(BFI) – Au Cameroun, la campagne sucrière 2025-2026 s’ouvre avec une question lourde d’enjeux économique. Le pays peut-il réellement se permettre de suspendre de nouveau les importations de sucre, comme il l’avait déjà fait par le passé, sans risquer une nouvelle crise d’approvisionnement ? la question revient avec beaucoup d’insistance depuis le 13 novembre 2025, date à laquelle la société sucrière du Cameroun (Sosucam) a officiellement informé le ministre du Commerce du démarrage de la campagne sur ces sites de Mbandjock et Nkoteng.
Dans sa correspondance, la filiale du groupe Somdiaa liste les menaces susceptibles de réduire ses parts de marché, alors qu’elle rassure pourvoir satisfaire la demande nationale. Pour l’entreprise, le contexte national rend toute ouverture des importations dangereuse. Elle dénonce la politique du Brésil et de l’Inde qui subventionnent fortement leur industrie sucrière (…) conduisant à des prix artificiellement bas » susceptibles d’encourager des demandes répétées d’importations au Cameroun. La Sosucam insiste également sur les risques liés aux stocks destinés au Tchad mais bloqués à Douala et Ngaoundéré à cause du relèvement de la fiscalité tchadienne. Elle avertit qu’ils « font peser un risque réel de déversement de ces sucres sur le marché national ». Pourtant, comme elle le précise dans sa correspondance, « la production locale est capable de couvrir la demande nationale tout au long de la campagne » estimant que « la situation actuelle du marché camerounais ne justifie nullement de nouvelles importations ». Elle soutient que les stocks déjà présents sur le territoire dépassent les 100.000 tonnes, que la raffinerie de Douala pourrait rajouter 70.000 tonnes d’ici fin 2025, et que 30.000 tonnes importées sont toujours disponibles pour la vente aux ménages et aux agglomérés.
La Sosucam affirme par ailleurs que « nos équipes sont pleinement mobilisées pour broyer le maximum de cannes disponibles et atteindre le tonnage de sucre le plus élevé possible ». Elle précise mobiliser « 8.000 travailleurs (…) auxquels s’ajoutent 1.500 sous-traitants et prestataires », un volume d’emploi qu’elle présente comme un argument économique et social majeur.
La réaction du ministère du Commerce ne s’est pas fait attendre. Le même 13 novembre 2025, dans une lettre estampillée « très urgent », le ministre du Commerce a transmis la lettre de la Sosucam aux opérateurs de la filière « pour leur bonne information et leurs réactions éventuelles ». Le document ministériel cite explicitement l’entreprise lorsqu’il rappelle que l’ouverture de nouvelles importations aurait pour effet « d’aggraver la dérégulation du marché, de fragiliser la production nationale et de menacer directement la pérennité des emplois et la valeur ajoutée locale ». « L’Etat veut donc prendre le pouls du marché avant de trancher ».
Ce n’est pas la première fois que la Sosucam sollicite le gouvernement pour obtenir la suspension des importations de sucre. Notons que la suspension des importations de sucre n’a pas toujours produit les effets attendus. Entre 2023 et 2024, malgré les annonces répétées d’autosuffisance, le pays a connu plusieurs périodes de pénurie. Pour y faire face, le pays a dû faire recours aux importations pourtant fortement découragé à l’époque par le gouvernement.
Pour cette campagne, la Sosucam affirme que « la situation actuelle du marché camerounais ne justifie nullement de nouvelles importations » et rassure que les besoins nationaux seront couverts. Mais les expériences récentes rappellent que les stocks annoncés ne suffisent pas toujours à prévenir les ruptures et que la distribution reste un maillon faible.
La décision cette année encore s’annonce délicate. Le Ministre du Commerce a demandé aux opérateurs leurs « réactions éventuelles », signe que le gouvernement ne veut pas répéter les erreurs de 2018 et 2024. L’étape qui s’ouvre est très décisive. Suspendre les importations comme le demande implicitement la Sosucam, serait cohérent avec la politique d’import-substitution. Mais rater l’approvisionnement du marché comme en 2024, exposerait le gouvernement à une nouvelle flambée des prix et à un fort mécontentement populaire, surtout à l’approche des fêtes de fin d’année.
Paul Nkala




