(BFI) – Le rapport SHERIF 2022 dresse un tableau mitigé de l’Afrique, constatant son retard persistant en matière de croissance et d’intégration régionale. Les différentes initiatives en ce domaine sont reléguées au second plan, en raison de l’urgence sanitaire.
La fondation Prospective et Innovation publie l’édition 2022 de son rapport SHERIF, intitulé La Souveraineté solidaire. Ce document explore les différents paramètres des relations internationales, axant sa réflexion sur les premiers pas du président américain Joe Biden en la matière. S’il analyse aussi les conséquences pour l’Europe du Brexit, il consacre, comme chaque année, une large part aux préoccupations africaines.
Pas forcément sous un jour très euphorique, d’ailleurs, comme en témoigne le titre de l’article de Serge Degallaix, « Une Afrique qui ne décolle pas ». Le directeur général de la Fondation fait le constat qu’à long terme, l’écart entre l’Afrique et les pays industrialisés n’a cessé de se creuser. Seules les années 2000 ont fait exception. Un constat « aggravé par une démographie qui n’amorce que tardivement et imparfaitement sa phase de transition ». Tout n’est pas noir ; ainsi, l’Afrique a su se dégager de la crise de la dette et des plans d’ajustements structurels qui avaient caractérisé la fin du XXe siècle.
Pour le chercheur, « la donne économique mondiale change » ; les investissements humains et financiers sont de plus en plus lourds et complexes à mettre en œuvre. La vieille théorie des avantages comparatifs « connaît un aggiornamento peu favorable aux pays technologiquement en retard, car le facteur travail est moins prégnant, au profit de celui du capital et de l’innovation ». D’autant que la fragilité de la gouvernance politique et économique fait s’envoler les coûts financiers de l’investissement. S’y ajoutent les conséquences pour le continent des dérèglements climatiques.
Évoquant les premiers pas de la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine), l’auteur stigmatise « les effets d’annonce qui suffisent à ceux qui les profèrent », reprenant une formule de l’économiste Carlos Lopes. Dans la réalité « rien n’a changé pour aucun pays d’Afrique ». Il reste encore beaucoup à négocier, ne serait-ce que pour établir la liste des produits pour lesquels s’appliquera la quasi-suppression des droits de douane. Sans compter les barrières non tarifaires et les difficultés de transports, difficiles à franchir. Bien sûr, face à la crise sanitaire, « la dictature de l’urgence a une fois de plus prévalu et l’élan intégrationniste s’est trouvé freiné ».
Contrer les Nouvelles routes de la Soie
Certes, l’intégration régionale demeure « un mythe mobilisateur », mais il n’en reste pas moins que le continent avance à petits pas. De leur côté, si les théories du développement économique ont fluctué, elles se rejoignent sur un double impératif : un niveau d’investissements suffisant et le choix judicieux de ceux-ci, avec un environnement institutionnel et humain porteur.
L’Afrique doit donc trouver un nouveau chemin de croissance, et sortir de la simple logique de survie, la problématique est connue mais mérite d’être reprécisée.
De leur côté, la Chine, l’Europe et les États-Unis s’organisent. Certains de leurs projets accordent une certaine place à l’Afrique ; ou plutôt, une place incertaine. Tel est le cas du projet européen Global Gateway qui vient concurrencer les « Nouvelles routes de la Soie » chinoises. Certes, le projet se double d’une Alliance pour l’entrepreneuriat en Afrique, qui doit rassembler Union européenne, multilatéraux et bilatéraux ; l’un des points décidés lors du Sommet de Paris, en mai 2021. Mais les contours commerciaux restent flous. De leurs côtés, les États-Unis promettent de « reconstruire mais en mieux », avec le plan comparable B3W ; là aussi, un vieux slogan dont les retombées sont difficiles à quantifier.
L’auteur regrette que la priorité aux infrastructures, en Afrique, passe graduellement au second plan des financements européens et américains, au profit d’autres domaines. Le secteur privé a joué son rôle mais avec les limites dues à ce type d’investissements lourds, à rentabilité directe et immédiate réduite, à forte sensibilité politique. Le champ a été ainsi ouvert à la présence chinoise.
Un changement de paradigme dans la continuité
En effet, la Chine dispose d’instruments financiers capables de mobiliser des montants importants, sans la complexité de montages mixant subventions publiques et garanties accordées au secteur privé pour le convaincre de s’intéresser au financement d’infrastructures. Toutefois, « le financement chinois piétine », depuis 2018, constate Serge Degallaix. Sachant que la Chine représente un des moteurs essentiels de la croissance de l’Afrique et qu’elle restera « un investisseur majeur dans les énergies fossiles et renouvelables ».
Ainsi, conclut l’auteur, il est raisonnable, bien qu’insatisfaisant, de s’interroger sur le point de savoir si le Sommet de Paris, le Global Gateway et le plan B3W sont des alternatives crédibles à l’initiative des Routes de la soie. « L’ampleur des besoins est telle qu’il ne sera pas possible d’en assurer une couverture suffisante sans la plus large mobilisation des bailleurs de fonds mondiaux. » Aussi l’auteur, face au refrain du « changement de paradigme », appelle-t-il à « restaurer la logique centrale du développement, tout en mettant des garde-fous pour veiller à la bonne gestion des fonds, à la solidarité humaine ».