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La diplomatie sportive sur le terrain : le jeu à long terme

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Paris accueillera les Jeux olympiques cette année. L’Arabie saoudite accueillera la Coupe du monde 2034. Il s’agit de deux des méga-événements sportifs les plus importants, avec la plus grande audience mondiale. Cependant, les deux candidatures ont franchi cette étape en étant les seules en lice. Compte tenu des coûts de plusieurs millions de dollars associés à ce type d’événement, la question se pose de savoir s’il est toujours intéressant d’accueillir de tels événements et comment mesurer le retour sur investissement pour les villes ou les pays hôtes.

Au-delà des effets à court terme, à la fois en termes de stimulation économique, de développement des infrastructures et de promotion du tourisme, l’organisation de méga-événements sportifs de portée internationale, tels que la Coupe du monde 2022 au Qatar, a mis en évidence le rôle du sport dans la création d’une réputation et d’une influence pour les nations. Ce concept, que nous appelons « soft power » (par opposition au « hard power », militaire ou économique), joue un rôle si important dans la construction de la marque d’une nation ou d’une ville que le Brand Finance Institute l’a étudié et quantifié dans plusieurs rapports. L’objectif de cet effort n’est autre que de mesurer la capacité d’une nation à influencer les préférences et les comportements de divers acteurs sur la scène internationale (États, entreprises, communautés, publics, etc.) grâce à l’utilisation de sa marque comme moyen d’influencer les préférences et les comportements de divers acteurs (États, entreprises, communautés, publics, etc.).

La méthodologie de mesure, basée sur 110 000 enquêtes menées auprès du grand public dans 121 pays, intègre un large éventail de paramètres qui permettent une évaluation complète et équilibrée de la présence, de la réputation et de l’impact des nations à travers le monde. Parmi ces paramètres figurent le degré de reconnaissance du pays en question, sa capacité d’influence à l’échelle mondiale, sa réputation et ses perceptions dans différents domaines, notamment son environnement commercial, son patrimoine culturel ou son peuple et ses valeurs. Une méthodologie très similaire est suivie pour mesurer l’image des villes.

Dans les deux cas, pour les nations et les villes, le sport joue un rôle fondamental en influençant positivement leur pouvoir d’attraction, en influençant les perceptions de leur « héritage culturel ». C’est pourquoi la diplomatie sportive est aujourd’hui considérée comme une nouvelle forme de diplomatie publique. Cette nouvelle conception du sport est le résultat d’une évolution qui, selon le professeur Simon Chadwick, se déroule en trois étapes.

Tout d’abord, au 19ème siècle, en tant que bien public selon la vision utilitariste liée à la révolution industrielle au Royaume-Uni, le sport et en particulier le football est devenu un débouché populaire qui a été compris, selon cette perspective utilitariste, comme un bien public qui devrait être gratuit. Dans la seconde moitié du 20e siècle, la vision néoclassique a prévalu aux États-Unis avec des marques importantes comme la NBA, et le sport a commencé à être conçu comme un bien privé, dont l’objectif était de générer des bénéfices économiques, sans dépendre d’un soutien ou de subventions publiques. Cette conception néoclassique du sport a favorisé le développement du sponsoring comme outil de financement des entités sportives.

Au XXIe siècle, le sport acquiert une fonction économique géopolitique et est utilisé par les nations comme outil de diplomatie publique. L’investissement des pays arabes dans le sport dans le but de diversifier leur dépendance à l’égard de l’énergie fossile ou l’investissement de la Chine en Afrique, où elle a construit quatre stades pour la Coupe d’Afrique des Nations, soit gratuitement, soit par le biais de prêts à taux préférentiels, dans le but d’accéder aux ressources du continent et de les contrôler, en sont des exemples clairs.

Cela vaut-il encore la peine d’organiser de tels événements ?
Ces exemples nous ont permis d’établir l’importance de la diplomatie sportive dans la construction du « soft power » des nations et des villes. Pour revenir à la question initiale, cela vaut-il toujours la peine d’organiser de tels événements pour les hôtes ? Dans quelle mesure et sous quelles conditions la diplomatie sportive a-t-elle un impact positif sur le « soft power » d’une nation ou d’une ville à long terme ?

En utilisant la base de données Brand Finance 2023, nous avons effectué une analyse multivariée pour identifier les variables ayant le plus grand impact sur le « soft power ». Les perceptions concernant « l’environnement des affaires », c’est-à-dire la facilité de faire des affaires dans le pays et « la stabilité et la force de son économie », sont les variables qui ont le plus d’impact sur le « soft power » d’une nation. Elles sont suivies de près par la perception du « patrimoine culturel » d’un pays. Mais parmi toutes les variables qui composent le « patrimoine culturel », l’ »influence dans les arts et les divertissements » et le « leadership sportif » ont le plus grand impact sur la génération du « soft power ». Cela confirme l’importance de la diplomatie sportive pour tirer parti du « soft power » des nations à l’ère de la géopolitique du sport.

En général, le leadership sportif a plus d’impact sur la notoriété d’un pays que sur sa réputation ou sa capacité d’influence, en particulier pour les pays peu connus. Cela s’explique par l’exposition des méga-événements sportifs à des publics de masse dans le monde entier, ce qui en fait des plateformes permettant de mettre en avant des valeurs et des attributs ayant un impact plus important sur la réputation et l’influence, tels que « économie forte et stable », « pays politiquement stable et bien gouverné », « dirigeants admirés au niveau international » ou « villes et transports durables », parmi d’autres.

Le cas du Qatar, qui a accueilli la Coupe du monde de football 2022, illustre clairement cette dynamique. Bien que le Qatar ait également progressé en termes de réputation et d’influence, deux facteurs modèrent l’impact des grands événements sportifs sur ces dimensions.

Le premier facteur concerne l’engagement à long terme en faveur de la diplomatie sportive. L’engagement financier est évident dans le cas du Qatar, qui a investi dans plusieurs propriétés sportives européennes, dont le PSG et le SC Braga. Toutefois, cet engagement ne se traduira pas automatiquement par une réputation et une influence accrues. En effet, l’organisation de la Coupe du monde a mis en lumière des problèmes sociaux dans le pays, tels que les conditions auxquelles ont été soumis les migrants travaillant sur des projets d’infrastructure. Les gains de réputation et d’influence ne dureront pas si cette plateforme n’est pas utilisée de manière stratégique et si les réformes nécessaires alignées sur les objectifs de diplomatie publique ne sont pas entreprises.

Le deuxième facteur est lié aux perceptions préexistantes d’un pays. Les pays ayant des perceptions plus défavorables sur les variables clés de la réputation et de l’influence, telles que « économie forte et stable », « pays politiquement stable et bien gouverné », n’obtiennent pas le même impact par le biais de la diplomatie sportive. Par exemple, bien que l’Afrique du Sud ait tiré des avantages à court terme de l’organisation de la Coupe du monde de la FIFA 2010, les perceptions négatives du pays concernant la corruption et le manque de stabilité politique dans les années qui ont suivi l’événement en ont atténué l’effet.

Si la diplomatie sportive est importante, ses effets à court et à long terme dépendent des perceptions préexistantes et de la volonté d’engager des réformes dans des domaines qui sont des piliers essentiels du soft power. L’organisation d’un méga-événement sportif ne garantit pas automatiquement un impact positif sur la réputation et l’influence d’une nation. Cela nécessite un engagement et une action soutenue. Le méga-événement est une plateforme qui permet de montrer la réalité d’un pays ou d’une ville et de tirer parti des perceptions antérieures. Si cette base n’est pas solide, nous construirons de simples mirages plutôt que des perceptions durables.

Par Gabriela Salinas, Professeur à l’IE Business School. Directrice générale du Brand Finance Institute

Rédaction
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