(BFI) – Sortir les irritants politiques que sont les symboles hérités du colonialisme, c’est bien. Refonder une coopération plus égalitaire avec l’Afrique, c’est mieux !
La commission des Finances de l’Assemblée nationale examine aujourd’hui une réforme de l’accord avec les États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (Uemoa) qui supprime deux caractéristiques du régime actuel de garantie de parité à l’euro. La banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest n’aura plus l’obligation de déposer 50 % de ses réserves sur un compte du Trésor et il est mis fin à la présence de représentants français dans les instances de gouvernance de l’Union monétaire. Comme l’indiquaient les hauts fonctionnaires du Trésor auditionnés par notre commission en février dernier, cette réforme vise à « sortir les irritants politiques », c’est-à-dire des symboles hérités du contexte colonial, comme la dénomination du « franc CFA ».
Cependant, sur le fond, l’accord monétaire demeure inchangé. Cette réforme pose des questions sur ses conséquences directes, opérationnelles, pour nos partenaires africains, et en second lieu, sur notre coopération non pas seulement monétaire mais aussi économique avec les États ouest-africains. Ainsi, il ne devrait plus y avoir de représentant français au sein des instances de gouvernance de la Banque centrale ouest-africaine. Cependant l’article 4 du traité prévoit que le conseil des ministres de l’Uemoa nommera au Comité de politique monétaire de la BCEAO une personnalité qualifiée en concertation avec la République française. Cette personne est censée apporter une expertise sur la politique monétaire de la zone euro. En la matière, gardons-nous bien d’adresser un mauvais signal qui donnerait l’impression de rétablir, de façon subreptice, une nouvelle forme de tutelle : l’Afrique de l’Ouest ne manque pas de profils bons connaisseurs des échanges avec la zone euro pour apporter, en toute indépendance, l’expertise et le regard critique dont la BCEAO aura besoin.
Sur le plan technique à nouveau, l’étude d’impact jointe au projet de loi ne fait pas mystère du fait que les dépôts obligatoires de la BCEAO sur un compte du Trésor sont bien mieux rémunérés que les autres dépôts à vue en banque centrale. Il en résulte une « surrémunération » et un versement annuel d’environ 40 millions d’euros du budget de l’État vers la BCEAO, et le montant est d’environ 15 millions d’euros pour la Banque des États d’Afrique centrale non concernée, à ce stade, par une réforme. Il s’agit là de montants très importants pour nos partenaires africains, qui couvrent une bonne partie des charges de fonctionnement de ces banques centrales, et que le Trésor ne sera plus dans l’obligation de verser. Il est donc nécessaire de s’enquérir auprès des responsables de la BCEAO de la façon dont ils vont faire face à cette baisse brutale de leurs ressources et une compensation de l’État français pourrait être envisagée. En septembre 2005, une précédente réforme qui avait réduit la quotité de centralisation obligatoire de 65 % à 50 % avait déjà occasionné une économie pour la France. En contrepartie, le versement d’une enveloppe d’aide publique au développement spécifique avait été inscrit en loi de finances.
Compte tenu des effets encore plus significatifs de la réforme proposée cette fois-ci, il faudra veiller à ce que ce soit encore le cas dans le projet de loi de finances pour 2021. En effet, les États de l’Union monétaire ouest-africaine centralisent leurs propres dépôts auprès de la BCEAO, car il ne s’agit pas d’un système décentralisé comme le Système européen de banques centrales. En cas de difficultés dans le fonctionnement de cette institution publique commune, la solidarité des différents États membres pourrait être mise à mal, alors que plusieurs de ces États sont confrontés à des crises politiques. Par ailleurs, ce que nous donnons aujourd’hui d’une main à la BCEAO nous revient finalement d’une autre. En effet, les banques centrales de l’actuelle zone franc sont les deux principaux clients hors zone euro de la Banque de France pour la fabrication de billets, et c’est plus de 50 % de l’activité de l’imprimerie de Chamalières. Pour la BCEAO, les dépenses dites « d’entretien de la circulation fiduciaire », c’est-à-dire l’achat de billets de banque fabriqués en France, leur transport et leur assurance, représentent un coût moyen de 45 millions d’euros par an. Même si la numérisation accélérée des économies africaines devrait permettre de restreindre les besoins de monnaie papier, il reste tout de même regrettable qu’après soixante années de coopération monétaire, les banques centrales africaines de la zone Franc soient dépendantes d’approvisionnements extérieurs, alors que leurs pays exportent le coton, matière première des billets de banque.
Le préambule de l’accord prévoit expressément le changement de dénomination du franc CFA, et on peut donc en déduire qu’il faudra, à brève échéance, émettre de nouveaux billets de banque avec une nouvelle dénomination. Ainsi, il me semble que cela doit être l’occasion de revoir rapidement les accords opérationnels de la Banque de France avec la BCEAO afin d’assurer un véritable transfert de compétences vers nos partenaires africains. La question des effets économiques de notre coopération monétaire en Afrique de l’Ouest fait l’objet de vives controverses, qui vont au-delà des échanges entre experts et trouvent une forte résonance dans les jeunes générations africaines.
Les griefs contre le franc CFA sont nombreux, parfois contradictoires, mais ils ne peuvent pas être écartés d’un revers de main. En effet la stabilité du franc CFA ne vient pas d’abord d’une garantie de la France ou d’un risque que la France accepterait d’assumer… elle découle directement du fait que la politique monétaire de la BCEAO suit celle de la zone euro, qui a une inflation faible. Le franc CFA, et demain l’éco, constituent donc une déclinaison de l’euro, tout comme avant 1999, il s’agissait d’une déclinaison du franc français. Or, il est difficile de considérer aujourd’hui, en 2020, que cette parité fixe est parfaitement adaptée aux besoins de développement d’État d’Afrique de l’Ouest, dont les démographies et les économies diffèrent tant de celles de la zone euro. Pas plus que l’aide au développement ne saurait, de l’extérieur, se substituer aux États au risque de les vider de leur substance, l’ancrage sur une devise extérieure ne constitue l’alpha et l’oméga du développement économique qui repose, d’abord, sur les ressources internes d’un pays et sur sa population.
La parité fixe à l’euro peut représenter des avantages, mais elle a aussi des inconvénients et il existe d’autres moyens de contrôler l’inflation tout en évitant un ancrage monétaire inadapté. Les bons taux de croissance en Afrique de l’Ouest constatés ces dernières années ont résulté de la croissance mondiale, mais aussi de la dépréciation de l’euro, donc du franc CFA, face au dollar. Inversement, la forte appréciation de l’euro face au dollar tout au long de la décennie 2000 avait fragilisé les économies de la zone, et déstabilisé, par exemple, la filière du coton au Burkina Faso.
J’invite donc à la plus grande prudence concernant le bilan économique du franc CFA : 60 ans après les indépendances et 75 ans après la création, dans les deux zones, de monnaies uniques ancrées sur le franc, les pays concernés sont tous des pays pauvres. La Côte d’Ivoire a aujourd’hui un revenu par habitant inférieur de 30 % au pic historique qui remonte à 1978. Le Sénégal n’a retrouvé qu’en 2015 le niveau de PIB réel par habitant qui datait de 1961. La dégradation du contexte politique dans les différents États de l’Uemoa constitue un révélateur implacable des difficultés économiques de longue durée. Concernant l’ancrage à l’euro, ne sommes-nous pas, nous Français, un peu juge et partie puisque les premiers bénéficiaires directs d’une garantie de parité sont les investisseurs étrangers déjà sur place, que la stabilité monétaire prémunit du risque de perte de change ? La dynamique d’apport de nouveaux investissements étrangers peut certes être favorisée par le cadre monétaire, mais elle dépend en premier lieu des perspectives économiques réelles : voisin de la Côte d’Ivoire et non membre de la zone franc CFA, un pays comme le Ghana vit sous un régime de changes flottants et accueille des volumes d’investissements directs à l’étranger beaucoup plus importants… Malgré notre coopération monétaire, les nouveaux flux d’investissements directs français vers l’Afrique sont majoritairement orientés en dehors de la zone CFA qui représente moins de 4 % de notre stock d’investissements à l’étranger. Ce constat avait poussé le président de la République à proclamer, il y a trois ans, la priorité africaine de la diplomatie française et ce chantier est encore largement devant nous. L’accord monétaire me paraît donc constituer une toute première étape, qui devra être complétée par une véritable réorientation de nos échanges commerciaux et financiers, dans le cadre d’une coopération refondée.
Vincent Ledoux, député du Nord, commissaire aux Finances, rapporteur spécial de la mission Action extérieure de l’État.