(BFI) – Une nouvelle réglementation pourrait révolutionner l’industrie du capital-investissement pour les huit pays de l’Uemoa, estime Johanna Monthé, associée du cabinet d’avocats Epena Law.
L’inscription de Maurice sur les listes de pays à haut risque en matière de lutte contre le blanchiment d’argent de la Commission européenne en mai 2020 interroge sur l’avenir de cette place financière, qui héberge selon les estimations 98 % des fonds d’investissement spécialisés sur l’Afrique.
Hasard du calendrier, la Banque mondiale et le CREPMF (Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers) ont publié en octobre 2019 un nouveau projet de cadre pour l’industrie du capital-investissement et du capital-risque dans les huit pays de l’Uemoa.
Le système proposé s’inspire de la pratique des plus grandes places financières et suit plus particulièrement le modèle luxembourgeois, première économie des fonds d’investissement en Europe, et deuxième dans le monde.
Alignement sur les standards internationaux
La proposition du CREPMF et de la Banque mondiale résulte du constat que sur les vingt-six fonds de capital-risque et de capital-investissement opérant dans la zone de l’Uemoa en 2018, seuls cinq d’entre eux étaient domiciliés dans cette zone, la majorité étant établis à Maurice.
En cause : la transposition inégale des textes applicables en zone Uemoa dans les législations locales – la Côte d’Ivoire n’a par exemple pas adopté la réglementation fiscale offrant un régime préférentiel aux fonds de capital-investissement -, ou encore le décalage entre ces textes et les standards internationaux, sur lesquels s’alignent largement les nouvelles règles proposées.
Le nouveau cadre proposé présente notamment l’intérêt immédiat de permettre aux gestionnaires de la zone UEMOA de faciliter leurs levées de capitaux auprès d’investisseurs locaux ayant des restrictions d’investissement géographiques, tels que les assureurs et fonds de pension locaux.
Il se veut également plus lisible pour les investisseurs internationaux en limitant les formes juridiques disponibles aux deux formes les plus utilisées dans l’industrie : le partenariat limité (limited partnership) et la société en commandite simple, qui permettent de bien répartir les rôles et responsabilités entre les investisseurs (passifs) et le gestionnaire.
Des avantages et des contraintes
Ce cadre introduit en outre la possibilité de créer des structures à compartiments, permettant ainsi à un gestionnaire de poursuivre différentes stratégies au sein d’un même véhicule. Cette évolution répond à la demande croissante des gestionnaires de pouvoir regrouper au sein d’une même structure des investisseurs ayant des profils de risque différents, tout en garantissant la ségrégation légale et comptable entre compartiments. Finalement le nouveau cadre propose des avantages fiscaux clairs, en ligne avec la pratique internationale, tels que l’exemption de TVA pour les activités de gestion d’actifs.
Cependant, ce régime contient également certaines contraintes dont la portée devra sans doute être confirmée par la pratique. À titre d’exemple, le nouveau régime prévoit l’obligation de nommer un dépositaire pour conserver les actifs du fonds – à titre de comparaison, Maurice n’exige pas la désignation d’un dépositaire, et de nombreux pays européens n’imposent cette exigence qu’au-delà d’un certain montant d’actifs sous gestion (500 million d’euros).
Par ailleurs, la proposition actuelle ne contient pas de dispositions relatives aux modalités de reconnaissance mutuelle avec les pays limitrophes de la zone, tel que le géant nigérian, première économie en matière de capital-investissement en Afrique de l’Ouest.
Ajustements nécessaires
Malgré ces limites, le nouveau cadre proposé constitue un progrès significatif pour l’industrie du capital-investissement dans la région UEMOA. Dans un contexte où les investisseurs historiques dans les fonds africains montrent de plus en plus de réticences à recourir au modèle traditionnel mauricien ce nouveau régime, s’il est adopté, pourrait présenter une réelle aubaine pour l’industrie du capital-investissement en Afrique de l’Ouest.
L’efficacité du système proposé nécessitera néanmoins certains ajustements de l’écosystème actuel. Les prestataires de service locaux et organismes de surveillance, notamment, joueront un rôle primordial pour faciliter (ou décourager) l’accès par les gestionnaires aux nouvelles mesures. En outre, afin de constituer une alternative crédible à Maurice, et de tirer avantage de l’augmentation des transactions entre pays francophones et anglophones d’Afrique de l’Ouest, il sera nécessaire d’ouvrir le modèle aux acteurs anglophones de la zone Cedeao.
Ainsi donc, bien que la route reste « longue », l’initiative du CREPMF et de la Banque mondiale n’en demeure pas moins inédite et porteuse de nombreux espoirs pour le continent africain.
Par Johanna Monthé, est associée du cabinet d’avocats Epena Law. Elle est avocate aux barreaux du Cameroun, d’Angleterre, de New York et de Paris.