(BFI) – Le Nigeria et plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, notamment anglophones, ont dénoncé jeudi à Abuja la décision de remplacer le franc CFA par l’eco, affirmant qu’elle n’était «pas conforme» au programme adopté récemment par l’ensemble de la région pour mettre en place une monnaie unique.
Les six pays de la Zone monétaire ouest-africaine (WAMZ) ont « noté avec préoccupation la déclaration visant à renommer unilatéralement le franc CFA en eco d’ici juillet 2020 ». Les ministres des finances et gouverneurs des banques centrales des six pays anglophones de la CEDEAO estiment dans un communiqué que « cette action n’est pas conforme aux décisions » de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) en vue de « l’adoption de l’eco comme nom de la monnaie unique» de toute la région. Cette information relance le débat autour d’une monnaie sensée unir les 15 pays de la CEDEAO dès 2020.
Les 8 pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, qui présentent des profils macroéconomiques en concordance avec les critères de convergence définis dans le cadre de cette monnaie, ont été les premiers à annoncer, le 21 décembre 2019, par la voix de l’ivoirien Alassane Ouattara, président en exercice de l’Union, leur décision de rejoindre la monnaie commune. L’annonce faite dans le cadre d’un sommet bilatéral entre Emmanuel Macron et Alassane Ouattara, en marge d’une cérémonie de signature entre l’UEMOA et la France, marquant symboliquement la fin des accords du Franc CFA, a suscité beaucoup de débats.
Si les officiels parlent d’une “évolution historique”, les militants anti-CFA, eux, évoquent un simulacre pendant que les économistes dénoncent l’évocation d’un “Eco à parité fixe” au lieu de l’”Eco flexible” décidé par la CEDEAO. Cette crise politique majeure de la CEDEAO est du pain bénit pour un grand pays comme le Nigeria, encore loin des critères de convergence et peu disposé à abandonner sa monnaie nationale, le Naira, et des pays comme le Ghana, le Liberia et la Sierra Léone, abonnés à des taux d’inflation aux records olympiques.
Les pays anglophones ont pu voir, derrière ce changement de nom, une simple réforme du franc CFA, bien loin des ambitions initiales de monnaie unique qui rassemblerait toute l’Afrique de l’Ouest. Après l’annonce d’Abidjan, le Ghana s’était dit « déterminé » à faire tout son possible pour « rejoindre bientôt » les pays francophones, tout en les exhortant à renoncer à la parité fixe de l’éco avec l’euro, qui est maintenue, bien qu’elle soit très critiquée et que selon le projet original, la monnaie unique ouest-africaine ne devait être arrimée à aucune devise étrangère.
Bataille pour le leadership
C’était compter sans le Nigeria, poids lourd économique de la région – il pèse à lui tout seul près de 70 % du PIB de la Cedeao –, qui n’a jamais caché ses réticences au principe même d’une monnaie unique. Sa ministre des Finances, Zainab Shamsuna Ahmed, a répété à maintes reprises que les pays ouest-africains n’étaient pas prêts à une quelconque union monétaire, tant qu’ils ne respecteraient pas les critères de convergence : un déficit budgétaire n’excédant pas 3 %, une inflation à moins de 10 % et une dette inférieure à 70 % du PIB. Or, à ce stade, seul le Togo répond à ces exigences.
Pour Tokunbo Afikuyomi, du cabinet d’analyse économique Stears Business, basé à Lagos, la décision de rebaptiser le franc CFA en éco pourrait être une manière pour les pays comme la Côte d’Ivoire de « prendre le leadership régional » en sachant que le Nigeria ne suivrait pas. « À l’heure actuelle, le gouvernement nigérian n’a pas la volonté politique de mettre en place cet éco. Pour ce pays, cela signifierait perdre le contrôle de sa politique monétaire » avec la création d’une banque centrale d’Afrique de l’Ouest, explique le spécialiste à nos confrères de l’AFP.
Or, le géant pétrolier mène depuis plusieurs années une politique économique protectionniste qui va souvent à l’encontre de l’intégration régionale prônée par la Cedeao, comme on l’a vu avec la fermeture de ses frontières terrestres pour endiguer la contrebande de pétrole et de riz depuis cet été, qui asphyxie ses voisins. D’autre part, souligne Tokunbo Afikuyomi, rejoindre une union monétaire comporte potentiellement plus de risques que de bénéfices pour le Nigeria, pour qui les marchés des pays de la Cedeao représentent un intérêt limité par rapport au sien, avec 200 millions d’habitants. « Si l’un de ces pays se retrouve en difficulté, c’est le Nigeria qui devra venir à sa rescousse, comme l’Allemagne et la France l’ont fait avec la Grèce » pour éviter une faillite de l’Union européenne, détaille l’analyste. « Et le Nigeria n’en a aucune envie. »
André Noir