(BFI) – L’accélération de l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) était le thème du dernier sommet annuel de l’Union africaine (UA). L’institution continentale a notamment appelé les dirigeants du continent à « redoubler d’esprit de panafricanisme ». Un mot d’ordre qui pourrait renforcer la tendance à la « panafricanisation » du secteur privé africain dont le premier conclave sous l’égide du secrétariat de la Zlecaf se tiendra en avril.
« L’Union africaine exhorte les États membres à redoubler d’esprit de panafricanisme […] en accélérant l’opérationnalisation de la Zlecaf [Zone de libre-échange continentale africaine, NDLR] », indique une communication de l’institution continentale à l’issue de la 36ème session ordinaire de son assemblée, tenue les 18 et 19 février à Addis Abeba et justement axée sur l’accélération de la mise en œuvre de cette plateforme commerciale qui devrait être la plus grande au monde avec 1,3 milliard de consommateurs. Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’UA, a rappelé que la Zlecaf « est un projet phare et stratégique pour le continent et qui requiert pour sa réelle mise en œuvre pas mal de conditions ». Il estime qu’en raison de cela, les gouvernements devraient notamment travailler à concrétiser « la libre circulation des personnes et des biens ».
« Il n’est pas normal que l’Afrique soit largement tributaire des importations extérieures en dépit de toutes les richesses naturelles et humaines dont elle regorge. Notre continent peut et doit se donner les moyens de produire suffisamment et de pouvoir transformer et stocker ces produits afin de se préparer aux statistiques qui nous disent que l’Afrique pourrait devenir incessamment le premier marché du monde », a déclaré Azali Assoumani, président des Comores et nouveau président en exercice de l’UA. Devant ses pairs, le Chef d’Etat a pris l’engagement de mener tous les efforts nécessaires à faire avancer l’agenda de la Zlecaf pendant son mandat d’une année.
Une tendance déjà existante
Si l’appel au panafricanisme était surtout adressé aux gouvernements afin de créer le cadre propice au déploiement de la Zlecaf, il pourrait cependant renforcer l’idée d’une « panafricanisation » -à petite et grande échelle- des entreprises du continent, lesquelles constituent le cœur-battant de cette plateforme. D’autant que cette tendance à la logique panafricaine du business s’observe de plus en plus depuis quelques années. Le secteur financier notamment en a fait la démonstration. Outre les banques d’Afrique du Sud, du Nigeria ou du Maroc qui ont démontré une forte orientation continentales ces dernières années, un rapport de l’Association africaine des fonds d’investissements et de capital-risque (AVCA) montre qu’au premier semestre 2019, 51% de la valeur des transactions de capital-investissement en Afrique portaient l’étiquette panafricaine. Si la nécessité de diversifier les risques d’investissement est évoquée comme l’un des principaux motifs, la Zlecaf n’est pas étrangère à cette tendance visiblement renforcée.
En décembre 2021, le Comité panafricain du commerce et de l’investissement du secteur privé (Paftrac) -un organe qui relève de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank)- boucle l’année en révélant que les patrons des entreprises commerciales dans 46 pays d’Afrique prévoient d’investir -ou ont déjà commencé à le faire- pour le développement continental de leurs activités, sur fond de la Zlecaf. Leur motif : « tirer parti des opportunités d’accès aux marchés qu’offre la zone de libre-échange ».
Défis
Pour Wamkele Mene, secrétaire général de la Zlecaf qui s’exprimait en marge du sommet d’Addis Abeba, la Zlecaf a un côté révolutionnaire dans le sens où l’activité trans-sous-régionale n’est plus l’apanage de quelques entreprises aux moyens financiers colossaux, mais peut également intégrer des petits exploitants de l’Est du continent dont les produits sont directement commercialisés à l’Ouest. « Le grand défi est de faciliter les échanges, le système personnalisé de passage des marchandises, l’harmonisation des procédures… Tout cela est en train d’être implémenté et fait partie du travail d’accélération qui doit se faire cette année », a-t-il déclaré, confiant.
La Zlecaf -qui a son siège au Ghana- est officiellement opérationnelle depuis le 1er janvier 2021. Mais à ce jour, peu de transactions se font en raison des nombreux freins dont la non-libre circulation des biens et des personnes, la question des barrières tarifaires, etc. Ces obstacles font notamment que le commerce intra-africain ne représente toujours que 16% du commerce de l’Afrique. L’accord prévoit l’élimination des droits de douanes sur 90% des marchandises d’ici 2030, ce qui n’est pas gagné d’avance, puisque cela devrait encore faire l’objet de longues négociations.
Pour faire avancer l’agenda, l’UA a lancé en octobre 2022 le Guided Trade Initiative, un projet pilote créé pour faire circuler librement une centaine de produits issus de huit pays africains réunissant l’Ouest, l’Est, le Centre, le Sud et le Nord de l’Afrique. Il s’agit du Ghana, du Rwanda, du Kénya, de l’Égypte, du Cameroun, de Maurice, de la Tanzanie et de la Tunisie. Les entreprises de ces pays sont donc amenées à travailler dans le cadre de jumelage. Cela pourrait à terme donner lieu à des implantations, ce qui serait une autre manière de « panafricaniser » les entreprises.
La « panafricanisation » pour l’essor des multinationales africaines
Selon un acteur de la finance africaine comme l’Ivoirien Charles Kié, la « panafricanisation » du business est clé, afin de construire des géants africains dans divers secteurs de l’économie. « Il faut comprendre notre continent, en mesurer les difficultés, mais aussi les opportunités et faire les choix d’investissement qui permettront de faire en sorte que demain nous ayons de vraies multinationales africaines, qui savent naviguer dans ces différents environnements avec profitabilité », expliquait-il à LTA dans une interview.
L’émergence de mastodontes industriels africains fait également partie des objectifs de la Zlecaf, notamment dans le domaine industriel dont l’essor relève d’une urgence économique depuis les récentes crises mondiales (Covid-19 et guerre en Ukraine). « La Zlecaf est une opportunité pour l’émergence de grands entrepreneurs et jeunes industriels africains qui vont accélérer la transformation des économies africaines pour diversifier les sources de croissance », souligne dans un entretien avec LTA Hippolyte Fofack, économiste en chef d’Afreximbank, estimant que le grand marché panafricain établi par la Zlecaf devrait permettre par ricochet l’émergence de nouvelles fortunes africaines.
La « panafricanisation » du business africain pourrait également être un atout pour renforcer le poids de l’Afrique dans le commerce mondial qui ne dépasse toujours pas les 4%. Tous ces sujets seront une nouvelle fois discutés au Forum des entreprises de la Zlecaf dont la première édition est prévue en Avril à Cape Town, en Afrique du Sud. Si la tendance de demain semble se profiler aujourd’hui, reste aux dirigeants africains de briser les barrières, afin d’ouvrir pleinement la route du libre-échange continental.