(BFI) – Déjà bien engagé dans des réformes pour rendre son environnement économique plus attractif, le Cameroun devra poursuivre ses efforts, en se basant sur d’autres baromètres. La publication des rapports du Doing Business étant annulée par l’institution de Brettons Woods.
C’est désormais acté ! Les 190 pays du monde soumis au classement Doing Business de la Banque mondiale devront désormais s’en passer. En effet, après deux suspensions, pour cause d’irrégularités dans la collecte des données, la publication de ce rapport a été finalement annulée le 16 septembre 2021, par l’institution. Des défauts qu’on pourrait noter dans bon nombre de classements différents de ceux du groupe de la Banque mondiale. Il faut dire que ces irrégularités, constatées sur les éditions 2018 et 2020 du rapport sont vraiment de nature à entacher la crédibilité et le sérieux des équipes dédiées à ce travail. «Les allégations entourant l’édition 2018 du rapport Doing Business de la Banque mondiale sont graves et doivent l’objet d’une enquête », souligne un collectif de ministres africains des Finances et de l’Economie.
En effet, la crise couve depuis 2018, avec la démission de Paul Romer, chef économiste de la banque, un an après avoir été porté à ce poste. Il dénonçait alors un manque d’honnêteté dans certaines données des pays. Cette année, c’est le Chili, dont la place dans le classement a visiblement dépendu des personnes à la tête du pays, qui a fait des vagues. Des manipulations au sujet de la Chine ont également fait couler encre et salive.
Selon certaines sources, dont RFI, en 2018 expliquait que « la banque a besoin de financement. Son premier contributeur, les Etats-Unis de Donald Trump, est peu enthousiaste. Difficile dans ce contexte, de vexer son troisième contributeur, la Chine, qui devait dégringoler cette année-là de huit marches ». C’est ainsi que la Chine a conservé sa 78e place au classement. Ces faits ont donc poussé, en mars 2021, des centaines d’organisations de la société civile à signer une pétition réclamant l’arrêt de la production de ce document.
Au Cameroun l’on a toujours déploré le fait que malgré un ensemble de réformes engagées et qui portaient des fruits, le pays restait parmi les moins bien classés. Notamment pour ce qui est de la compétitivité fiscale, point pour lequel le Cameroun a occupé le 181e rang sur 190 économies au cours de quatre années consécutives. La Banque mondiale ayant estimé que les réformes engagées n’étaient pas suffisamment porteuses.
Même la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés (de 35% à 30%), la dématérialisation des procédures fiscales et la délivrance en ligne des documents fiscaux depuis 2017, l’amélioration du remboursement des crédits de TVA à travers la mise en place d’un compte séquestre et le remboursement automatique sans contrôle préalable des crédits de TVA n’y ont rien changé. Les autres critères évalués par la Banque étant l’obtention du permis de bâtir, l’accès à l’électricité, la réglementation de la création d’entreprise, l’enregistrement des propriétés, l’obtention d’un crédit, la protection des investisseurs minoritaires, le commerce transfrontalier, entre autres.
Pour mémoire, instaurés en 2002, les travaux du classement Doing Business guidaient les actions des politiques, aidaient les pays à prendre des décisions et permettaient aux parties prenantes de mesurer les progrès économiques et sociaux avec plus de précisions. Le secteur privé, la société civile, le monde universitaire et des médias, ainsi que d’autres acteurs s’appuyaient également sur ce document pour comprendre les enjeux économiques du monde.
« L’administration fiscale poursuivra son plan de réformes » Maximilien Nomo, Point Focal Doing Business à la Direction générale des impôts.
La publication du rapport Doing business, qui classait les pays en fonction de l’attractivité de leur environnement des affaires, est définitivement arrêtée. Les services fiscaux avaient questionné la méthodologie aboutissant à ces classements, notamment sur le volet paiement des impôts et taxes, finalement vos observations se confirment avec ce dénouement…
Au-delà de l’indicateur « paiement des impôts » auquel vous faites allusion, il s’agit en réalité d’un constat général de la part de bon nombre d’observateurs. C’est en effet un secret de polichinelle que les scores attribués à certains pays dans le classement Doing Business paraissaient parfois en déphasage avec les progrès observés. En ce qui concerne le Cameroun et plus spécifiquement le volet « paiement des impôts », il est important de relever qu’en dépit des nombreuses réformes mises en œuvre, notre pays est resté l’un des moins performants, en termes de compétitivité fiscale, occupant pratiquement le 181e rang sur 190 économies au cours de quatre années consécutives.
Selon la Banque Mondiale, les performances du Cameroun s’expliqueraient notamment par un taux d’imposition des bénéfices des entreprises jugé élevé (57,7%), un nombre d’heures élevé consacré en moyenne sur une année par les entreprises pour l’accomplissement des démarches fiscales (624 heures) et un nombre de paiements à effectuer par an jugé exorbitant (44).
Il est tout à fait incompréhensible que de nombreuses avancées opérées sur la même période par l’administration fiscale camerounaise en relation avec certaines de ces récriminations n’aient pas été prises en compte. J’évoquerais à cet égard, sans être exhaustif, la baisse de cinq points du taux de l’impôt sur les sociétés, qui est passé de 35% à 30%, la dématérialisation des procédures fiscales et de la délivrance en ligne des documents fiscaux depuis 2017, l’amélioration du remboursement des crédits de TVA à travers la mise en place d’un compte séquestre et le remboursement automatique sans contrôle préalable des crédits de TVA au profit des entreprises citoyennes et la consécration du principe d’une seule intervention des services fiscaux par an au sein des entreprises à l’occasion des opérations de contrôle fiscal, sans oublier la densification de notre réseau de conventions fiscales. Cette incompréhension était d’autant plus forte que la DGI camerounaise avait des éléments de comparaison des pratiques dans de nombreux autres pays et nous avons été toujours convaincus que nous n’avions pas à rougir de nos performances, et que nous pouvions même soutenir la comparaison avec des pays cités en modèle, surtout en ce qui concerne la digitalisation des opérations fiscales.
Un économiste faisait observer que le Doing Business avait fini par conduire les Etats à accorder « la priorité à la création d’environnements à faible fiscalité et à faible rendement, parfois au détriment de considérations macro-économiques ». Est-ce vraiment la solution pour une amélioration du climat des affaires?
Avec cette approche d’évaluation des réglementations fiscales, la tentation n’était pas uniquement d’accorder plus d’attention à des mesures d’allègement de la charge fiscale des entreprises au détriment de la viabilité des finances publiques, mais également de mettre en place des mesures fiscales non conformes aux attentes réelles du secteur privé. Je voudrais préciser d’emblée que la fiscalité n’est pas le seul facteur déterminant de l’investissement. Plusieurs autres facteurs influencent bien avant la fiscalité la décision de l’investisseur.
Il en est ainsi de la stabilité économique et sociale, de la taille du marché, de la qualité des infrastructures, de l’offre énergétique, de la disponibilité de la main d’œuvre qualifiée et des risques de change, pour ne citer que ceux-là. De ce point de vue, les attentes du secteur privé vis-à-vis de l’administration fiscale visent plus la simplification des procédures que la diminution de la charge fiscale en soi. Il convient ensuite de relever qu’en ce qui concerne le Cameroun, le niveau de pression fiscale, qui mesure le poids des prélèvements obligatoires sur le Produit Intérieur Brut (PIB), demeure perfectible, les entreprises faisant souvent l’amalgame entre leurs impôts propres et ceux dont elles sont simplement redevables légaux.
Les pays avaient quand même une certaine pression par rapport à ce classement qui donnait la température du climat des affaires dans le monde. Est-ce que l’arrêt de la publication du Doing business ne va pas faire tomber la fièvre réformatrice dans les différents pays notamment le Cameroun ?
Sans aucun doute, l’idée en soi d’une classification des pays selon un indice de la facilité de faire les affaires est louable, encore faudrait-il qu’une telle classification repose sur des critères objectifs ainsi que sur une méthodologie rigoureuse. Il est tout à fait regrettable que les résultats escomptés de cette publication aussi bien des pouvoirs publics que de la communauté des affaires n’aient pas été obtenus, au regard des irrégularités évoquées plus haut. En revanche, la suspension de la publication du rapport Doing Business ne mettra pas un terme aux efforts d’amélioration du climat des affaires.
C’est le lieu de rappeler qu’en ce qui concerne notre pays en particulier, l’amélioration de l’environnement des affaires est l’un des axes majeurs de la politique budgétaire dont les orientations sont fixées par le président de la République. Bien plus, la problématique de l’amélioration de l’environnement fiscal des affaires est également inscrite dans le Programme 271 du Ministère des Finances. Aussi, en droite ligne des orientations et prescriptions des autorités, l’administration fiscale a toujours mené d’importantes réformes sans que son objectif ne soit la recherche d’un meilleur classement Doing Business.
L’idée a toujours été que le principal bénéficiaire des services fiscaux est l’usager, et c’est à l’aune de l’appréciation que fait celui-ci de la qualité du service qui lui est offerte que l’administration peut trouver sa satisfaction, et, dans le cas de notre pays, les retours des contribuables sont particulièrement positifs sur les réformes menées. De ce fait, l’administration fiscale poursuivra sans relâche son plan de réformes visant aussi bien la mobilisation optimale des ressources afin de permettre l’accomplissement des missions régaliennes de l’Etat que l’amélioration de l’attractivité du Cameroun et la compétitivité de son économie.
Sur le plan national, des rapports sont produits notamment par l’Institut national de la Statistique, la Chambre de Commerce, etc. Est-ce qu’il n’est pas temps d’accorder plus d’importance à ces rapports ?
L’évaluation est indispensable pour l’amélioration de l’efficacité des politiques publiques. Toutefois, et je m’en voudrais de ne pas le rappeler, la crédibilité d’une évaluation repose avant tout sur la capacité des institutions dédiées à l’asseoir sur une démarche méthodologique pertinente et à même de garantir des résultats objectifs. En ce qui concerne le Cameroun, vous faites bien de relever que certains organismes, à l’instar de l’Institut National de la Statistique, ont mené des travaux ayant trait à l’amélioration de l’environnement des affaires. Pour être plus précis, je voudrais mentionner les travaux d’évaluation d’impact des réformes issues des recommandations du Cameroon Business Forum, effectués en 2019 par cette institution.
Cette étude désigne, à juste titre, l’indicateur « Paiement des impôts » comme le plus réformateur dans notre pays sur la période 2009 à 2018, avec 19 réformes mises en œuvre sur un total de 83 adoptées sur différents axes d’intervention du CBF. Relativement à l’évaluation du niveau de satisfaction des contribuables qui sont les destinataires de ces réformes, l’INS relève un niveau élevé de satisfaction en ce qui concerne notamment les téléprocédures fiscales et les innovations apportées en matière de remboursement des crédits de TVA. Je rappelle, pour finir, qu’une enquête réalisée en 2018 avec l’appui de la coopération allemande (GIZ) sur la même thématique a également fait le constat d’une satisfaction totale des contribuables.