(BFI) – Evoluant dans l’univers de la bancassurance européenne depuis une quinzaine d’années, Esther Misheng s’est entre temps engagée à mettre son expérience à profit pour contribuer à démocratiser les assurances dans son pays d’origine, la RD Congo, qui a libéralisé le secteur en mars 2019. Un marché qui devient rapidement un terrain de concurrence attirant petits et grands opérateurs, mais dont l’énorme potentiel, du fait de ses 105,04 millions d’habitants, est encore peu exploité.
Ardeur au travail et altruisme. Ces termes ressortent tout de suite lorsqu’elle évoque ces traits de caractère qui appuient sa carrière dans la bancassurance européenne depuis quinze ans. Une expérience qu’Esther Misheng met désormais au service des communautés dans son pays d’origine la République démocratique du Congo (RDC), pour y vulgariser les services d’assurance.
Diplômée en économie de l’Université d’Utrecht et en sciences de la gestion de l’Université de Mons, Esther Misheng passe d’abord par la Banque centrale des Pays-Bas en tant qu’analyste financier puis auditeur interne. Elle y a notamment analysé la situation financière des compagnies d’assurances du groupe ING, une institution hollandaise de premier plan. Depuis une dizaine d’années, Esther Misheng évolue chez un opérateur belge de bancassurance où elle officie à un poste de direction. Son engagement pour la vulgarisation des services d’assurance en RDC est parti d’un constat. « Il est important que les gens comprennent le bien-fondé des assurances et saisissent bien que c’est aussi une opportunité pour de se faire assister en cas de sinistre », confie la financière dans un entretien avec La Tribune Afrique.
Un secteur libéralisé et attractif, mais qui peine à décoller
Esther Misheng a vu l’opportunité d’apporter sa pierre à l’édifice du secteur congolais des assurances lorsqu’il y a six ans, en mars 2015, est promulguée la loi 15/005 portant code des assurances qui régit la libéralisation du secteur. Mais ce n’est qu’en mars 2019 que celle-ci est finalement actée. Tout de suite, six opérateurs (trois pour l’assurance non-vie, un pour l’assurance vie et deux pour le courtage) reçoivent leur sésame pour opérer sur le marché, aux côtés de la Société nationale d’assurance (Sonas), l’opérateur public historique qui a longtemps conservé le monopole. Depuis mars 2020, un autre opérateur et pas des moindres s’est positionné après avoir obtenu son agrément des mains de l’Autorité de régulation du secteur des assurances (Arca) : le panafricain Sunu du tycoon sénégalais Pathé Dione. « Cette libéralisation est très positive, parce que le secteur des assurances contribue au développement économique d’un pays. En RDC, nous avions les banques, mais les assurances ne contribuaient pas vraiment à l’économie parce qu’il n’y avait que la Sonas dont les produits d’assurance étaient peu connus », commente cette financière engagée.
Avec plus de 105 millions d’habitants, la RD Congo dispose d’un marché des assurances, certes naissant, mais qui intéresse les opérateurs pour son énorme potentiel. Le secteur pèse actuellement 100 millions de dollars selon les données de l’Arca qui projette une évolution à 800 millions de dollars à court terme et 3 à 4 milliards de dollars d’ici 2027. « Malheureusement malgré la libéralisation, le secteur a du mal à décoller, parce que les consommateurs et potentiels consommateurs de produits d’assurance n’y ont pas été préparés. Résultat, les souscriptions restent peu nombreuses », explique Misheng qui a multiplié les échanges avec certains acteurs. Or, l’ambition de l’Arca est non seulement d’en faire un secteur dynamique d’un point de vue économique, mais aussi inclusif, c’est-à-dire « offrant les produits d’assurances adaptés aux besoins de la population et accessibles au plus grand nombre », indique le régulateur dans un document officiel. « Jusqu’ici, ce sont surtout les entreprises qui souscrivent. Mais même là encore, un véritable travail de sensibilisation est nécessaire », souligne cette professionnelle.
Plateformes d’échanges pour tous les niveaux
Historiquement, l’assurance automobile a toujours été le produit le plus populaire dans le pays. « Pendant longtemps, les gens y souscrivaient sans toujours en comprendre le bien-fondé et surtout parce que c’est une assurance obligatoire. Un gros travail de sensibilisation est vraiment nécessaire pour faire comprendre aux populations l’utilité des assurances, faire comprendre aux gens ce que c’est que l’assurance vie, non-vie, leur faire comprendre les enjeux… », insiste Misheng. Et d’ajouter : « une assurance comme l’assurance maladie est très importante à vulgariser dans un pays comme la RDC ».
Depuis la libéralisation, Esther Misheng multiplie les plateformes d’échanges pour expliquer les systèmes d’assurance. Elle s’est en plus lancée cette année dans l’organisation d’un forum annuel à Kinshasa et Lubumbashi qui se tiendra en avril. Placé sous le haut patronage du président Félix Tshisekedi, l’évènement mettra l’accent notamment sur les questions liées au développement des assurances. La retransmission sur les différents réseaux sociaux devrait permettre, espère-t-elle, de toucher le plus grand nombre.
Sa conviction : des avancées sont possibles malgré la réalité économique
A l’instar de plusieurs pays du continent cependant, le bât blesse véritablement au niveau de la réalité économique d’une frange importante de la société congolaise. 72% de la population vit sous le seuil de la pauvreté, selon les données de la Banque mondiale en 2018. La financière en a conscience. « Il est vrai que tant que les gens ne sont pas à mesure de satisfaire leurs besoins primaires, je les vois mal souscrire à des produits d’assurance. Mais cette réalité propre à plusieurs africains n’a pas empêché certains d’avoir une base considérablement dans le secteur des assurances. En Afrique subsaharienne, je citerai le cas du Sénégal et du Cameroun qui, grâce à un nombre relativement important de consultants dans le domaine des assurances, ont considérablement progressé », défend-t-elle.
La formation au cœur de son action
Pour faire avancer sa cause, Esther Misheng s’est aussi attaquée au volet formation. En partenariat avec le Centre congolais allemand de microfinance -l’un des cinq centres d’excellence en Afrique parrainé par les services d’échanges universitaires allemands, la financière met en place une licence professionnelle pour la formation continue des praticiens et une licence académique pour tout Congolais désireux de devenir un professionnel du secteur. Pour elle, c’est un passage obligé pour mener à bien le travail de vulgarisation et faire comprendre au citoyen lambda qu’il peut saisir l’opportunité de se faire assister en cas de sinistre.