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Covid-19 : comment les banques doivent participer activement et durablement au financement de l’Afrique

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(BFI) – Il devient urgent pour le secteur bancaire africain de se mobiliser à la hauteur des enjeux qui impacteront sur le long terme la trajectoire de croissance que nous souhaitons donner au continent africain…. Tribune de Ferdinand Ngon Kemoum, administrateur directeur général d’Oragroup.

Si l’on en croit les chiffres, le pic de la crise de la Covid-19 en Afrique n’a pas été atteint, malgré une accélération de la progression de la pandémie depuis quelques semaines. Mais c’est une autre crise, plus pernicieuse, qui s’installe déjà sur le continent : une crise économique qui pourrait fragiliser à court et moyen terme les entreprises africaines, et notamment les PME.

Les raisons sont multiples : forte dépendance des économies africaines vis-à-vis de la Chine dont les achats de matières premières d’origine africaine ont été – avec le dynamisme des marchés locaux – l’un des moteurs de la croissance sur les dernières décennies; gel des exportations vers l’Asie et l’Europe; rapatriement des capitaux étrangers et ralentissement des investissements directs étrangers de l’Union européenne (entre -45% et -30%) et des Etats-Unis (entre -35% et -20%) vers le Maroc, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Ghana, le Kenya ou encore l’Ethiopie; choc de la demande domestique lié aux mesures de distanciation sociale… Les conséquences de la fragilisation d’une large partie du tissu économique africain peuvent être dommageables et durables. On estime en effet qu’en Afrique, les PME représentent plus de 86% des entreprises, pourvoyant la majorité des emplois formels. Des faillites en cascade, si nous ne faisons rien, contribueraient mécaniquement à une hausse du chômage et à une augmentation du taux de pauvreté. En raison de l’évolution démographique, à moins de 3% de taux de croissance de son PIB, l’Afrique ne crée pas suffisamment de richesse pour faire reculer la pauvreté, or le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une récession économique de -1,6 % en zone subsaharienne en 2020.

Il devient alors urgent pour le secteur bancaire africain de se mobiliser à la hauteur de ces enjeux, qui impacteront sur le long terme la trajectoire de croissance que nous souhaitons donner au continent africain. Si les réponses ont d’ores et déjà été discutées au plan macroéconomique (financement des déséquilibres budgétaires publics et de la balance des paiements, moratoire sur la dette de certains États), une réponse microéconomique est, elle aussi, essentielle. Des moyens d’interventions pratiques et concrets sont attendus pour soutenir l’économie réelle. Nous devons notamment débloquer des liquidités pour financer et protéger le secteur des PME. Le niveau du crédit au secteur privé en pourcentage du PIB s’établit à moins de 30% en moyenne dans les pays d’Afrique subsaharienne. Il nous faut progresser.

Comment remédier à cette situation ? Si le constat est clair, les solutions sont encore à construire. En effet, la crise du covid-19 s’est accompagnée entre autres d’une baisse des recettes touristiques, des investissements directs étrangers et des transferts de migrants. Selon les calculs de la Banque mondiale, les transferts d’argent de migrants vers l’Afrique Subsaharienne pourraient diminuer de 23,1% en 2020. En parallèle de cette baisse des ressources, des demandes de report d’échéances voire des risques de défauts de paiements, encore limités, peuvent à terme dégrader le bilan des établissements bancaires – lesquels doivent, selon un « effet ciseau » pourvoir toujours plus aux besoins de financements des entreprises et des porteurs de projets.

Il devient donc urgent de mobiliser des solutions adaptées et novatrices pour renforcer les capacités de financement des banques et les laisser jouer le rôle qui est le leur : accompagner durablement les économies du continent. A leurs côtés, plusieurs acteurs doivent se mobiliser : les gouvernements, les banques centrales, les banques de développement, les bailleurs de fonds internationaux, les investisseurs institutionnels, les fonds d’investissement, les marchés boursiers nationaux et les épargnants.

Pour prévenir les crises de liquidité à court terme et laisser respirer le secteur bancaire, les banques centrales ont promptement réagi en facilitant le refinancement des banques commerciales et en baissant leurs taux d’intérêts directeurs, ce qui a permis aux banques de continuer à accompagner les clients les moins impactés par la crise sanitaire ainsi que ceux dont l’activité s’est révélée essentielle à la survie des populations. Selon la durée de la crise, il pourrait s’avérer nécessaire d’aller plus loin dans les mesures d’assouplissement prises. Il est primordial de traiter également plus en profondeur la question de la solvabilité des banques commerciales pour prévenir un effet de latence dans la dégradation des portefeuilles mesurée avec les règles prudentielles pré Covid-19.

Les débats passionnés sur les questions monétaires, en Afrique francophone notamment, ne doivent pas nous faire perdre de vue ce qui est essentiel : le développement se finance avec l’épargne et non pas avec de la monnaie. De façon simple et concrète, l’épargne est la part de revenu que la collectivité s’abstient de consommer pour préparer l’avenir. Cette épargne ne doit pas être stérilisée dans les bas de laine ou dans les calebasses. Notre industrie doit mieux faire en matière de collecte et de recyclage de l’épargne domestique. Avec des taux d’épargne aux alentours de 20% du PIB en moyenne, nous sommes loin du compte. Il nous faut passer le cap des 30%. Il me semble que la mobilisation de l’épargne populaire est aujourd’hui facilitée entre autres choses par la digitalisation pour laquelle la jeunesse africaine excelle si l’on en juge par le dynamisme des Fintech innovantes sur le continent. Il nous faudra accompagner ce mouvement avec enthousiasme et audace.

Une des craintes que l’on peut avoir est relative à l’impact des difficultés de nos clients sur la qualité de nos ratios de solvabilité. Fort heureusement, la boîte à outils à la disposition des différents acteurs n’est pas vide, loin s’en faut.

C’est l’occasion de renouveler un ancien plaidoyer pour une meilleure interconnexion entre banques et marchés de capitaux. Le nombre d’établissements bancaires africains qui font appel aux bourses de valeurs pour augmenter leurs fonds propres reste relativement faible alors même que certains de nos marchés boursiers ont fait la preuve de leur profondeur et restent largement décorrelés des principaux marchés internationaux, gardant ainsi tout leur potentiel de diversification pour les investisseurs internationaux. La gouvernance renforcée et la plus grande transparence que l’exercice d’introduction en bourse requiert sont des gages de pérennité.

La question de la taille et du nombre de banques sur nos marchés reste une question ouverte. S’il est trop tôt pour dire si un mouvement de concentration se profile à l’horizon, force est de constater que certains de nos marchés comportent une multitude de « petits » établissements qui pourraient plus souffrir de la crise que les établissements plus grands.

La titrisation des créances bancaires pourra également être mise en œuvre dans le contexte actuel sans que l’on puisse y voir un risque de désintermédiation excessif.  Le cadre réglementaire existe dans certaines de nos juridictions de même que les agences de notation, dont le rôle gagnerait à être reconnu et renforcé.

Nous devons également faire des efforts pour rendre nos bilans plus lisibles au plan sectoriels et thématiques de manière à mieux orienter les financements des bailleurs internationaux vers le secteur privé par la mise en place de systèmes innovants, comme – entre autres – le recours aux garanties partielles de crédit (GPC) et garanties partielles de risques (GPR). Il s’agirait par exemple pour les banques de développement du continent et autres fonds de garantie, d’utiliser leur statut de créancier privilégié et leur signature pour aider les emprunteurs éligibles à obtenir des financements de la part d’investisseurs tiers, y compris sur les marchés de capitaux, en offrant ces différents types de garanties de manière plus volontariste.

Nous devons également repenser notre accompagnement des talents de demain, en créant les mécanismes leur permettant l’accès au crédit dans de meilleures perspectives de fiabilité. Notre objectif doit être de faire levier sur l’intervention de réseaux bancaires, microfinance ou financements publics, destinés à la capitalisation des jeunes ou petites entreprises ou entreprises innovantes, pour leur permettre de mieux affronter les périodes de création, de consolidation ou de crise. Le rôle du secteur bancaire est également d’accompagner le changement, d’épouser les nouveaux comportements de nos clients. La digitalisation de nos produits et de notre mode de fonctionnement devient indispensable pour réaliser des gains de productivité. Les technologies digitales – qui se sont révélées indispensables pour maintenir la distanciation sociale tout en assurant la continuité du service – doivent permettre d’améliorer et de sécuriser nos relations clients et notre capacité de conseil.

La crise de la Covid-19 nous a montré à quel point notre économie pouvait être vulnérable aux chocs exogènes. Pour limiter cela, une plus grande résilience doit passer par des solutions endogènes. J’ai mentionné plus haut la nécessité pour les banques africaines de mieux exploiter le potentiel de l’épargne africaine. D’autres acteurs tels que les fonds de capital développement ont un rôle déterminant à jouer dans ce cadre. Ainsi, la part des réserves financières des compagnies d’assurances et des caisses de retraite investie dans les fonds de capital-développement doit être significativement relevée. L’effort d’adaptation des textes réglementaires en ces matières n’est pas prométhéen, en tous cas nous le devons aux jeunes africains.

Cette croissance attendue de l’industrie du private equity entraînera la croissance des marchés boursiers africains, dont le développement offrira en retour aux fonds d’investissement et aux entrepreneurs des débouchés de sorties et de levées de fonds dans une dynamique vertueuse.

Je terminerai par le développement du commerce intra-africain qui était perçu comme une nécessité par les signataires de la Zleca, mais qui se donne à voir aujourd’hui comme une opportunité unique de redynamiser la croissance du continent sur des bases plus vertueuses. Les exportations intra-africaines représenteraient entre 16 et 20% des exportations totales selon différentes sources, contre 70% du côté de l’Union européenne et 60% environ pour les exportations intra-asiatiques. Il me parait difficile ne pas croire en une opportunité d’industrialisation pour servir un marché de plus d’un milliard de consommateurs.

La récession qui guette notre continent est une grande première depuis 25 ans. Face à situation, les solutions sont nombreuses, j’en a cité quelques-unes. A nous désormais, banques et acteurs financiers, de participer activement et durablement au financement de l’Afrique.

Par Ferdinand Ngon Kemoum, administrateur directeur général d’Oragroup.

Rédaction
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