(BFI) – On le savait opposé au processus de fusion en cours entre le Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) et Entreprises du Cameroun (Ecam). Mais, Jacques Jonathan Nyemb, copté, en juin 2019, au sein du conseil d’administration du Gicam par le président actuel, Célestin Tawamba, s’est jusqu’ici abstenu de donner publiquement son avis sur cette initiative. À la veille de l’assemblée générale constitutive de l’entité née de la fusion entre le Gicam et Ecam, prévue le 14 décembre 2023, il a décidé de rompre le silence. Dans cette interview, l’avocat d’affaires, inscrit au barreau du Cameroun et de Paris, explique sa position, pose un regard critique sur les projets de textes statutaires de la nouvelle organisation patronale et dévoile ses projets pour la refondation du patronat camerounais.
Vous êtes membre de l’exécutif actuel du Gicam. Cet exécutif a été élu sur la base d’un programme réformateur, qui visait à transformer le groupement patronal pour qu’il puisse « agir en catalyseur de l’indispensable transformation de l’économie camerounaise ». Alors que votre mandat s’achève, quel bilan pouvez-vous en faire ?
Il appartiendra à la liste baptisée « Gicam en Action » de dresser collectivement le bilan de son mandat. Ce que je peux dire est qu’en rejoignant cette équipe en 2019, je me suis engagé à œuvrer pour une refonte du dialogue public-privé au Cameroun, une meilleure gouvernance des entreprises privées, un renforcement de la compétitivité de nos petites et moyennes entreprises (PME) et enfin un meilleur accompagnement de notre jeunesse. L’élaboration du Code de bonne gouvernance des entreprises du Gicam, l’opérationnalisation du Centre de développement de la PME (CDPME) du Gicam ou encore la création du Cercle des jeunes dirigeants (CJD) du Gicam sont autant de chantiers que j’ai eu plaisir à piloter durant cette mandature qui s’achève ; sans oublier toutes les discussions autour de la réforme du Cameroon Business Forum (CBF). Il est encore trop tôt pour juger de l’impact de ces initiatives. Mais, j’espère qu’elles serviront leur but : accompagner nos champions nationaux dans la transformation durable de notre pays.
En tant que membre du conseil d’administration, quelle est votre part de responsabilité dans ce bilan que certains adhérents jugent mitigé ?
Conformément aux textes régissant le Gicam, le conseil d’administration dirige le groupement. Le bilan de la liste « Gicam en Action » (Actes 1 et 2) est donc celui du conseil d’administration dans son ensemble, dont je fais partie. Je n’ai pas pour habitude de fuir mes responsabilités. Ce bilan est le nôtre, donc le mien également.
Le 12 juillet 2023, vous avez été démis de vos fonctions de porte-parole du président du Gicam. Cette décision a révélé à la face du monde des divergences existant, depuis un certain temps, entre le président du Gicam et vous. Que reprochez-vous exactement à Célestin Tawamba, qui vous a pourtant compté au conseil d’administration en juin 2019, faisant de vous le plus jeune membre de tous les exécutifs qui se sont succédé au Gicam depuis sa création, il y a plus de 65 ans ?
Prenant du recul, force est de constater que nos sociétés n’aiment plus la contradiction, ou peut-être ne sommes-nous plus socialisés à gérer cette contradiction. Et, je crains que la société civile, en particulier, le secteur privé, ne tende à devenir le miroir d’un affaissement progressif de cette culture du dialogue que nous décrions chaque jour auprès des décideurs publics. Qu’à cela ne tienne, et sur un plan plus personnel, ma sympathie envers le président du Gicam, Célestin Tawamba, comme envers l’ensemble de mes collègues du conseil d’administration du Gicam, reste intacte. Je tiens d’ailleurs une fois de plus à les remercier pour la qualité de notre collaboration au cours de ces dernières années.
Vos positions sont apparues irréconciliables au sujet de la fusion entre le Gicam et Ecam. Pour vous, cette initiative ne peut-elle pas être rangée dans les réformes nécessaires pour renforcer l’efficacité du patronat camerounais comme postulent ses promoteurs ?
On fusionne pour concrétiser un projet. Une fusion au service d’un projet est un catalyseur. Une fusion sans projet est un artifice. Dans le cas qui nous concerne, et au-delà des nombreuses réserves qui sont les miennes quant à la régularité du processus engagé tant sur la forme que sur le fond, nous sommes nombreux à être restés sur notre faim quant au projet qui sous-tend une telle fusion. Unifier n’est pas agréger au forceps des adhérents, mais coconstruire avec ces derniers un projet commun pour l’avenir du patronat, du secteur privé, de l’économie camerounaise, du Cameroun. C’est la formidable opportunité que nous avions entrevue initialement à travers le principe d’une telle démarche : refonder, une fois pour toutes et enfin le patronat camerounais. Pour l’heure, je peine encore à voir en quoi la nouvelle structure serait garante du « renforcement de l’efficacité du patronat camerounais », pour reprendre vos termes…
Le comité des sages du Gicam et le président de la commission de l’économie et développement de l’entreprise au Gicam, Emmanuel Wafo, sont aussi opposés à ce projet de fusion. Pour justifier leur opposition, ces derniers mettent, comme vous, en avant les violations des textes qui auraient émaillé le processus et la volonté de préserver le patrimoine du Gicam. Qu’est-ce cela vous inspire ?
La fusion Gicam-Ecam semble avoir fait ressortir au sein du Gicam des oppositions de valeurs, styles et visions qui transcendent les clivages socio-culturels et générationnels, qui ont trop souvent été les seules clés de lecture dans notre pays. Nous pouvons nous en féliciter. Mais, elle a aussi rappelé que le défi éthique qui nous oblige à transcender nos pulsions, intérêts et appartenances personnels, doit rester une préoccupation de tous les instants, partout et toujours.
On vous prête l’ambition de vouloir diriger le Gicam. Cela ne motive-t-il pas aussi votre position actuelle ?
Seuls guident mon engagement : légalité, éthique et patriotisme. Je resterai toujours loyal au projet qui a motivé dès les premières heures mon engagement au sein du Gicam : la refondation du patronat camerounais.
Le président Célestin Tawamba convie les membres du Gicam à l’assemblée générale constitutive de l’entité née de la fusion entre le Gicam et Ecam, prévue le 14 décembre 2023. Allez-vous prendre part à cette réunion ? Et pourquoi ?
Je voudrais savoir : si les membres réunis demain venaient à rejeter les projets de textes alors même que les assemblées générales du Gicam et Ecam auraient supposément approuvé la fusion, que se passerait-il ? Nous serions alors dans un entre-deux qui à lui seul caractérise le flou et la confusion qui règnent autour de la démarche engagée.
À la lecture des projets de textes, qui seront soumis au vote lors de cette AG, il en ressort que plusieurs changements ont été effectués en rapport aux textes statutaires du Gicam. On constate que pour être président du groupement, il faudra désormais être fondateur actionnaire ou actionnaire majoritaire d’une entreprise membre à jour de ses cotisations ; les cotisations et le droit de vote devraient désormais être fixés en fonction de la taille de l’entreprise ; la représentativité régionale devrait désormais être prise en compte dans la constitution du conseil d’administration… Que pensez-vous de ces réformes ?
Nous vivons désormais à l’ère de la gouvernance durable et le patronat doit incarner cette aspiration. En 2023, la mission d’une entreprise n’est plus exclusivement de maximiser sa valeur pour ses actionnaires, mais aussi et surtout de prendre en compte les intérêts de toutes les parties prenantes. Comment expliquer alors qu’on puisse exclure, par principe, de la présidence d’un groupement patronal des salariés voire des non-Camerounais, quand on sait que notre diaspora regorge de ressortissants désormais naturalisés dans d’autres pays ? La décentralisation du patronat se limite-t-elle à de simples « représentations » en région, au demeurant déjà prévues par les textes antérieurs ? Quelle voix réelle auront les petites entreprises et les très petites entreprises dans cette nouvelle gouvernance à plusieurs vitesses ?
Voilà autant de questions qui méritaient d’être débattues de manière transparente et contradictoire, dans un débat ouvert et participatif avant tout vote. C’est à cette « démocratie associative » que nous aspirons au sein du secteur privé, pour l’exiger avec crédibilité et légitimité auprès des pouvoirs publics.
Sous la bannière de votre Think Do Tank, The Okwelians, vous vous êtes lancé dans une vaste réflexion sur la « refondation du patronat » qui vous a mené dans plusieurs régions du pays. Quel est le portrait-robot de l’organisation patronale qui en est ressorti ?
De Ngaoundéré à Buea, en passant par Yaoundé, Bana et même la diaspora, nous avons écouté les attentes et espérances du secteur privé, mais aussi plus largement de toutes les parties prenantes quant à l’avenir de notre patronat. Plus de 300 personnes, parmi lesquels des personnalités de haut rang, ont contribué à cette réflexion engagée par notre Think Do Tank. Au sortir de ce cycle d’ateliers, le constat est sans appel : notre patronat doit changer de paradigme pour gagner le combat contre la vie chère, le sous-emploi ou encore l’insécurité alimentaire, et devenir un véritable levier de la transformation structurelle de notre économie.
Chefs d’entreprises, décideurs publics, leaders traditionnels, acteurs de la société civile, jeunes étudiants, toutes et tous appellent à un patronat plus inclusif, collaboratif et innovant. L’inclusion territoriale, sectorielle et catégorielle, pour intégrer les territoires, les filières ou encore les petites entreprises et les très petites entreprises, est en effet un message fort que nous avons reçu à travers les différents ateliers. Le patronat ne peut plus se limiter à représenter seulement 1% du tissu économique, dont ¾ d’entreprises sont pour la plupart des grandes entreprises et petites et moyennes entreprises situées à Douala et Yaoundé.
La capacité à collaborer efficacement avec les pouvoirs publics locaux, nationaux, sous-régionaux et internationaux, mais aussi avec la société civile, le monde universitaire, les médias, les partenaires au développement et les autres organisations patronales à travers le monde ressort également clairement des attentes exprimées. Enfin, outre la nécessité de compétences aiguës au sein des appareils patronaux, une refonte des services offerts par le patronat vers davantage de services de mutualisation, d’accélération ou encore de veille et intelligence économique a été plébiscitée. Le rapport sera publié au cours du premier trimestre 2024.
Quelle est votre stratégie pour matérialiser ces aspirations ? Défendre le maintien en vie du Gicam, viser la tête de l’organisation en création, créer une autre entité patronale…
Nous sommes un Think Do Tank et donc toutes nos réflexions ont vocation à se concrétiser. Dès lors, et au-delà de la restitution qui sera faite des travaux que nous avons menés, nous entendons dans les prochaines semaines mobiliser toutes les parties prenantes, au premier rang desquelles les organisations patronales camerounaises, autour d’une démarche inédite en vue d’accélérer l’innovation patronale au Cameroun, dans la sous-région et sur le continent africain en général. Stay tuned !
In Investir au Cameroun