(BFI) – Si la crise liée au Covid-19 a plongé l’Afrique dans une récession économique inédite, le continent a aussi montré sa résilience.
Sur un continent où la pandémie de Covid-19 fait pour l’heure plus de dégâts économiques que sanitaires, à quoi faut-il s’attendre pour l’année 2021 ? La réponse, loin d’être évidente, est déjà riche d’enseignements. D’abord parce que le continent revient de loin. La Banque mondiale l’a rappelé dans ses dernières prévisions économiques publiées début janvier, la récession qui s’est abattue sur le monde en 2020 est d’une ampleur inédite depuis les deux guerres mondiales. Et pas un continent n’est épargné. Alors que les prévisions tablaient sur une croissance de près de 4 % en 2020, c’est une récession de 2,6 % qu’a enregistrée l’Afrique. Yasmine Osman, économiste au sein du département Afrique de l’Agence française de développement, estime que « pas même la crise financière de 2008 ou le choc pétrolier de 2015-2016 n’avaient conduit autant de pays africains en récession de façon simultanée ». Soit plus d’une quarantaine sur les cinquante-quatre que compte le continent. Il faut souligner que dans les grandes économies africaines, la croissance repose toujours sur les prix des matières premières, la mise à l’arrêt de l’économie mondiale les a donc fortement pénalisés. L’accès à l’aide financière s’est également rétréci, alors que la crise sanitaire a posé d’énormes problèmes budgétaires. Pour faire face, peu de gouvernements ont disposé de capacités d’endettement. À partir de ces constats, deux ensembles régionaux semblent se dessiner même s’il n’est pas question pour le moment de grands bouleversements.
Un choc économique sans précédent
Un premier groupe – qui comprend des pays fortement marqués par la baisse des cours des matières premières, la chute du tourisme et la demande extérieure – se distingue. Le Nigéria est en ce sens un cas d’école. En tant que première économie africaine en termes de taille du PIB, la situation économique de ce géant africain conditionne celle du continent. « Le déroulement de la crise dans ce pays est symptomatique de la vulnérabilité des pays dépendants de leurs ressources extractives à un retournement de la conjoncture mondiale et des cours des matières premières », analyse pour Le Point Afrique Yasmine Osman. Chez le géant ouest-africain, la croissance a reculé à – 4,3 % en 2020, un taux bien en dessous de la moyenne africaine. À l’autre bout, l’Afrique du Sud, deuxième économie africaine, déjà fragilisée par plusieurs années de croissance faible depuis la crise de 2009, a subi de plein fouet les conséquences de la pandémie. Rapidement touché sur le plan sanitaire, le pays a déclaré « l’état de catastrophe » et a mis en place un confinement strict. « Le choc externe a également été considérable » pointe l’analyste. L’Afrique du Sud est très exposée aux risques externes à cause de sa dépendance à la demande mondiale, notamment des minerais et des métaux dont les exportations représentent 10 % du PIB. Le pays s’est également fermé aux touristes et aux capitaux étrangers. Globalement, en 2020, les IDE vers l’Afrique se sont effondrés de 30 à 40 % et les envois de fonds ont chuté de 9 %, une situation qui n’a laissé que peu de marge de manœuvre aux ministres des Finances africains.
Des pays africains qui résistent tant bien que mal
Dès le mois de mars, les institutions financières et les agences de notation ont alerté sur la question de la dette dans ce contexte pandémique. Presque un an plus tard, malgré les inquiétudes persistantes sur le sujet, il n’y a pas eu véritablement d’effets sur les niveaux d’endettement. La dette publique de la région a même bondi de 8 points pour atteindre environ 70 % du PIB, selon le FMI. Les conséquences sont déjà graves puisque l’augmentation des obligations de paiement des intérêts a conduit certains États à sacrifier leurs objectifs de développement surtout dans les domaines de l’éducation ou la santé. Pour autant, tout n’est pas perdu et certains signaux permettent d’espérer un rebond de l’activité en 2021. C’est du moins ce que suggèrent la plupart des prévisions. Pour certains observateurs comme l’Agence française de développement, qui publie ces jours-ci, L’Économie africaine 2021, (éd. La Découverte), le continent africain, « frappé d’une présomption de fragilité », a déjà fait « la preuve de sa résilience ». Le continent africain a été relativement moins touché sur le plan sanitaire, avec moins de 5 % des cas avérés alors qu’on lui prédisait des pertes immenses en vies humaines. En serait-il de même sur le plan économique ? Affirmatif, répondent les chercheurs et experts qui ont participé à l’ouvrage de l’AFD. Car tous les pays n’ont pas été touchés de la même manière par la crise sanitaire. Au milieu de ce marasme, quelques pays sont parvenus à rester dans le vert. D’où l’émergence d’un deuxième groupe de pays, où l’activité économique semble avoir mieux résisté.
Des réalités contrastées
Parmi eux, certains pays diversifiés d’Afrique de l’Est sont parvenus à maintenir des taux de croissance positifs. L’Egypte aussi, qui, à l’opposé du Nigéria, dispose d’une économie plus diversifiée et peut compter sur la solidité de son marché intérieur, et ce, malgré l’effondrement du tourisme. Résultat, le pays est l’un des rares à avoir enregistré une croissance positive en 2020 (+ 3,5 %). En Afrique de l’Ouest, « quatre pays – le Ghana (deuxième économie de la région après le Nigeria), la Côte d’Ivoire, le Bénin et la Guinée – font partie des dix économies d’Afrique aux taux de croissance les plus élevés en 2020. » Non loin, au grand Sahel, la récession est restée relativement contenue, malgré les nombreux défis et la pression constante des djihadistes au Mali, au Niger ou au Burkina Faso. La montée des cours de l’or qui affichent une hausse de près de 30% sur l’année 2020 a permis à cette sous-région de résister. « Ces régions sont également peu dépendantes du tourisme dans l’ensemble et des capitaux étrangers », expliquent les experts de l’AFD. Mais il faut prendre ces chiffres avec prudence. Le Niger a beau afficher une croissance de 1 % fin 2020, selon la Banque mondiale, ce taux est très loin des 7 % en 2018 et 6 % en 2019. Ce pays, parmi les plus pauvres, doit nécessairement retrouver une croissance bien plus vigoureuse pour créer les emplois dont sa jeunesse a besoin. Pour tous ces pays, 2021 sera probablement tout aussi difficile que 2020. Surtout, si l’on prend en compte le facteur social, l’autre facette de la pandémie. L’année dernière, il y a eu une baisse de 6,1 % du revenu par habitant pour l’Afrique subsaharienne, la « contraction la plus profonde jamais enregistrée », indique la Banque mondiale dans ses dernières perspectives mondiales. Il y aura une autre baisse de 0,2 % cette année qui aura de fortes conséquences sur l’extrême pauvreté et le creusement des inégalités. Comme de nombreux observateurs, l’AFD craint que la crise n’efface dix ans de progès en matière de développement.
Défis et enjeux de demain
D’autant que les besoins de financement de l’Afrique restent importants : ils s’élèveraient à environ 1 200 milliards de dollars pour la période 2020-2023 selon le FMI. « Cette crise est venue rappeler les défis de long terme qui se posent en Afrique », souligne Yasmine Osman. « Déjà avant la crise, les pays d’Afrique de l’Ouest présentaient un dynamisme économique plus important que la moyenne africaine. En revanche, les modèles de croissance de ces pays reposent encore trop largement sur l’investissement public », note l’experte. Un des défis majeurs pour ces pays est donc d’accompagner le secteur privé pour lui permettre de jouer pleinement un rôle moteur dans la croissance. Il paraît évident, pour l’AFD, que les États auront un rôle majeur à jouer. Ils devront prioriser leurs dépenses de façon à pouvoir continuer à soutenir les secteurs et les acteurs les plus impactés par la crise et investir dans les secteurs porteurs, qui leur permettront d’atteindre leurs objectifs de développement. Optimistes, les experts et chercheurs qui ont planché sur cet ouvrage sont convaincus que l’Afrique reste le continent des opportunités, une nouvelle frontière économique qui, outre ses richesses naturelles, dispose de ressources humaines nombreuses. Elles sont à la fois la force et la faiblesse de l’Afrique. « Or, l’intégration de cette jeunesse sur le marché du travail est un défi d’ampleur : il faudra lui fournir beaucoup plus d’emplois qu’aujourd’hui. De surcroît, ces générations seront de plus en plus éduquées », apprend-on.
L’État appelé à jouer un rôle plus important
Concrètement, l’Afrique n’est pas restée les bras croisés. En novembre dernier, la Côte d’Ivoire a pu procéder à la première émission d’eurobond d’Afrique subsaharienne depuis la crise. L’inforamtion a fait le tour du monde. « Cette opération, considérée comme une réussite par l’ensemble des observateurs, souligne Yasmine Osman, en raison notamment du taux historiquement faible obtenu, fait de la Côte d’Ivoire un des pays africains les plus attractifs », écrit l’économiste. Dans le même registre, le Bénin a pu, quelques mois seulement après la Côte d’Ivoire, lever un milliard d’euros sur les marchés financiers. Là aussi, un succès souligné par les observateurs. Voilà qui bouscule les idées reçues sur l’Afrique. D’autant plus que « ces deux opérations ont un sens économique dans la mesure où elles s’inscrivent dans le cadre des stratégies de gestion dela dette des pays visant à réduire les risques de refinancement et d’allonger la maturité moyenne de la dette publique, ajoute Yasmine Osman. « Une partie des fonds levés à travers les nouvelles émissions visent en effet à racheter de précédentes obligations souscrites à des taux plus élevés ». Ces pays en ont-ils pour autant fini avec la crise ? Ce serait aller vite en besogne. Les défis pour l’ensemble du continent sont immenses. L’AFD en a identifié quatre, en tête desquels figure en bonne place le renforcement des secteurs de la santé et de la protection sociale. Car il reste du chemin à l’Afrique pour trouver la voie étroite qui lui permettra de se développer, sans laisser nombre de ses habitants sur le côté. Dans cet objectif, il apparaît comme crucial d’attaquer la question de la gouvernance. Peut-être le plus difficile à résoudre.
André Noir