(BFI) – Comment les gouvernements des pays émergents peuvent tirer les leçons de la crise du COVID-19 afin de renforcer davantage leur politique de santé publique, remettre leurs programmes de santé nationale en haut de leurs agendas et établir des stratégies gagnantes afin de mieux faire face à la prochaine pandémie ? Entre évolutions drastiques des modes de prise en charge, mise en place de solutions robustes, gestion de crise et budgets sous tension, comment allier agilité avec efficacité ? Quelques éléments de réponse.
Indubitablement, l’une des leçons de la crise du COVID-19 est que la sécurité sanitaire des citoyens constitue une action collective et que seul un système de santé publique robuste peut être le garant de la bonne santé de la population régie par ce même système.
Même si le taux de transmission du COVID-19 dans les pays en voie de développement, par exemple en Afrique et au Moyen-Orient-parait à ce jour être plus faible en comparaison avec celui de l’Europe, des États-Unis ou de la Chine, il n’en reste pas moins que la situation est susceptible de changer dans les prochaines semaines à mesure que le centre épidémique se déplace et que les mesures de confinement sont entérinées par ces pays. La vigilance est donc de mise.
Quatre propositions pour un changement paradigmatique
L’une des conséquences directes de cette crise a été la prise de conscience, notamment par les pays émergents, de l’urgence de reformer leurs systèmes de santé et d’améliorer leur capacité à répondre aux crises sanitaires généralisées telles que les pandémies. Cela passe nécessairement par l’augmentation du nombre de lits, de médecins par habitant mais aussi par l’accessibilité du personnel soignant au matériel médical et aux moyens de diagnostic afin d’assurer la continuité des soins en temps de crise sanitaire. En effet, la chaîne de distribution des produits de santé pourrait présenter plusieurs vulnérabilités en cas de choc et l’équilibre entre coût-efficacité de la production à distance du matériel médical essentiel et sa disponibilité immédiate pourrait rapidement basculer sous la pression de la demande et de la concurrence mondiale.
Dans ce cadre, les quatre propositions suivantes constituent selon mon analyse des pré-requis, sans avoir la prétention d’être exhaustives. Elles ont pour déterminant essentiel la politique de santé publique dans les pays en développement ou émergents et visent à définir des axes stratégiques majeurs qui pourraient éventuellement faire l’objet d’une feuille de route plus détaillée dans le futur.
La couverture sanitaire est indispensable mais ne suffit pas
En premier lieu, l’accès aux soins de santé est certes un droit humain, cependant, la seule couverture sanitaire généralisée d’une population ne suffirait pas à la protéger au cours d’une prochaine pandémie. La modernisation du système de santé publique s’avère plus que nécessaire car ce domaine est une composante importante du contrat social. Les pays en voie de développement doivent ainsi renforcer les capacités de ce secteur et réduire les disparités régionales et communautaires sur leurs territoires nationaux respectifs. Ils doivent également investir dans le capital humain et dans les équipements médicaux en augmentant par exemple le nombre de lits par habitants, le nombre de médecins, infirmiers et aides-soignants par habitants, et nombre de centres d’excellence spécialisés par régions. Parallèlement, les pays émergents doivent également moderniser l’infrastructure de leur système de santé publique et baser la planification stratégique sur des données statistiques robustes. Ces actions, si elles sont menées à bien se traduiront par une baisse significative des taux de décès résultants des maladies infectieuses chez les enfants, nourrissons et chez les jeunes adultes actifs. Mais aussi en une amélioration du classement de ces pays à l’échelle internationale sur la base d’une multitude d’index valides reflétant la santé de leurs populations respectives.
Utilisation de la technologie de manière systématique et massive
Deuxième axe stratégique : l’utilisation de la technologie en faveur de la santé publique à l’aune des évolutions du 21ème siècle, dont le digital et la quatrième révolution industrielle. Imaginons un instant que chacun des systèmes de santé publique dans les pays en voie de développement ou émergents bénéficie de la technologie la plus récente pour faire fonctionner son système informatique, le reste de ses équipements et ses laboratoires. Cela aurait permis de produire rapidement et localement des tests de diagnostic déployés à grande échelle pendant la crise pandémique, générer des données en temps-réel avec pour but de guider les épidémiologistes dans leur évaluation de la situation sanitaire, incluant le calcul précis du taux réel d’infection, l’identification de groupes à risque et l’anticipation sur les capacités réelles des hôpitaux de faire face à une crise sanitaire de grande envergure.
Les pays émergents devraient ainsi capitaliser sur les systèmes informatiques existants et ré-imaginer de nouvelles plateformes digitales, mais aussi anticiper sur les bénéfices attendus de la connexion 5G en complétant la construction de l’infrastructure nécessaire au déploiement à large échelle de cette technologie imminente. Il est ici utile de rappeler que l’une des applications transformatrices de la 5G en matière de santé est la télé-médecine qui aurait l’avantage de désenclaver des régions qui ne sont pas servies par des centres hautement spécialisés.
Leadership, planification et coopération
Troisièmement, leadership, planification et coopération en période de pandémie sont essentiels. Les pays en voie de développement et émergents devraient coordonner leurs plans de préparation et de mitigation de risques pandémiques à travers par exemple le partage des données afin de mieux identifier et suivre les mouvements des populations infectées (les hypothèses en cours s’appuient sur des applications de type iOS ou Android) ou encore à travers l’implémentation de stratégies communes d’achat, de stockage, de dépistage et de vaccinations.
A ce titre, Il convient ici de saluer l’appel qui a été lancé le 13 avril par le Roi Mohammed VI du Maroc fédérant les chefs de trois états Africains et qui vise à établir un cadre opérationnel entre ces pays pendant les différentes phases d’évolution de la pandémie du COVID-19. Il s’agit d’une action pragmatique qui permettra le partage d’expérience et les bonnes pratiques afin de faire face aux impacts sanitaires, économiques et sociales lies à la pandémie. Cette coopération pourrait consolider les liens existants entre les états Africains participants et fournir une assise plus forte pour le lancement de futures collaborations à l’échelle continentale et/ou régionales (Afrique et Moyen-Orient) en matière de crises sanitaires, de pandémies et de santé publique.
De plus, envisager une augmentation des capacités de production à large échelle des vaccins au niveau local et régional pour faire face aux interruptions des chaines de distribution – corollaires inévitables des crises sanitaire – serait une décision stratégique pour assurer la continuité des soins pendant les pandémies. La production à large échelle au niveau local ou régional est néanmoins tributaire de la complexité du processus de fabrication ainsi que d’autres considérations telles que les aspects liés à la propriété intellectuelle et au transfert de technologie.
Financement de l’innovation via la réorientation du capital local
Enfin, le financement de l’innovation est le quatrième pan de cette stratégie intégrée. Suite à la crise du COVID-19, les pays émergents devraient subir une réduction significative ou du moins des retards dans les investissements directs étrangers (IDE) car les partenaires étrangers classiques (EU, USA, Chine) pourraient décider de rediriger leur capital localement et de favoriser les « re-localisations ». Plusieurs dirigeants de pays avancés l’ont d’ailleurs clairement exprimé ces dernières semaines. Par conséquent, les pays émergent devront financer les innovations technologiques en matière de santé avec du capital local et régional. Pour capter et réorienter ce capital, il faudrait que les gouvernements des pays émergents proposent aux potentiels investisseurs locaux des incitations qui dépassent les cadres fiscaux classiques. Par ailleurs, Il faudrait mettre en place un nouvel écosystème ou la recherche et développement, l’innovation et l’entrepreneuriat axé sur la santé s’allient pour générer de la valeur sur les marchés financiers mais aussi dans le but d’optimiser les systèmes de santé dans les pays émergents.
Enfin, les organisations philanthropiques locales et régionales pourraient émerger, aux côtés des gouvernements, comme des acteurs majeurs de santé publique. Par exemple au travers du financement de la recherche en sciences sociales mais aussi pour aider, directement ou indirectement, à la mise en place de politiques de santé efficaces basées sur la recherche et sur l’échange et le partage des meilleures pratiques régionales en matière de santé publique.
Plus qu’une crise sanitaire, un basculement de civilisation qui nous oblige
Le COVID-19 est plus qu’une crise sanitaire, c’est un basculement de civilisation qui nous oblige à repenser notre manière d’appréhender la santé au sens large. C’est aussi est une expérience humaine avec plusieurs ramifications économiques, géopolitiques et sociales qui nous aura pour le moins forcé à l’humilité.
Notre message est clair. Seules des réformes courageuses dans le secteur de la santé publique garantiront santé, sécurité et prospérité aux populations du monde au long terme. Dorénavant, les pandémies feront partie de l’existence humaine. Planification, préparation, solidarité et coopération sont ainsi une responsabilité collective afin de préserver les populations et permettre aux tissus économiques et sociaux de résister aux prochaines crises.
Dr Kaouthar Lbiati, est médecin et spécialiste des politiques de santé. Elle est également Experte auprès de l’Institut Marocain de l’Intelligence Stratégique (www.imis.ma )