(BFI) – La crise économique, le confinement et le télétravail changent profondément les habitudes des populations et des entreprises. Le mot d’ordre étant productivité et réduction des coûts, les chefs d’entreprises envisagent désormais le télétravail pour pallier le prix de l’immobilier trop élevé, alors que les espaces physiques de travail paraissent optionnels, voire superflus pour certaines activités. Dans ce dessein, l’Afrique s’avère être une alternative grâce à sa population jeune, qualifiée aux standards internationaux, férue de nouvelles technologies et souvent polyglottes.
La démographie africaine fait couler beaucoup d’encre, entre ceux qui la considèrent comme un handicap et ceux qui y voient un avantage. Les pessimistes ont tendance à imaginer un quart de la population mondiale pauvre et pensent insécurité, immigration, pauvreté et donc risque devant ces chiffres. Aujourd’hui une population de 20 ans de moyenne d’âge, qui atteindra 2,2 milliards d’habitants en Afrique subsaharienne seulement d’ici 2050, selon la Banque mondiale.
Il leur est difficile d’adopter un autre point de vue qui permettrait de voir ce continent plutôt comme une opportunité, l’Afrique ayant été synonyme de risque pendant trop longtemps.
Les habitudes ont la vie dure, mais, en se disant que l’Afrique ne vient pas d’un autre monde et en réalisant qu’elle est dans un tournant positif de son histoire comme l’Europe après la Seconde Guerre, il devient alors bien plus simple de faire des projections moins sombres. Il faut ouvrir les yeux sur les opportunités d’affaires et de recrutement, une autre lecture est possible avec une vue d’ensemble et du recul.
En creusant un peu, on peut voir que dans ces chiffres démographiques impressionnants, se trouve une grande main d’œuvre dont un pourcentage important est qualifié aux standards internationaux. En 2013, 10,5 % des étudiants étrangers dans le monde étaient africains, donnant au continent le taux de mobilité́ deux fois plus élevé́ que la moyenne mondiale sur des formations diplômantes.
Le fait qu’un nombre important de ces étudiants rentre de plus en plus dans leurs pays d’origine, plus le fait que les écoles et universités reconnues mondialement aient délocalisé certaines de leurs formations en Afrique et ouvrent des filiales, viennent renforcer ce réservoir de recrutement. Ces écoles et universités ne veulent pas passer à côté de cette opportunité qu’est l’Afrique, comme c’est le cas pour HEC, Dauphine et Harvard pour ne citer que ceux-là. Le retour des diasporas, le taux de pénétration du mobile (80 %, selon le groupe Orange), une population jeune qui est portée sur les nouvelles technologies, les futurs projets de nouveaux câbles pour une meilleure connexion internet et les salaires plus bas qu’ailleurs font de ce continent une alternative pour les entreprises occidentales où la population est vieillissante.
Tout le monde y gagne
Les grandes entreprises mondialement connues ont commencé à s’intéresser aux jeunes diplômés et cadres africains sortis des meilleures écoles et universités occidentales et asiatiques, il y déjà quelques années. L’objectif premier étant pour eux de trouver des personnes hautement qualifiées, sachant travailler aux standards internationaux, qui connaissent le marché, mais surtout, qui connaissent la culture locale pour mener leurs affaires en Afrique. Mais ça, c’était avant.
Maintenant avec la crise mondiale, les entreprises vont chercher des solutions leur permettant de réduire les coûts. Dans ce dessein, elles ne vont plus chercher seulement de jeunes cadres africains pour gérer leurs affaires locales, mais vont aussi délocaliser depuis l’Europe ou la Chine vers l’Afrique. De plus en plus d’entreprises vont aussi se tourner vers le travail à distance pour la réduction des coûts des espaces physiques de travail, la réduction du temps et le coût du transport, lutter contre l’absentéisme, chercher des salariés qualifiés à bas coût, etc. L’Afrique se présente alors comme « the place to go », d’autant plus qu’elle est géographiquement plus proche que la Chine ou l’Inde.
Pendant la longue période de confinement, des entreprises et des universités ont découvert que le travail à distance n’est pas si mal que ça. Ce phénomène qui avait commencé depuis des années notamment dans le monde universitaire et de l’informatique n’était pas encore totalement accepté. Considéré comme une alternative pour continuer le travail dans des cas précis de déplacements professionnels ou le mercredi pour certains parents par exemple. Même ceux qui étaient récalcitrants à cette idée ont dû s’y faire. Le confinement faisant envisager les choses sous un autre angle.
Dans un article dans Market Medium intitulé « The Office is Dead » littéralement « le bureau est mort »), Courtney Rubin s’est penchée sur la réflexion des patrons, en prenant pour exemple Jeff Haynie, le PDG d’une société de logiciels basée à Austin, qui devait passer de 1 800 m2 à 10 000 m2, pour un bail de 25 000 dollars mensuel pour les bureaux de son entreprise.
Sa recherche n’a pas abouti puisque, la pandémie est passée par là avec l’obligation de confinement et le télétravail. Une obligation qui lui a fait remettre en question les chiffres les dépenses de son entreprise. Il lance une enquête auprès de ses 27 employés et se rend compte que la moitié d’entre eux seraient parfaitement heureux de continuer à travailler à domicile, ce qui lui permettrait de ne finalement louer que 4000 ou 5000 m2 en réduisant donc par deux les charges. « Ce n’est même pas une chose à laquelle je pensais il y a six semaines, mais c’est certainement quelque chose dont je parle maintenant avec mes investisseurs », a-t-il déclaré.
Par temps de crise, cette opportunité d’économie n’est pas négligeable. On sait que les prix de l’immobilier ont flambé dans les grandes villes économiques d’Europe d’Asie ou des États-Unis. Une étude de SquareFoot a révélé que les entreprises de New York dépensent en moyenne 17 020 dollars par employé par an pour des bureaux.
Avec tout ce que les nouvelles technologies permettent aujourd’hui, ajouter à cela le gain de productivité que les entreprises pourraient y gagner puisque, avec le télétravail la majorité des salariés travaillent plus, l’Afrique est définitivement une solution. Plus de productivité, moins de fraies et éventuellement des salaires un plus bas si l’on recrute dans des pays où le coût de la vie sont moins élevés. C’est dans l’intérêt des entreprises de commencer à mettre en place des stratégies pour recruter en Afrique d’une part, mais aussi pour s’y implanter puisque les consommateurs sont là.
Mettre en valeur le potentiel de leurs jeunes
Pour les pays africains, ça serait l’opportunité d’emplois pour toute cette jeunesse qui n’attend que cela. Par ailleurs, qui dit autonomisation des jeunes, dit accroissement du niveau de vie, éducation des enfants, baisse du taux de natalité et des conflits puisque, nous le savons, les conflits et l’insécurité sont davantage liés à la pauvreté (économique et d’esprit) qu’à l’idéologie.
Même certaines entreprises emblématiques avaient déjà envisagé l’Afrique pour tout ou partie de leur production. Le géant allemand Leoni a délocalisé le travail de câblage de leurs voitures en Afrique en envisageant l’Afrique comme un investissement à leur avantage et non seulement comme un marché.
Les Africains doivent profiter de l’opportunité de cette crise pour encourager ce type d’investissement gagnant-gagnant alliant production, profit, emploi et autonomisation locale.
Les blocages, les pénuries et les dépendances du monde entier à la Chine révélées, sont sans doute servir de leçons qui vont pousser les entreprises à chercher un certain raccourcissement des chaînes de valeur.
Dr Ghazi Ben Ahmed, président du MDI, soulignait récemment le fait que « les entreprises européennes seront amenées, au nom d’une certaine résilience, à atténuer les risques en recourant à la relocalisation (coûteuse) et/ou à la diversification régionale (moins coûteuse) ». Les dirigeants africains devraient faire en sorte d’améliorer les conditions locales et encourager cette dernière.
On a vu récemment le constructeur automobile Volkswagen ouvrir une usine au Rwanda pour le marché africain. Une première africaine. Bien qu’il ne s’agisse essentiellement que d’assemblage, cela n’a été possible que par la confiance et les conditions créées localement. La confiance en la sécurité, la confiance en la formation de la main-d’œuvre et la direction locale et, la confiance en l’ambition du pays. Comme tout produit commercial, il s’agit de l’offre, de la demande et de profit, mais, sans cette confiance, personne ne va risquer son argent sous prétexte qu’il y a un marché. Volkswagen aurait pu continuer à assembler ses voitures ailleurs que ça ne les aurait pas empêchés de les vendre où ils veulent.
Les Africains doivent adopter un nouvel état d’esprit de promotion et de« coopération » dans le sens d’investissement dans des productions qui prennent en compte des chaînes de valeur domestique. Si un continent peut le faire en dehors de l’Asie, il s’agit bien de l’Afrique. Le continent est déjà un marché, il a la main d’œuvre et les terres. Des multinationales y ont un marché d’une population qui n’est considéré que comme consommatrice jusqu’à présent, ne consommant qu’essentiellement des produits importés même quand ils auraient pu être fabriqués localement. Il est temps pour les gouvernements africains de manifester leur ambition, de travailler plus dur pour un autre positionnement qui valoriserait une population capable de produire.
Gérardine Mahoro est fondatrice et directrice du cabinet de conseil ACT05