(BFI) – Au regard des coupes dont il a été la cause pour le budget de l’Éducation, le Covid-19 est parti pour remettre en question l’équité dans l’accès à une éducation de qualité.
L’impact négatif du Covid-19 sur l’économie camerounaise, caractérisée avant cette pandémie par une macro-vulnérabilité structurelle, se traduit par la contraction du budget de l’État et un ajustement des plans budgétaires en faveur du secteur de la santé. L’une des conséquences en est la réduction des ressources financières consacrées à l’éducation.
Cette situation périlleuse est susceptible d’altérer l’équité dans l’accès à une éducation de qualité – d’autant plus qu’avant la pandémie le diagnostic établi dans le cadre de l’élaboration de la stratégie 2020-2030 du secteur de l’éducation arrimée à l’objectif de développement durable 4 relevait déjà l’insuffisance des ressources, la part limitée de ces ressources allouée aux moyens susceptibles d’améliorer la qualité de l’éducation et le poids financier considérable restant à la charge des familles. Une des conséquences étant la persistance des problèmes d’équité géographique et socio-économique.Or l’accès universel et équitable à un système éducatif de qualité est un devoir impérieux de l’État, consacré dès le préambule de la Constitution, et matérialisé dans toutes les lois en matière d’éducation au Cameroun. C’est aussi la trame de fond des agendas internationaux en matière d’éducation (ODD, Agenda 2063 de l’Union africaine) auxquels le pays a souscrit. Comment la réduction du budget qui y est consacré affectera-t-elle l’accès à l’éducation ? Et comment les pouvoirs publics pourraient-ils limiter les effets néfastes de cette réduction ?
Risque de réduction de l’accès à l’éducation pour les couches vulnérables
La marginalisation des apprenants des couches socio-économiques faibles pourrait être la résultante de plusieurs scénarios. Premièrement, du fait de la baisse du budget consacré à l’éducation, les établissements publics, principal segment de formation des couches défavorisées et disposant d’une meilleure couverture territoriale, pourraient réduire leurs capacités d’accueil afin de préserver la qualité de la formation et d’appliquer les mesures de distanciation sociale.
Les apprenants ainsi recalés dans le public pourraient ne pas accéder aux établissements privés, en raison de l’incapacité de leur famille à supporter les coûts d’accès élevés de ces établissements (d’autant que ces coûts pourraient, du reste, s’élever sous l’effet mécanique de l’accroissement de la demande de formation désormais adressée aux établissements privés). Ce problème se poserait surtout pour les enfants résidant dans les zones urbaines et périurbaines ; en effet, ceux des zones rurales n’ont pratiquement pas d’alternative, du fait de la couverture très faible de ces zones par les établissements privés.
Parallèlement à ce scénario, les établissements scolaires pourraient aussi augmenter certains frais directs ou indirects habituellement imputés aux parents, transférant ainsi aux ménages une part plus ou moins importante du financement auparavant assuré par l’État. En effet, on observe qu’en plus des frais d’écolage les établissements exigent des ménages divers autres frais : adhésion à l’association des parents d’élèves, achat d’une table-banc, de rames de papier, de matériel informatique, de boîtes de craie, etc. Il est donc à craindre que, pour faire face aux difficultés de l’État, ce type de frais se généralise davantage et connaisse une hausse, au-delà des capacités de certains ménages.C’est dans cette dynamique que, dans l’imagerie populaire au Cameroun, la suppression des frais d’écolage dans l’enseignement primaire public, intervenue à la faveur du décret n° 2001/041 du 10 février 2001 portant régime des établissements scolaires publics et fixant les attributions des responsables de l’administration scolaire, est loin de se traduire par la gratuité de cet ordre d’enseignement. Bien au contraire, les responsables d’établissement multiplient les stratagèmes pour imputer telle ou telle dépense aux parents.
Dans le même ordre d’idée, il convient de relever que le Cameroun a mis en place depuis un certain temps des politiques éducatives ciblées en faveur des zones d’éducation jugées prioritaires, du fait, par exemple, du retard d’éducation accusé par les populations hôtes. À ces zones s’ajoutent celles affectées par l’insécurité en raison des attaques de Boko Haram ou de la crise dans les régions anglophones du pays. Avec la réduction des ressources consacrées à l’éducation, l’attention accordée par les pouvoirs publics à ces zones pourrait s’estomper.
Deuxièmement, l’accès inégal aux technologies, à l’information et à la communication peut constituer un frein. En effet, l’enseignement en ligne ou via la télévision est devenu le principal palliatif face à l’impossibilité des cours en présentiel. Seulement, bon nombre de familles en zone rurale n’ont accès ni à Internet ni à la télévision. Dès lors, les enfants issus de ces milieux sont tenus en dehors de l’éducation. Il en va de même pour ceux qui, bien que résidant dans les villes, ne peuvent supporter les coûts supplémentaires liés à la connexion Internet indispensable au suivi des cours à distance.De plus, l’austérité budgétaire liée à la réaction au Covid-19 pourrait également être plus préjudiciable aux filles qu’aux garçons. En effet, sous l’effet combiné des mécanismes présentés plus haut et de la réduction des revenus des ménages liés à cette crise sanitaire, les parents dont les revenus sont faibles et/ou dont les préjugés sont défavorables aux femmes pourraient décider de consacrer les ressources disponibles à l’éducation des garçons au détriment de celle des filles.
Toutefois, certaines mesures pourraient permettre de limiter l’ampleur de tous ces effets.
Maîtrise de la dépense publique et amélioration de l’affectation de l’enveloppe budgétaire
La réduction drastique des recettes publiques consécutive à la pandémie de Covid-19 intervient dans un contexte marqué par diverses entraves à la mobilisation optimale des recettes fiscales.
Aussi conviendrait-il d’orienter prioritairement les ressources disponibles vers les secteurs prioritaires, notamment l’éducation.
En ce sens, une attention particulière doit être portée aux établissements scolaires implantés dans les zones socio-économiques défavorisées. Les activités visant, tout au moins, à maintenir le niveau actuel d’accès à l’éducation devraient préalablement figurer parmi les priorités dans le processus d’élaboration de la partie du budget de l’État relative à l’éducation. Ainsi, les crédits alloués à ces activités devraient être sécurisés de manière à ce qu’ils ne puissent pas être accordés ailleurs.
L’impératif d’une meilleure régulation de l’activité des établissements scolaires
Il faut éviter que les établissements scolaires augmentent substantiellement les dépenses d’éducation incombant aux parents. Ces mesures de contrôle doivent surtout être régulières dans le secteur privé, qui pourrait assimiler l’afflux d’élèves recalés du secteur public à une aubaine commerciale. Ces mesures permettront aussi de juguler davantage la potentielle augmentation du nombre d’établissements clandestins.
Le respect des mesures de distanciation sociale réduit considérablement la capacité d’accueil du système éducatif. Les pouvoirs publics pourraient envisager, en plus de la construction de nouveaux bâtiments administratifs, des mesures incitatives en direction du secteur privé pour la mise à disposition de bâtiments susceptibles de servir d’extension aux établissements scolaires. Dans le même ordre d’idée, les pouvoirs publics pourraient davantage orienter la responsabilité sociale des entreprises vers la prise en charge de certaines dépenses d’éducation en général, et de celles des zones rurales et/ou défavorisées en particulier.
S’agissant de la gestion des infrastructures existantes, la rotation de plusieurs groupes pédagogiques dans les mêmes salles accroît significativement leur capacité d’accueil. Cependant, cette rotation des groupes pédagogiques peut exiger une rallonge de la durée de la journée de classe et de l’année scolaire afin de pouvoir aller au bout des programmes.
L’impératif d’une connaissance précise du risque de régression de l’accès à l’éducation
L’accès et l’utilisation en temps réel d’une information statistique satisfaisante sont au cœur de la réussite des politiques publiques. Cette information évite la navigation à vue et fournit une base crédible à des interventions ciblées. Dans cette optique, il est important de disposer de statistiques sur les risques liés à la régression de l’accès à l’éducation consécutive à la pandémie de Covid-19.
Il s’agit de disposer d’informations complètes et fiables sur, entre autres, les ménages fragiles et leur distribution spatiale, la structure et le poids relatif des dépenses d’éducation des ménages, la distribution de la population scolarisable, des établissements scolaires, les déterminants de l’accès équitable à l’éducation, etc. Cette maîtrise exige une nette amélioration de la culture et de la production d’une information statistique de qualité. Dès lors, il convient aussi d’allouer et de sécuriser des crédits importants à la production des données.
Edou Asseko Martin Fabrice est assistant, chargé de cours en économie à l’Essec de Douala.
Marcel Dama Dié est maître-assistant en économie du développement à l’Essec de Douala.