, au Cap-Vert, la Commission économique pour l’Afrique a défendu sa vision d’un nouveau paradigme de financement du développement en Afrique. Quelles sont les arguments qui justifient cette initiative ? 

C’est un plaisir pour moi de pouvoir m’exprimer sur une plateforme comme la vôtre qui aborde les questions économiques et financières africaines sans aucun biais. Cette question de la nouvelle vision du financement du développement de l’Afrique a pris forme avec la Covid-19. Comme vous le savez, la plupart des pays ont pris un coup avec la pandémie, et particulièrement les pays africains ont beaucoup souffert car ils ont réalisé à quel point leurs systèmes de santé étaient faibles. Ils devaient sauver des vies, et pour cela il fallait emprunter pour acheter des équipements de protection personnelle comme les masques, les respirateurs. Ils avaient aussi besoin d’argent pour soutenir la résilience aux confinements. Mais si vous prenez ce que l’Afrique a engagé face à la Covid et ce que les pays du G20 ont mis ensemble, il n’y a pas de juste comparaison. Aux États-Unis, ils ont dépensé des milliers de milliards et on continue de soutenir les économies. Dans ce contexte, la dette des pays africaines s’accroît. Le ratio dette/PIB pour certains pays atteint les 100% et dans le même temps la capacité des États à mobiliser les ressources domestiques s’amenuisent. Or les États doivent continuer de financer la reprise économique, les projets visant à atteindre les Objectifs du développement durable (ODD) dont l’échéance est d’à peine 8 ans. C’est un défi, où allons-nous trouver ces financements. Certains experts prédisaient avant la Covid qu’il fallait 2300 milliards $ pour que les Pays en développement atteignent les ODD. Avec la Covid, il faut désormais mobiliser 1700 milliards de dollars américains par an pour ces pays. Où allons-nous trouver cet argent. Nous ne pouvons que compter sur les prêts pour financer cela. Et même, dans le cadre des prêts, les taux d’intérêt pour l’Afrique sont très élevés contrairement aux pays riches qui eux ont les taux du marché interbancaire de Londres (Libor) qui est très faible.

Concrètement en quoi consiste-t-elle vraiment, cette nouvelle vision ?

Ce que la Commission Economique pour l’Afrique, sous le leadership de Mme Vera Songwe propose, c’est l’utilisation de nouveaux Droits de tirage spéciaux émis par le FMI en les empruntant à des taux très abordables, en s’appuyant sur une infrastructure de marché qui permettrait que les titres adossés à ces prêts soient échangeables de sorte à réduire les risques et les taux d’emprunts pour l’Afrique. Mais il n’y a pas que cela. Il faut aussi s’assurer que les flux financiers illicites ne fassent pas perdre à l’Afrique des ressources à travers la fausse facturation commerciale, comme les surfacturations à l’import et les sous-facturation à l’export, les transferts illégaux de capitaux, et l’évitement fiscal sur nos matières premières.

« Il faut aussi s’assurer que les flux financiers illicites ne fassent pas perdre à l’Afrique des ressources à travers la fausse facturation commerciale, comme les surfacturations à l’import et les sous-facturation à l’export, les transferts illégaux de capitaux, et l’évitement fiscal sur nos matières premières.»

Il est aussi question de mettre en place une infrastructure de marché, qui permettrait de canaliser les transferts de capitaux de la diaspora, de sorte à ce qu’ils ne servent pas qu’à la consommation individuelle, mais aussi à des investissements rentables et qui leur profiteraient à eux aussi. De ce point de vue, les entreprises pourront se faire financer par les offres publiques initiales sur les marchés financiers africains. La diaspora y ferait des placements et gagnerait des rendements. Un mécanisme peut être mis en place pour l’émission des titres obligataires. Les rendements sur ces placements, pourraient justement permettre aux Africains de la diaspora, de soutenir davantage leurs familles. Il est donc question de mettre en place un cadre de marché qui permettrait aux investisseurs de faire des placements en toute confiance. 

Donc cette nouvelle vision du financement des économies africaines repose sur la mise en place d’un marché de pensions livrées pour les titres d’emprunts de nouveaux DTS par le FMI afin d’éliminer les risques, de lutter au maximum contre les flux financiers illicites, et de canaliser les transferts de la diaspora vers des investissements rentables, et cela à travers une infrastructure de marché solide et fiable, de sorte à leur donner des garanties, qu’ils vont récupérer leurs gains.

 Je note que le cœur de cette nouvelle vision repose sur la construction de marchés financiers structurés et solides. Prenons la solution de la mise en place d’un marché de pensions livrées. C’est une option qui est tout à fait logique, mais pourquoi elle tarde à être mise en œuvre ? Quels sont les défis auxquels vous faites face ?

Je commencerai par faire un constat, nombreux sont ceux qui viennent s’y faire de l’argent, mais en même temps la perception la plus largement répandue est que le continent africain représente un trop gros risque pour qu’on puisse lui prêter de l’argent. Pourtant on retrouve de grandes entreprises dans tous les secteurs, des ressources minières à la finance, qui réalisent des projets sur le continent. Il y a aussi toutes ces agences de notation qui évaluent votre dette et qui, pour ce qui est de l’Afrique, déclarent très souvent que les notes ont baissé. C’est un mauvais signal donné aux investisseurs qui perçoivent le risque en Afrique et exigent pour cela des primes de risque supplémentaires. La question désormais est de savoir comment mitiger cela. C’est pour cela nous pensons à mettre en place une agence africaine de notation, avec l’appui du mécanisme africain d’évaluation par les pairs. Mais pour posséder une institution qui fera une évaluation adaptée des risques, il faut qu’on s’assure de la solidité de la gouvernance. De ce côté je pense qu’il y a des avancées.

« C’est pour cela nous pensons à mettre en place une agence africaine de notation, avec l’appui du mécanisme africain d’évaluation par les pairs.»

Mais il ne s’agit pas seulement de gouvernance politique, mais aussi de gouvernance économique. Nous devons nous même adresser nos défis, en matière de gouvernance économique. De mon point de vue personnel, je pense qu’on doit commencer à se dire que certains défis africains doivent être gérés collectivement. En matière d’infrastructures, nous pouvons mettre ensemble nos ressources. Il doit y avoir un moyen à travers lequel nous partageons le risque. Un autre point que j’ai soulevé à l’occasion de mes propres travaux, c’est que l’Afrique doit avoir sa propre institution de garantie de risques sur les investissements, un réplica de la MIGA, de la Banque mondiale. Voilà ce qu’on pourrait faire pour réduire le risque perçu, relativement à l’Afrique.

Comment est-ce que les gouvernements africains avec lesquels vous discutez accueillent ces propositions ?

Les gouvernements africains sont à saluer. De l’extérieur vous pouvez ignorer l’ampleur des défis auxquels ils doivent faire face. Je suis sûr que ceux-ci parviendront à résoudre ces défis ; que les ministres africains parleront d’une seule voix sur certaines de ces idées.

Les obligations de la diaspora (diasporas bond) ont été testés dans de nombreux pays comme le Nigéria Comment peut-on mettre cela en œuvre ? Comment ces obligations peuvent-elles devenir un outil de financement du développement en Afrique ?

Je pense que plusieurs Africains de la diaspora épargnent en banque, dans les fonds de pension ou via les assurances. Si vous regardez les rendements sur les bourses africaines, elles sont parmi les plus élevées actuellement. Il est question de les contacter et de les inciter à investir sur ces marchés financiers locaux. Les gouvernements devraient se positionner en garants de ces placements, afin d’attirer les fonds de la diaspora. Cela nécessite que nous ayons les meilleures compétences, qui viendront structurer ces obligations et qu’on rassure les Africains de la diaspora. Il faudrait qu’ils soient sûr de récupérer leurs gains. Mais il faut déjà que l’idée soit adoptée pour la confier à des personnes compétentes.

Selon le plus récent rapport sur l’État de la justice fiscale publié le 16 novembre dernier par Tax Justice Network, Public Service International et the Global Alliance for Tax Justice, l’Afrique a perdu 17,1 milliards de dollars américains du fait des multinationales et des personnes riches. Est-ce que vous pensez que l’accord fiscal international produit sous l’égide de l’OCDE est efficace pour éliminer ce type de problème ?

Je crois que c’est un début, on peut commencer avec. Mais le plus important pour moi, c’est de construire le capital humain, capable de détecter les flux financiers illicites. Ainsi, comment faisons-nous pour avoir plus de personnes sensibilisées et capables de travailler sur les questions comptables et juridiques, pour comprendre comme se présente la fiscalité. Certaines de ces pratiques sont légales. Mais nous devrons trouver le moyen de bien comprendre les mécanismes des défis fiscaux. On devrait pour cela engager nos académiciens et nos experts.

« Mais le plus important pour moi, c’est de construire le capital humain, capable de détecter les flux financiers illicites.»

Mais mieux encore, face à l’OCDE, l’Afrique doit pouvoir parler d’une voix. Il est important pour cela de créer un groupe consultatif ou de conseil, qui pourrait accompagner nos ministres des finances qui, à leur tour, conseilleront les présidents qui parleront ainsi d’une seule voix dans des instances comme celles de l’ONU. Nous devons trouver le moyen de renforcer cet effort et venir avec une position commune. Cela est possible si nous avons l’appui des politiques.

Que pensez-vous d’une solution onusienne face aux défis qui continuent d’exister sur le système fiscal international ?

C’est une question qui est déjà prise en compte. Mais je tiens à dire que c’est la raison pour laquelle cette conférence économique de Sal est intéressante. Nous sommes ici pour apprendre et les discussions que nous avons sont intéressantes. J’espère que les recommandations qui en ressortirons seront suivies dans nos différentes capitales.

Rédaction
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