(BFI) – La décision d’une vingtaine d’Etats et institutions en marge de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26) de réduire drastiquement ou cesser les financements dédiés aux énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) en Afrique à partir de l’année prochaine, a suscité le débat. Résolument engagé dans la lutte contre les dérèglements climatiques, le continent doit composer avec une autre priorité : la transformation locale de ses matières premières dont le pétrole. Un dilemme Mahaman Laouan Gaya, Ingénieur pétrochimiste, ancien ministre au Niger et ancien secrétaire général de l’Organisation des producteurs de pétrole africains (APPO), s’exprime sur le sujet.
D’ici fin 2022, une vingtaine de pays et institutions réduiront drastiquement ou cesseront complètement le financement des projets d’énergies fossiles en Afrique, tel qu’annoncé en marge de la COP26 à Glasgow en novembre dernier. Quel avenir pour les économies dépendantes du pétrole qui ne font qu’extraire et exporter à l’état brut leurs ressources ?
En effet, en marge de la COP26) et à l’initiative du Royaume-Uni à l’occasion de la »Journée de l’énergie », une vingtaine de pays et institutions se sont collectivement engagés à mettre un terme au financement des combustibles fossiles à partir de la fin de 2022.A voir la liste des signataires de cette déclaration qui sont entre autres, le Canada, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, la Banque Européenne d’Investissement, etc…; des pays dont les économies ne pourront au grand jamais se démarquer des énergies fossiles, l’on est surpris par cette décision.
C’est aussi dans ces pays, que se trouvent les plus grands lobbyistes mondiaux des énergies fossiles, très intégrés dans toutes les strates politique et économique, sponsors de toutes les classes politiques dirigeantes occidentales et abonnés des sommets de Davos. Accompagnés par les puissances pétrolières mondiales (pays de l’OPEP+), ces indétrônables puissants magnats-lobbyistes (au nombre desquels, il y a les plus grandes multinationales pétrolières et parapétrolières, les plus grands traders mondiaux de matières premières, les plus grands fonds spéculatifs du monde, les méga-institutions bancaires et financières d’investissement, les grosses sociétés d’assurance, les plus grandes firmes automobiles et aéronautiques,….) ne se font aucune illusion sur l’impossible applicabilité d’une telle mesure.
Il est par ailleurs clair qu’aujourd’hui, les combustibles fossiles représentent 84,3% du bilan énergétique de la planète (avec 33,1% du pétrole ; 27% du charbon ; et 24,2% du gaz naturel) ; les énergies renouvelables 11,4% et l’énergie nucléaire 4,3% ; ce n’est donc pas de sitôt que cette tendance pourrait être inversée. Les énergies fossiles demeurent, pour l’instant, les combustibles les plus utilisés dans les transports et les industries et comme matières premières dans la synthèse pétrochimique (fabrication de millier de produits). Pour encore des dizaines d’années à venir, le transport aérien n’aura de substitut autres que les produits pétroliers (carburéacteur,…).
Pour leur part, les pays africains, sans trop s’inquiéter de cette décision, doivent néanmoins participer activement à la lutte contre le changement climatique, mais en ayant à l’esprit le développement des énergies alternatives propres… L’arrêt brutal et systématique de la production des énergies fossiles me paraissant pour l’instant peu ou pas envisageable en Afrique.
Il est désormais essentiel pour l’Afrique d’apporter sa pierre à l’édifice d’une planète durable. Mais alors que l’industrialisation figure en pole position des priorités du continent, celle-ci n’est-elle pas quelque peu compromise dans les économies dépendantes d’or noir ?
En tout cas, pas pour les raisons sus-évoquées, les pays africains producteurs ou pas de pétrole reconnaissent qu’aucun pays au monde ne puisse parvenir à la prospérité ni à un niveau de vie décent pour ses citoyens sans s’être doté d’un secteur industriel solide. C’est d’ailleurs pour cette raison que depuis les années 1960, les dirigeants africains n’ont de cesse de souligner l’importance du développement industriel pour assurer une croissance inclusive et résiliente et le rôle de l’industrialisation du continent a été maintes fois entériné dans de nombreux plans stratégiques. Rappelons pour mémoire, les 1ère, 2ème et 3ème Décennies du Développement Industriel de l’Afrique (IDDA), lancées depuis 1980 par des organisations régionales africaines avec l’appui de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI), mais qui malheureusement se sont toutes soldées par un échec, faute d’appropriation et de financement, mais beaucoup plus par égoïsme national et manque de volonté politique.
L’Agenda 2063 et la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf), cadres stratégiques de l’Union Africaine pour la transformation socio-économique du continent, appellent à promouvoir des plans sectoriels et de productivité, ainsi qu’à développer des chaînes de valeur régionales et de produits de base pour appuyer la mise en œuvre de politiques industrielles à tous les niveaux. L’Afrique commerce aujourd’hui plus avec le reste du monde qu’avec elle-même. La part du continent dans le commerce mondial est tombée d’environ 4% en 1980 à moins de 2% aujourd’hui (le pétrole constitue l’essentiel des exportations africaines).
Malgré les 12 à 13% que représente la part de l’Afrique dans la production pétrolière mondiale, le continent ne participe qu’à peine à 3 ou 4% de la consommation mondiale de pétrole. Et là aussi, une bonne partie de produits pétroliers que nous consommons nous est importée d’Europe (l’Europe qui ne produit pratiquement plus de pétrole brut ! …c’est donc le pétrole brut africain exploité pour l’essentiel par les compagnies étrangères, qui est exporté, raffiné et reversé en produits raffinés sur les marchés africains).
Le commerce intra-africain en hydrocarbures étant quasiment nul, seule une très faible quantité de produits raffinés fait l’objet de commerce transfrontalier. Pourtant, le potentiel en hydrocarbures (pétrole, gaz, charbon) africain peut très largement subvenir au besoin énergétique des 1,2 milliard d’habitants du continent et de ce fait, l’Afrique n’a nullement besoin de l’extérieur pour installer une véritable industrie pétrolière. C’est dommage que cette réalité n’ait attiré l’attention de personne au point où cela soit passé inaperçu dans la mise en œuvre de la Zlecaf.
Vous avez toutefois dirigé l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO) qui porte un projet de marché physique du pétrole…
L’APPO est en effet dans la perspective d’entreprendre avec l’Association des Raffineurs et Distributeurs Africains (ARA) une étude sur la création d’un marché physique africain du pétrole brut et des produits pétroliers ; et j’ose bien espérer qu’après la mise en place de ce marché physique, l’on puisse migrer plus tard vers sa financiarisation.
Malheureusement, l’extraversion des économies pétrolières africaines n’est pas un effet du hasard ; elles s’inscrivent dans un programme précis, dans lequel s’impliquent individuellement toutes les puissances étrangères. Si elle est corrigée et pleinement mise en œuvre, la Zlecaf permettrait de réorganiser les marchés et les économies du continent et stimuler la production dans les secteurs des services, de l’industrie manufacturière et des ressources naturelles. Les défis à relever pour industrialiser l’Afrique (économies pétrolières ou pas) sont nombreux, et les bénéfices larges et à portée de main.
Une industrialisation pétrolière propre (respectueuse de l’environnement) est-elle possible ? Les pays du continent en ont-ils les moyens ?
Votre question, pertinente, révèle que l’Afrique est à la croisée des chemins, parce que confrontée à des nombreux objectifs à priori contradictoires. L’Afrique a un besoin de satisfaire une demande croissante en énergie pour assurer la croissance économique à une population relativement jeune, sans cesse croissante et estimée à plus d’un milliard d’habitants, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre pour solutionner le problème du dérèglement climatique.
L’accès à l’énergie et plus particulièrement à l’électricité est un préalable au développement ; et des régions entières du continent en sont privées. Il s’agit là d’une urgence sociale, parce que sans cette énergie, il n’y a pas de lumière, pas d’accès ni à l’eau potable, ni à la santé, ni à l’éducation, ni à un minimum d’infrastructures. Force est aussi, de reconnaître que fort de son énorme potentiel en ressources fossiles, l’Afrique entend assurer son développement économique et social. Les pays africains producteurs ou futurs producteurs de pétrole et de gaz, n’entendent pas pour l’instant renoncer au développement de l’industrie pétrolière (qui suppose renoncer au développement socio-économique et à la lutte contre la pauvreté) en dépit des recommandations de la COP26. Arrêter ou même limiter le développement des projets liés aux énergies fossiles, aurait un impact économique profondément négatif, avec son corollaire de tensions sociales ingérables. Il y a là une urgence économique.
Les Africains ne sont pas responsables de la crise climatique actuelle, parce qu’avec 17% de la population mondiale, le continent ne contribue qu’à seulement 4% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Malgré ce taux extrêmement faible, les africains veulent bien agir contre le dérèglement climatique. Pallier les carences de l’exploitation des hydrocarbures en assurant une transition vers les énergies propres reste néanmoins un objectif possible, à condition que les pays du Nord -responsables pendant trois quarts de siècle du pillage des ressources fossiles du continent, et responsables de toutes sortes de pollutions (torchage des gaz, pollutions pétrolières maritimes, déversements de produits pétroliers toxiques,…)- assument pleinement leurs promesses (depuis 2009) de porter à partir de 2020 leur aide climat aux pays du Sud à 100 milliards de dollars par an.
L’Afrique peut bien respecter les engagements de contenir le réchauffement climatique à 1,5°C, mais il lui faut absolument des ressources financières additionnelles extérieures, et pour sa part, beaucoup plus compter sur soi-même avec la promotion des énergies de substitutions (énergies renouvelables, énergie nucléaire,…), l’accroissement substantiel de l’efficacité énergétique, le transfert des technologies de captage et de stockage du carbone et la multiplication des initiatives de restauration de l’environnement (reforestation).