(BFI) – Le 15 juin dernier, Gabriel Obiang Lima, ministre équato-guinéen du Pétrole, s’est officiellement opposé à l’organisation aux Émirats arabes unis de l’Africa Oil Week (AOW), l’un des salons africains les plus importants du secteur. L’évènement avait été déplacé à Dubaï à cause des restrictions liées au coronavirus en Afrique du Sud où il était initialement prévu. Le dirigeant équato-guinéen, qui est le seul Africain à s’être opposé à ce changement, a également annulé la participation de son pays. Pour lui, un évènement de ce type devrait avoir lieu en Afrique et nulle part ailleurs. Cette posture vient confirmer le leadership dont il fait preuve dans le secteur en Guinée équatoriale depuis plusieurs années, mais aussi en Afrique.
Les intérêts locaux d’abord
C’est un secret de polichinelle. En Afrique, les multinationales se taillent la part du lion dans les recettes issues de la commercialisation du pétrole et du gaz naturel. Les compagnies locales qui n’ont pas des capacités opérationnelles et financières suffisantes se retrouvent avec des parts marginales, et la faible application du contenu local fait que la manne pétrolière est globalement mal redistribuée.
Face à l’importance de créer plus de richesses autour des hydrocarbures, principaux pourvoyeurs de devises du pays, le ministre a initié une nouvelle loi sur le contenu local. Promulgué en 2014, le dispositif prévoit entre autres que tous les accords pétrogaziers comprennent des dispositions relatives au renforcement des capacités locales, et préférence est donnée aux entreprises locales en termes de contrat de services. Dans les cas où il n’y a pas d’entreprise locale pour réaliser le projet, les producteurs ou explorateurs doivent donner la priorité aux entreprises détenues par des ressortissants des États de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEMAC).
L’industrie des services qui s’est par la suite développée a ouvert la voie à une amélioration non négligeable des performances macroéconomiques du pays. Selon des chiffres datant de 2018, les taxes recueillies dans ce secteur ont entraîné une augmentation de 7,2 % des recettes non pétrolières cette année.
En juillet 2018, le ministère du Pétrole a ordonné aux compagnies pétrolières opérant sur le territoire d’annuler leurs contrats avec le fournisseur de services CHC Helicopter, qui a enfreint une règle de la loi sur le contenu local. CHC avait alors attribué plusieurs contrats de services à des entreprises étrangères. La société fut sommée de quitter le pays dans un délai de 60 jours. « Ces lois sont en place pour protéger et promouvoir l’industrie locale, créer des emplois pour les citoyens, promouvoir le développement durable de notre pays, et nous surveillons et faisons respecter ces exigences.», a déclaré le responsable.
En vue de développer les capacités de la main-d’œuvre locale pour capter davantage d’opportunités dans le secteur des services pétroliers, Obiang Lima a signé un accord avec le Southern Alberta Institute of Technology (SAIT Polytechnic) en 2016. L’entente implique pour la partie canadienne de fournir aux ressortissants équato-guinéens une formation technique complète de deux ans sur les connaissances de base et technologiques en matière de pétrole et de gaz.
« Cette initiative a été mise en place pour s’assurer que la main-d’œuvre des secteurs des mines et de l’énergie est bien au courant des dernières tendances dans le domaine, et possède les compétences requises pour stimuler les activités », a indiqué un communiqué officiel. Le pays envisage d’avoir à long terme, d’importants éléments qui pourront concurrencer les géants du secteur des services à l’échelle mondiale.
Un bras de fer gagnant
C’est sous l’impulsion de Gabriel Obiang Lima qu’en 2009, BG Group a accepté de renégocier son accord gazier avec Malabo sur EG LNG, la seule usine de production de gaz naturel liquéfié du pays.
Pour rappel, en 2004, la société anglaise avait signé un contrat d’off-take avec la Guinée équatoriale sur le futur GNL d’EG LNG. Elle avait prévu de commercialiser ce GNL aux États-Unis à partir de 2007, date du début de la production, à 6 dollars par million d’unités thermiques britanniques (mmBtu), ceci sur 17 ans. Selon l’accord, la Guinée équatoriale devait toucher 25% des recettes des exportations annuelles de GNL (3,4 millions de tonnes par an). Mais une fois le deal signé, en 2005, le boom gazier qui survient aux Etats-Unis va faire descendre le prix à 4 dollars. BG va se tourner vers l’Asie où le prix du mmBtu affiche 15 dollars, signant l’accord gazier le plus lucratif de tous les temps et refusant de renégocier le contrat. C’est grâce à des manœuvres conduites par Obiang Lima que la société britannique accepte finalement de reverser à Malabo 20 millions de dollars supplémentaires par trimestre et de financer des projets sociocommunautaires.
Bien qu’il veuille tirer le drap du côté des intérêts locaux, Gabriel Obiang Lima a annoncé en mai 2020, alors que la pandémie du coronavirus affectait les investissements dans le secteur, que le ministère prolonge de deux ans des programmes d’exploration de pétrole et de gaz dans le pays. Si cette mesure est une fleur faite aux explorateurs, elle permettra aussi de maintenir les emplois dans le secteur lorsque les programmes arriveront à terme. Il arrive que des compagnies ne renouvellent pas leurs programmes d’exploration, car malmenées par la morosité financière.
En mars 2020, Obiang Lima a annoncé que l’État a décidé de renoncer temporairement à encaisser les redevances des compagnies locales de services pétroliers, afin de les soutenir dans la crise. « Le ministère des Mines et des Hydrocarbures a pris la décision unanime de renoncer à ses redevances pour les sociétés de services, pour une durée de trois mois. Nous reconnaissons que le secteur pétrolier reste le plus grand employeur du secteur privé dans le pays et nous voulons donner à nos entreprises de services locales les moyens de résister à la tempête et d’éviter toute perte d’emploi », a-t-il affirmé.
Partage
En 2017, le ministre avait aussi initié le programme LNG2Africa dont l’objectif est de permettre aux pays d’Afrique centrale et occidentale d’avoir accès au GNL, une énergie abordable, pour produire de l’électricité et réduire leurs émissions de CO2. Dans la première phase du programme, la Guinée équatoriale compte s’appuyer sur la future production du projet Fortuna FLNG (2,2 millions de tonnes par an).
La moitié de cette production sera exportée vers les marchés émergents, et Malabo a décidé que le reste serait distribué à ses voisins de la sous-région afin de les aider à améliorer leur production électrique.
« Il est impératif que les pays africains monétisent leur gaz, et que les utilisateurs d’énergie bénéficient de cette ressource moins chère, plus propre et produite localement. La Guinée équatoriale s’est engagée à travailler avec ses voisins de la région pour trouver des solutions qui profitent à tous », a commenté le dirigeant.
lus tard en novembre 2019, lors du deuxième séminaire international du Forum des pays exportateurs de gaz naturel (FPEG) qui a eu lieu à Malabo, il a déclaré : « La valeur ajoutée du gaz est énorme. Nous avons la possibilité de nous en servir pour produire de l’électricité à moindre coût et donc d’améliorer les conditions de vie de nos populations, mais aussi par exemple d’installer des usines pétrochimiques dont la valeur ajoutée est considérable ».
Le programme LNG2Africa a quelque peu été ralenti par l’échec des négociations visant à mettre en œuvre l’installation de liquéfaction de GNL Fortuna FLNG. Mais des accords de livraison de gaz ont déjà été signés avec le Ghana, le Togo, la Sierra Leone et le Burkina Faso. La Guinée Équatoriale envisage de se servir de la plateforme portuaire togolaise pour la fourniture de GNL aux pays de l’hinterland. Une fois arrivé au port de Lomé, le GNL sera regazéifié avant d’être acheminé vers les pays enclavés que sont le Niger, le Mali et le Burkina Faso.
Même si le projet Fortuna FLNG est en suspens, Malabo reste engagé vis-à-vis de LNG2Africa. De nouvelles capacités de production de GNL sont actuellement en cours de développement à Punta Europa, à partir du champ Alen entré en production en février 2021. La Guinée équatoriale veut jouer un rôle fédérateur au sein des producteurs et futurs producteurs africains d’hydrocarbures, notamment autour des enjeux cruciaux du secteur que sont le financement et le développement des infrastructures.
En juin 2019, lors d’un évènement en Angola, Gabriel Obiang Lima a déploré le manque de dynamisme dans le secteur en Afrique, et insisté sur la nécessité pour les compagnies publiques locales du pétrole de renforcer leur coopération. Ceci afin de développer de nouveaux projets. « Nos compagnies pétrolières nationales dorment et devraient s’engager à explorer mutuellement des opportunités et des projets de co-entreprise en Afrique. Nous devons réunir les compagnies nationales et les sociétés de services. La Guinée équatoriale […] favorisera ce dialogue », a-t-il proposé.
Formé au Texas
Gabriel Obiang Lima, 48 ans, est le fils du président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo et le demi-frère de Teodorin Nguema Obiang Mangue, vice-président de la Guinée équatoriale, en délicatesse avec la justice française.
Diplômé en économie de l’Alma College à Dallas au Texas, il fait ses premiers pas dans le secteur pétrolier à Malabo en 1997. Pendant les trois années qui ont suivi, il a travaillé à assurer les intérêts de l’État dans les contrats de partage de production et a conseillé son père sur les questions liées aux hydrocarbures. Par la suite, il a été secrétaire d’État aux mines et aux hydrocarbures de 1999 à 2003, et vice-ministre des Mines, de l’Industrie et de l’Énergie en 2003. Il dirige la politique pétrolière du pays depuis lors. Sous sa houlette, la Guinée équatoriale est devenue en 2017, le 14ème membre de l’OPEP.