(BFI) – Peu présentes dans les médias, les femmes sont davantage absentes dans les rédactions spécialisées et leur accès aux financements est une arlésienne. On compte très peu de femmes journalistes spécialisées dans les finances et l’économie dans la plupart des pays africains. Le Bénin, compte par exemple une seule journaliste économique, selon Félicienne Houesso du journal L’économiste. Au Burkina Faso, une seule femme officie dans le desk économie du quotidien public Sidwaya, d’après Nadège Yé qui en était jusqu’à récemment la cheffe, même situation dans la Tribune Afrique au Cameroun où, en quasiment dix ans de carrière, sa rédactrice en chef adjointe, Ristel Tchounand n’a vu arriver qu’une seule femme dans le desk économie.
Ce constat a été dressé par les membres et participants au panel intitulé, « Comment renforcer la place des femmes dans le journalisme d’affaires ? », au premier jour du Forum de la presse économique et financière qui s’est tenu les 24 et 25 mars 2022 de façon hybride (présentiel et en visioconférence). Organisé sur le thème, « Les enjeux du développement durable et de la santé », le forum a relevé que les femmes journalistes sont souvent cantonnées aux rubriques sociétés dans les médias. En l’absence d’études sérieuses dans le secteur, les panélistes avancent diverses raisons pour expliquer le peu d’entrain des journalistes femmes pour les rubriques économiques et financières : sociologiques, culturelles, choix personnel des femmes, formation, etc. Seule exception, au Maroc, le journal L’économiste, propriété du Groupe de presse Eco-Médias emploie plus de journalistes femmes que d’hommes. Même chose chez « Entrepreneur In Africa » où on dénombre neuf femmes sur les quatorze journalistes du magazine spécialisé.
« L’année dernière encore, on avait 4 femmes cheffes de rubrique sur 6 rubriques et la rédactrice en chef de L’économiste est une femme, témoigne Nadia Salah, docteure en économie monétaire, cofondatrice et ancienne directrice des rédactions du Groupe Eco-Médias. Pourquoi les services se féminisent si rapidement ? Je pense que les femmes au Maroc en veulent », analyse Nadia.
Elle raconte que la situation exceptionnelle de son média, a poussé la direction a fixé un ratio de 60% de femmes journalistes et 40% d’hommes pour permettre aux hommes, paradoxe ici, de se faire une place
Mais si elles sont absentes dans les rubriques sur l’économie, les finances ou l’environnement, les femmes préfèrent l’audiovisuel ou les rubriques société (santé, people, éducation et autres) où elles y vont par choix ou pousser par les responsables médiatiques.
Prenez la parole
Dans l’entrepreneuriat féminin, même s’il est établi de façon documentée que les femmes africaines montent des affaires plus rapidement que partout ailleurs dans le monde (+25 à 30% pour les Africaines), leur accès aux financements est toujours problématique. En général, elles représentent entre 0 et 5% des portefeuilles des banques ou des microfinances, souligne Esther Dassanou, responsable du programme « Action affirmative pour le financement de l’entreprenariat féminin en Afrique (AFAWA, sigle en anglais) à la Banque africaine de développement. La Banque estime que le déficit de financement pour les entreprises détenues par les femmes en Afrique monte jusqu’à 42 milliards de dollars. Là aussi, outre les raisons précédemment évoquées, il y a la méconnaissance des banques et institutions financières des besoins et problèmes spécifiques des femmes. En Afrique francophone par exemple, elles exigent des titres fonciers aux femmes pour accéder aux crédits. Or, les femmes n’ont pas accès à la terre donc aux titres fonciers, fait observer Esther Dassanou. Pour que les femmes percent le plafond de verre, Éric Agnero, analyste politique et économique basé aux États-Unis estime que le renforcement des systèmes démocratiques obligerait les pouvoirs publics à prendre des décisions favorables aux femmes sous l’effet de la pression horizontale (populations) et verticale (décideurs)
L’éducation et la formation sont des solutions qui permettront aussi aux femmes de percer le plafond de verre et embrasser les métiers qui semblent se masculiniser dans les médias et dans d’autres secteurs.
Esther Dassanou y a exposé les solutions concrètes proposées par la Banque africaine de développement : création du département genre, élaboration d’une stratégie genre qui soit intégrée dans la stratégie de développement de la Banque et lancement de l’initiative AFAWA pour combler le déficit de financement des femmes entrepreneures, etc.
« C’est une initiative qui permet de faciliter l’accès au financement en diminuant les besoins en garantie nécessaires pour que les femmes entrepreneures africaines puissent accéder au financement, a-t-elle expliqué. La Banque utilise aussi d’autres instruments tels que les lignes de crédit, les participations dans les fonds d’investissements, les lignes commerciales pour faciliter le financement des femmes entrepreneures et plus particulièrement des PME détenues par les femmes ».
Outre la mise en place de réglementations favorables à l’entreprenariat féminin, les femmes elles-mêmes doivent être plus visibles, prendre la parole et montrer qu’elles réussissent pour donner l’exemple aux autres et changer la perception que les financiers ont du marché féminin.
« Les institutions financières doivent comprendre que le marché féminin est un marché porteur, que les femmes entrepreneures ont la capacité de prendre des crédits et de les payer. Les recherches montrent que les femmes remboursent leurs prêts », assure Esther Dassanou.