(BFI) – Deux Africaines sont parmi les cinq candidats qui restent en lice pour la direction générale de l’Organisation mondiale du commerce. Mais peu importe qui finira par l’emporter, l’Afrique doit exiger des règles de jeu équitables de la part de l’OMC.
La course pour succéder à Roberto Azevêdo au poste de directeur général de l’Organisation mondiale du commerce est entrée dans une nouvelle phase cruciale, le second tour du scrutin des membres de l’OMC entamé ce 24 septembre. Deux des cinq candidats restés en lice après les premiers éliminatoires sont africains : Ngozi Okonjo-Iweala, ancienne ministre nigériane des Finances et Amina Mohamed, ancienne présidente kenyane du Conseil général de l’OMC.
Les Africains espèrent que l’une de ces deux candidates hautement compétentes sera vainqueur, lorsque le directeur général sera annoncé en novembre. Mais indépendamment de qui l’emportera finalement -deux des cinq candidats seront éliminés après le deuxième tour-, l’Afrique doit exiger des règles de jeu équitables de la part de l’OMC.
Le commerce est vital pour le développement de l’Afrique et pour générer suffisamment d’emplois de qualité, afin d’absorber les 17 millions de jeunes africains qui entrent sur le marché du travail chaque année. Mais, pendant trop longtemps, les réglementations commerciales mondiales ont réduit l’Afrique en un acteur marginal et insignifiant dans la distribution du commerce mondial.
Au cours des 25 années qui sont écoulées depuis que l’OMC a succédé à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, l’organisation n’a pas œuvré, pour la plupart, dans l’intérêt du développement. En effet, l’OMC a largement profité à ses principaux architectes, à savoir les pays déjà industrialisés ou qui étaient autrement en position de force.
La part de l’Afrique dans le commerce mondial a chuté de 4,4% en 1970 à 2,7%
Les règles commerciales mondiales qui en résultaient ne tenaient pas compte des circonstances du monde en développement. Malgré les énormes volumes d’échanges -et les bénéfices- générés par la mondialisation, la part de l’Afrique dans le commerce mondial depuis 1970 est tombée de 4,4% à 2,7%. Cela s’explique en partie par le fait que les contraintes incontournables liées à l’offre ont limité les exportations de l’Afrique en grande partie aux ressources naturelles et aux produits primaires. Mais des règles commerciales injustes ont également sapé la croissance du commerce extérieur de l’Afrique dans des secteurs où la région pourrait bénéficier d’un avantage comparatif.
Pour commercer, les barrières persistantes à l’importation dans les économies développées -y compris la progressivité des droits et les normes strictes pour les produits finis- ont limité la capacité de l’Afrique à progresser dans les chaînes de valeur.
Le changement des règles est un autre obstacle à l’intégration effective de l’Afrique dans l’économie mondiale. En particulier, les économies avancées ne permettent pas aux pays en développement d’adopter les politiques industrielles qu’ils ont eux-mêmes utilisées pour transformer leurs structures de production et diversifier leurs exportations. Ha-Joon Chang, économiste à l’Université de Cambridge, a décrit ce phénomène comme le fait que les pays riches «se débarrassaient de l’échelle » avec laquelle ils sont arrivés au sommet de la pyramide du développement de manière à empêcher aux autres pays de progresser sur le même sentier.
Les Africains d’aujourd’hui réclament un commerce équitable, pas une aide
Mais l’acte d’accusation le plus grave contre le système de l’OMC concerne peut-être les subventions agricoles accordées par les gouvernements des pays développés, au détriment des millions de pauvres agriculteurs d’Afrique. Ces subventions réduisent non seulement les prix mondiaux des denrées alimentaires, ce qui rend difficile la concurrence pour les producteurs africains, mais conduisent également à un dumping de la production excédentaire sur les marchés africains, ce qui anéantit les industries locales et menace ainsi la sécurité alimentaire.
Le régime commercial mondial actuel est la cause des déficits structurels de la balance des paiements et de l’augmentation de la dette extérieure des pays africains, ainsi que la principale cause de la pauvreté intergénérationnelle et des pressions migratoires. Encouragés par leur secteur privé florissant, les Africains d’aujourd’hui réclament un commerce équitable, pas une aide.
Avec la Zlecaf, le secteur privé africain peut et veut faire plus
Un nombre croissant d’entrepreneurs d’industriels africains mènent la transformation économique du continent, soutenus par des institutions financières régionales telles que la Banque africaine d’import-export (Afreximbank). A titre d’exemple, Aliko Dangote, l’un des industriels les plus prospères d’Afrique et un champion du commerce d’Afreximbank, fait maintenant son plus gros pari en construisant un complexe pétrochimique de 15 milliards de dollars près de Lagos, au Nigéria, qui contiendra l’une des plus grandes raffineries de pétrole au monde.
De plus, les marchés africains seront suffisamment grands pour soutenir une industrialisation à grande échelle une fois que la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) -le plus grand bloc commercial au monde en termes de nombre de pays participants- commercera à fonctionner le 1er janvier 2021. Avec sa main-d’œuvre relativement bon marché, l’Afrique pourrait devenir une « Mecque » de l’investissement et, à terme, un exportateur net de produits industriels et manufacturés, ainsi que de matières premières.
Le secteur privé est bien conscient de ces opportunités. Mais une récente enquête commandée par le Comité panafricain du commerce et de l’investissement du secteur privé (PAFTRAC) auprès de plus de 200 PDG africains -y compris des dirigeants d’entreprises de plusieurs milliards de dollars, de start-ups et d’autres entreprises à croissance rapide- a révélé un consensus clair sur la nécessité de réformer l’OMC. Et une majorité de ceux qui déclarent que le commerce est un moteur de croissance important pour leur entreprise, souligne également que les pratiques commerciales déloyales limitent fortement l’expansion de leur entreprise.
Malgré ces problèmes, les institutions de financement du développement contribuent à alimenter la transformation économique de l’Afrique. A titre d’exemple, le Ghana et la Côte d’Ivoire produisent plus de la moitié du cacao mondial, mais représentaient jusqu’à récemment moins de 10% du marché mondial du cacao transformé. L’Initiative « Afreximbank Africa Cocoa » a permis aux deux pays de capter une plus grande part de la chaîne de valeur. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, est effectivement en concurrence avec les Pays-Bas pour être le premier transformateur mondial.
L’Afrique soutiendra le prochain DG de l’OMC à condition que…
L’Afrique est désormais un acteur mondial mature, avec un secteur privé prêt à conduire le développement et à prendre la place qui lui revient aux côtés des entreprises des économies les plus avancées. Tout ce que nous demandons, c’est que l’OMC supprime les barrières artificielles et les obstacles préjudiciables qui empêchent les Africains de libérer leurs énergies créatives et productives.
Un système commercial mondial plus juste, plus équitable et plus accessible doit figurer en tête du programme de réforme du prochain directeur général. Une OMC adaptée à son objectif permettra également aux gouvernements des petits pays en développement d’agir au nom de leur secteur privé sans crainte ni faveur. L’Afrique soutiendra le successeur d’Azevêdo, à condition que l’OMC serve l’Afrique de la même manière qu’elle sert le reste du monde.
Hippolyte Fofack est Economiste en chef et directeur de la recherche et de la coopération internationale chez la Banque africaine d’import-export (Afreximbank).
Pat Utomi est le président du Comité panafricain du commerce et de l’investissement du secteur privé (PAFTRAC) de l’Union africaine (UA).