(BFI) – Un mois jour pour jour après avoir passé son pic épidémique, l’Afrique continue de voir décroître rapidement la pandémie de coronavirus sur son sol. Elle serait même en train de vivre le « commencement d’un retour à la normale », selon Mark Woolhouse, professeur d’épidémiologie des maladies infectieuses à l’université d’Edimbourg, invité à s’exprimer lors d’un échange, jeudi 24 septembre, organisé par le bureau Afrique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Si la situation est plus engageante qu’ailleurs, la directrice de l’agence régionale onusienne, Matshidiso Moeti, a tout de même posé un bémol, estimant que « même si l’espoir d’un vaccin pour 2021 est dans toutes les têtes, le continent n’est pas à l’abri d’une seconde vague et le chemin pour sortir définitivement de la crise est encore long ». Il est en effet, à l’heure actuelle, encore impossible de dire si les cinquante-quatre pays vont pouvoir en finir, ou même assouplir, d’ici à la fin de l’année les restrictions qu’ils s’imposent.
Pourtant, avec 34 836 décès dus au Covid-19 et 1,43 million de contaminations pour 1,2 milliard d’habitants, l’Afrique a été la plus épargnée par la pandémie au côté de l’Océanie. Même l’Afrique du Sud et l’Egypte, qui concentrent les deux tiers des décès du continent, ne totalisent « que » 22 000 décès. Soit moins que la France et ses 31 447 morts quand les deux pays réunis pèsent 2,3 fois la population de l’Hexagone.
Ce bilan, même provisoire, est très loin des alertes occidentales du début de la pandémie prédisant aux Africains qu’ils seraient « décimés », a tenu à rappeler le docteurougandaisSam Agatre Okuonzi, de l’hôpital régional d’Arua, également invité du débat. Une crainte qui s’appuyait sur la fragilité de systèmes de santé qui n’auraient pas supporté la forte pression de puissants foyers épidémiques.
Enorme travail de sensibilisation
Durant la montée en puissance de la pandémie, « les modélisations ont aussi été compliquées sur le continent par le fait que peu de malades étaient hospitalisés, retrace la cheffe du bureau Afrique de l’OMS. A cause de la jeunesse de la population et du taux très élevé de cas asymptomatiques – près de 80 % contre une moyenne de 40 % dans les pays occidentaux. Tout le monde manquait d’informations pour faire des prévisions fines », a-t-elle tenu à préciser.
« Nous nous sommes attelés à de nouvelles modélisations tout au long de la pandémie en collectant un maximum de données et en tirant les leçons de notre expérience Ebola, complète pour sa part Francisca Mutapi, professeure en santé mondiale, en infection et immunité, de l’université d’Edimbourg. Au fil des mois, nous avons mené une analyse comparative des différentes ripostes pour en sortir le meilleur. »
Les quatre médecins s’accordent en effet pour saluer l’énorme travail de sensibilisation accompli auprès des communautés sur les gestes barrières, le port du masque, l’hygiène, la distanciation sociale et les restrictions de circulation.
Mais au-delà de cette radiographie sommaire, ces spécialistes de santé publique ont souhaité interroger plus avant les spécificités de ce continent pour dégager ce qui a protégé les Africains des grands foyers de contamination que les pays du Nord ont connus et connaissent encore.
Promptitude à réagir
A leurs yeux, la rapidité à réagir est le premier point à souligner. Dès la découverte du premier cas, le 14 février, en Egypte, « les dirigeants africains ont très tôt fermé toutes les liaisons aériennes internationales et leurs frontières intérieures. Et les consignes sanitaires ont été bien reçues par les populations », insiste la docteure Moeti.
Evidemment, la jeunesse d’un continent où seulement 3 % de la population africaine à plus de 65 ans, a compté. D’autant que les praticiens ont tenu à observer qu’un pays comme l’Algérie, en pleine transition démographique avec déjà plus de 10 % de personnes de plus de 65 ans, a été plus touché que d’autres avec près de 1 700 décès.
La structure sociale des familles a aussi été avancé, puisque les personnes très âgées, qui ne représentent que 1 % de la population africaine, ne vivent pas dans des structures d’accueil (de type Ehpad) qui leur ont été si fatales en Occident. De plus, l’importante proportion de population vivant encore dans les zones rurales, où le quotidien se déroule en extérieur, a pu aussi être un élément protecteur, comme la faiblesse de l’usage des transports sur ces zones.
A contrario, pour les pays comme l’Afrique du Sud ou l’Egypte, la densité urbaine, voire la surpopulation sur certaines zones, ont largement favorisé la propagation du virus. Pourrait s’ajouter la possibilité d’une immunité croisée pour des populations déjà exposées à d’autres types de coronavirus a aussi insisté la professeure Francisca Maputi. Autant dire, ont conclu les spécialistes, que les facteurs de résistance du continent ont été multiples et qu’il faudra encore des mois, voire des années, pour les analyser plus en finesse.
Vigilance accrue
Cette situation, pour l’heure bien moins sombre qu’imaginée, n’empêche pas une vigilance accrue sur l’évolution du virus dans les cinquante-quatre pays, dont aucun n’a été épargné. C’est pourquoi l’OMS et les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique) ont annoncé il y a deux semaines le lancement d’un réseau de douze laboratoires, dont dix africains, pour renforcer le séquençage du génome du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV-2). Tandis que plusieurs pays, à l’instar du Sénégal et du Maroc, produisent désormais leurs propres tests Covid.
« Il est essentiel de pouvoir non seulement suivre l’évolution du virus, mais aussi d’évaluer sa mutation possible pour mettre en place une réponse efficace », a expliqué Mme Moeti. Et pour cela pas moins de 2 016 séquences de virus, provenant de dix-huit pays (Algérie, Bénin, Cameroun, RDC, Egypte, Gambie, Ghana, Kenya, Madagascar, Mali, Maroc, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Afrique du Sud, Tunisie, Ouganda, Zambie) ont déjà été générées et sont soumises à analyse. Ce qui lui fait même dire que « grâce à ce nouveau réseau, nous sommes mieux placés pour mettre au point des vaccins et des traitements adaptés aux populations africaines et, à terme, pour maîtriser le Covid-19 ».
Pour l’heure, le séquençage a déjà révélé que la plupart des versions du coronavirus qui ont circulé sur le continent sont issues de la lignée qui a émergé en Europe. Autrement dit, le coronavirus a largement été importé. Ce qui confirme que la stratégie panafricaine de restriction de circulation sur terre, sur mer et dans les airs a bien été la bonne. Mais cette collecte est aussi très précieuse pour comprendre comment le virus circule en se transformant.
Ont ainsi pu être identifiées dix lignées sur le continent et leur regroupement par lignée ou sous-lignée révèle les liens ou les importations du SARS-CoV-2 d’un pays africain à un autre. « Grâce au séquençage génomique, nous pouvons mieux comprendre la pandémie en identifiant plus précisément les groupes de transmission », a ainsi expliqué le docteur John Nkengasong, directeur du CDC Afrique.Effet collatéral, la crise du coronavirus aura donc aussi fait progresser les partenariats entre pays du continent et l’expertise de ses scientifiques, que les épisodes d’Ebola avaient déjà bien armés. Mais « on a besoin d’encore plus de chercheurs africains, a conclu Francisca Mutapi. Des chercheurs qui peuvent dialoguer avec les institutions nationales et continentales pour bâtir, quel que soit le virus, la riposte la plus pertinente possible. » Et l’OugandaisSam Agatre Okuonzi d’ajouter : « Et tirer les leçons d’une épidémie africaine qui est loin du désastre annoncé. »
Avec Le Monde Afrique