(BFI) – Une réforme en profondeur de la gouvernance et une révision des clauses des contrats d’endettement sont indispensables pour la reprise économique du continent, assure Rabah Arezki, l’économiste en chef de la BAD.
Alors que l’Afrique a été relativement épargnée sur le plan sanitaire par le Covid-19, elle est la plus affectée par les conséquences économiques de la pandémie. Les prévisions de croissance globale du FMI et de la BAD ont été révisées à la baisse, témoignant d’un coût accru et généralisé de la crise.
L’analyse de ces prévisions dans une perspective sectorielle explique pourquoi le continent perdra le plus. La raison principale est sa forte dépendance aux flux extérieurs, notamment le tourisme, un secteur qui a été dévasté, le pétrole, les produits de base, les investissements directs étrangers, les envois de fonds et les flux d’aide. Ainsi, les pays dépendants du tourisme devraient connaître une récession à deux chiffres, c’est le cas de Maurice (-14,2 % en 2020 selon le FMI) et des Seychelles (- 13,8 %).
Ce nouvel environnement propulse la question du surendettement au premier plan de l’agenda politique alors que le récent défaut de la Zambie a jeté une ombre sur la dette de plusieurs autres pays. De fait, avec une prévision de croissance aussi faible, la viabilité de la dette devient un problème imminent.
Un rapide calcul permet de le comprendre : avec des perspectives de croissance pour les dix prochaines années réduites de moitié, on assistera à une augmentation de 2,5 du ratio dette sur PIB quand bien le niveau de la dette serait, lui, maintenu à un niveau constant. Or, il y a tout à parier que, pour la grande majorité des pays, le service de la dette et l’endettement vont augmenter, conduisant à un ratio dette sur PIB encore plus élevé.
Arriérés, garanties… Des pratiques préjudiciables
En outre, certains pays qui semblent avoir un niveau d’endettement relativement faible vis-à-vis de l’étranger peuvent avoir une dette domestique « latente » en « forçant » l’emprunt auprès des autres agents économiques – on pense notamment au fait que certains États retardent leurs paiements auprès de fournisseurs de biens et services.
Ce financement « en dessous de la ligne » du tableau des opérations financières entraîne des arriérés qui, comme d’autres engagements par exemple l’octroi de garanties, accroissent la dette cachée. Ces pratiques sont préjudiciables pour l’économie et risquent de retarder la reprise.
Historiquement, la résolution de la dette sur le continent a été compliquée et elle a endommagé les économies africaines. Pire encore, ces épisodes désordonnés de résolution ont conduit à une instabilité socio-économique. Afin de ne pas reproduire ces erreurs et d’éviter une décennie perdue, il est crucial d’aider les pays à gérer la dette sans amputer les ressorts de la relance.
Pour y parvenir, il faut rappeler que la capacité de gestion de la dette est étroitement liée à la nature des contrats d’endettement. Or, ces derniers n’incluent pas de provision pour faillite. Cela explique en grande partie pourquoi la restructuration de la dette est souvent compliquée.
Cette absence de clause de faillite permet en effet aux fonds vautours de retarder le processus de restructuration et de le rendre très coûteux pour les débiteurs. Et l’évolution de la nature de la dette, avec une part grandissante d’endettement non concessionnel et les emprunts auprès de la Chine, complexifie la restructuration.
Il convient également de noter que les autorités des pays débiteurs hésitent souvent à agir rapidement en matière de restructuration de la dette en raison de l’effet potentiel sur leur réputation sur le marché. Repousser l’action et ne pas anticiper le défaut de paiement s’est pourtant avéré coûteux dans les années 1990 pour le continent.
Besoin d’engagements fermes
Les corrections apportées à l’architecture internationale de la résolution de la dette par le G20, le 13 novembre, sont une avancée. Avec l’adoption de clauses de comparabilité de traitement, les futures initiatives de restructuration et d’annulation s’appliqueront aussi à la dette commerciale. Mais un long chemin reste encore à parcourir pour mettre en œuvre concrètement ce nouveau cadre.
En parallèle, les pays africains doivent s’engager fermement dans un changement de gouvernance crédible, en particulier au niveau régional. La gestion plus transparente de la dette et des finances publiques ainsi qu’une politique de concurrence vigoureuse permettraient de consolider un cadre budgétaire de moyen terme et de « dé-monopoliser » les secteurs clefs de l’économie. Cela contribuerait à créer des recettes, améliorant les conditions de remboursement de la dette et de relance de la croissance.
Ce processus entraînerait un cercle vertueux, la gouvernance et la croissance renforçant à leur tour le terrain pour une restructuration plus systématique de la dette. Son remboursement serait, in fine, conditionné à la situation économique, les pays s’acquittant de leur dette à la reprise de la croissance, ce qui alignerait les objectifs des débiteurs et des créanciers.
Par Rabah Arezki, Économiste en chef et vice-président chargé de la gouvernance économique et de la gestion des connaissances de la BAD