(BFI) – Relativement épargné par l’épidémie de coronavirus, le continent n’en demeure pas moins très exposé à ses conséquences et pourrait payer un lourd tribut à la maladie. Alléger, voire annuler la dette des pays africains ne suffira pas : il faudra de l’argent frais, un engagement inconditionnel de la communauté internationale, si l’on veut éviter la catastrophe. Un accompagnement qui doit prendre en compte les spécificités africaines et, surtout, se défaire de tout paternalisme, seule une réponse incluant l’Afrique pouvant venir à bout de la crise.
Se soucier de la maladie est, quand la faim ronge, un « luxe » pour beaucoup inaccessible. Jusqu’à présent relativement épargnée par la pandémie de Covid-19 au regard de sa propagation au sein des pays dits développés, l’Afrique envisage avec anxiété les temps à venir. Si les gouvernements du continent ont, dans l’ensemble, moins tardé que leurs homologues occidentaux à réagir, bouclant leurs frontières, interdisant les rassemblements et imposant confinement et couvre-feux, la structure de leurs économies rend illusoire l’application stricte des plus élémentaires mesures de distanciation sociale. Le poids de l’économie informelle (il faut, pour des millions d’Africains, bien sortir pour gagner de quoi manger et nourrir sa famille), la démographie urbaine ou la surpopulation des bidonvilles, dans les ruelles desquels s’entassent, par exemple, six habitants de Nairobi sur dix, condamnent, de l’aveu d’un expert de l’Institute for Security Studies, « les gens à choisir entre mourir de faim ou tomber malade ».
« La réalité africaine est cruelle, abonde le médecin congolais et prix Nobel de la Paix Denis Mukwege : la pandémie nous guette, et le confinement est pratiquement impossible ». A ces difficultés intrinsèques convient-il encore d’ajouter, dans la plupart des pays du continent, la structure embryonnaire de l’offre de soin. Gants, masques, gel hydroalcoolique, respirateurs, lits et personnels d’hôpitaux : tout ou presque manque pour lutter efficacement contre l’épidémie. « Il nous faut (pourtant) à tout prix miser sur la prévention, car nous n’avons clairement pas les moyens de faire face au fléau », avertit encore, depuis son poste d’observation de l’hôpital de Panzi, en République démocratique du Congo (RDC), Dr Mukwege. Alors que le taux de mortalité dû au nouveau coronavirus pourrait, en Afrique, atteindre les 10% – contre 1% à 3% ailleurs dans le monde selon les experts -, doit-on se résoudre à accepter, impuissants, la catastrophe qui vient ? Non, trois fois non : il existe des raisons d’espérer, la première d’entre elles résidant dans le fait que, toujours selon le gynécologue congolais, « l’Afrique a tiré les leçons des épidémies récentes », au premier rang desquelles celles du Sida et d’Ebola.
Les atouts de l’Afrique pour vaincre le virus
La seconde lueur d’espoir réside incontestablement dans l’extrême jeunesse de la population africaine. S’il convient de rester humble et prudent quant aux conséquences d’une maladie dont on ignore encore tant d’aspects, force est de constater que le virus semble moins affecter les plus jeunes d’entre nous. La jeunesse africaine, souvent complaisamment décrite comme le ferment d’une future « bombe démographique », pourrait bien représenter la meilleure arme du continent contre cette crise ; le pied de nez est suffisamment inattendu pour être relevé. Enfin, il faut placer nos espoirs dans la science et la médecine : si le traitement fait polémique, l’hydroxychloroquine semble testée avec succès au Sénégal, pays qui ne compte fin avril qu’un peu plus de 800 cas déclarés de Covid-19 et moins de dix décès ; toujours au Sénégal et, plus largement, dans les pays dits du Sud, la généralisation de la couverture vaccinale contre le BCG contribuerait à diviser par dix la mortalité due au coronavirus, selon le président de SOS Médecin à Dakar ; et, à Madagascar, le « Covid-Organics », ce remède – controversé – à base de plantes médicinales promu par le propre président malgache, semble en dépit de l’absence de preuves scientifiques prometteur.
Vaccins, traitements, médecine traditionnelle… Si tout doit être tenté pour vaincre le virus, l’Afrique ne peut, ne veut, ne doit être réduite à un théâtre d’expérimentation géant, à un laboratoire grandeur nature pour savants fous et, de préférence, occidentaux – la désolante intervention, en direct à la télévision, de deux médecins français en la matière, est restée dans tous les esprits. Des propos « graves, racistes et méprisants », vivement dénoncés comme tels par l’ancien footballeur ivoirien Didier Drogba. Cependant, pour toutes les raisons précédemment exposées, le continent ne peut être que le lieu d’une approche nécessairement différente de la maladie. Le berceau de l’humanité pourrait même s’imposer comme celui qui a donné naissance à un remède, si l’on en croit les déclarations d’Emmanuel Macron, selon qui « l’Afrique dispose des chercheurs et des scientifiques parmi les plus réputés au monde dans la lutte contre les pandémies. Les solutions élaborées en Afrique vont aider le monde entier à vaincre le Covid-19 ».
Considérer l’Afrique comme une égale
Confiant dans les capacités et la résilience de l’Afrique, le président français sait aussi, et sans doute mieux que certains de ses pairs que le continent a désespérément besoin d’aide. Il faut saluer son appel à « annuler massivement » la dette des pays africains, un véritable fardeau, qui s’élève collectivement à 365 milliards de dollars – dont 145 sont dus à la seule Chine. Un simple moratoire, tel que décidé mi-avril par les pays du G20, que je salue, représente une bouffée d’oxygène bienvenue. Mais il ne suffira pas, de l’avis largement partagé en Afrique, à amortir les conséquences d’une crise plongeant le continent dans sa première récession généralisée depuis 25 ans. Annuler ou repousser la dette est indispensable, mais insuffisant : il faut aller beaucoup plus loin, dégager des marges de manœuvre financières, comme l’a fait la France en allouant, via l’Agence française de développement, une enveloppe de 1,2 milliard d’euros utilisable d’ici à l’été. Un geste qui va dans le bon sens, alors que « les besoins urgents exprimés par l’Afrique se chiffrent, selon le ministre béninois de l’Economie et des finances, Romuald Wadagni, à 100 milliards de dollars » – et même 200 milliards selon d’autres experts.
« Aider l’Afrique » : le refrain est, hélas, connu. Rabâché. Il irrite sans doute encore davantage sur le continent qu’au sein des grandes institutions internationales. Inédite tant par sa violence que par sa globalité, la crise du Covid-19 invite à se défaire de tout réflexe paternaliste. Ne prenons pas l’Afrique de haut, l’Occident ne devrait pas donner des leçons qu’il n’a pas encore tirées lui-même de cet épisode. D’autant moins qu’« avec une certaine ironie, on constate que des pays comme le Cameroun ou le Nigeria sont mieux préparés, car ils disposent de ce qu’on appelle des agents de santé communautaire (…) qui sont des sortes d’aides-soignants de santé publique » s’occupant tant des campagnes de vaccination que de surveillance épidémiologique. Un « savoir social », pour le chercheur Guillaume Lachenal, dont les pays du nord feraient bien de s’inspirer. En tout état de cause, l’Afrique doit être partie prenante de la réponse à cette crise : « Seule une victoire totale, incluant pleinement l’Afrique, pourra venir à bout de cette pandémie », estiment 18 chefs d’Etat, de gouvernement et d’institutions internationales appelant à une réponse multilatérale pour le continent. Enrayant une mécanique mondiale que l’on croyait inarrêtable, rapprochant dans l’adversité et la vulnérabilité riches comme pauvres, bouleversant nos habitudes, nos idées reçues, nos préjugés, la crise du Covid-19 doit nous faire – enfin ! – considérer l’Afrique comme une égale.
Par Khaled Igué