(BFI) – Avec l’apparition de la crise sanitaire liée au coronavirus, il devient de plus en plus évident que les efforts du continent ne doivent plus se résoudre uniquement à nourrir son milliard d’habitants ou à répondre aux questions de dettes extérieures, mais aussi à démontrer sa capacité à financer le secteur de la santé publique : un continent malade est un continent qui aura toutes les peines du monde à se développer.
Le coronavirus a rebattu les cartes des priorités sur le continent, en particulier celle du secteur de la santé. Il y a encore quelques mois, le continent africain était celui de tous les espoirs : une jeunesse active qui a pris conscience des enjeux actuels et futurs notamment sur le plan économique politique et social, une volonté dans certaines régions (Afrique de l’Ouest) de se doter d’une vraie croissance partagée, c’est-à-dire une croissance à la fois économique et sociale avec un fort accent sur le développement local. Mais l’Afrique c’est aussi des problèmes d’endettement qui se répercutent notamment sur la capacité des Etats à financer eux-mêmes certains secteurs, en particulier celui de la santé publique. Avec l’apparition de la crise sanitaire liée au coronavirus, il devient de plus en plus évident que les efforts du continent ne doivent plus se résoudre uniquement à nourrir son milliard d’habitants ou à répondre aux questions de dettes extérieures, mais aussi à démontrer sa capacité à financer le secteur de la santé publique : un continent malade est un continent qui aura toutes les peines du monde à se développer.
Plusieurs indicateurs donnent la mesure de cette décorrélation entre population et offre de soins. Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise un ratio de 7 médecins et 30 lits d’hôpital pour 10 000 habitants, l’Afrique subsaharienne n’en compte respectivement que 1 et 10. Dans la même région, les dépenses de santé restent dix fois inférieures à la moyenne mondiale.
Qui finance la santé en Afrique ?
Le secteur de la santé publique en Afrique est très peu financé par les Etats, la plupart des subventions proviennent de l’OMS, des institutions internationales telles que l’UE mais aussi des ONG telles que la Fondation Bill et Melinda Gates qui est d’ailleurs très active sur le continent avec des programmes de vaccination contre la polio, le paludisme ou encore le VIH. Les Etats ne consacrent qu’un très faible budget à la santé publique. L’Organisation mondiale de la santé a déclaré que seuls le Rwanda et l’Afrique du Sud ont atteint 15 %, tandis que la Commission de l’Union africaine a rapporté que seuls six États membres de l’UA ont dépassé le seuil des 15 % – le Rwanda (18,8 %), le Botswana (17,8 %), le Niger (17,8 %), le Malawi (17,1 %), la Zambie (16,4 %) et le Burkina Faso (15,8 %). L’OMS signale également que le niveau médian des dépenses réelles du gouvernement par habitant en Afrique a augmenté de 10 à 14 dollars : encore trop faible.
Ce déficit de financement, tant au niveau des ressources nationales que des bailleurs de fonds, signifie que la plupart des pays africains ne sont pas encore sur la voie pour atteindre les ODD relatifs à la santé.
Le marché de la santé en Afrique est évalué à 35 milliards de dollars, dont la moitié (en termes d’accès aux soins par exemple) est payée par les patients directement, ce qui fait que les populations financent elles-mêmes de manière indirecte plus de 50% des frais liés à la santé publique. On parle ici d’une population pauvre pour la plupart des cas, qui ne survit qu’avec moins de 1,9 dollar par jour. Selon une étude du cabinet Deloitte, la santé bénéficie de seulement 0,3 % des dépenses d’infrastructures publiques, contre 16 % à l’énergie et aux transports. Trop peu d’hôpitaux, trop peu de médecins par habitant et une sécurité sociale quasi inexistante, il faut rajouter à cela le problème de l’accès aux médicaments et aux soins, sinon celui des faux médicaments sur le continent qui est l’une des résultantes du manque de financement du secteur de la santé publique en Afrique.
L’impact de la santé publique sur la croissance économique du continent
La population du continent va probablement doubler d’ici 2050, on l’estime à 2,5 milliards d’habitants. Ce gap démographique peut donc avoir un effet négatif sur la croissance économique et le développement des Etats africains si rien n’est fait au niveau des politiques de financement de la santé publique. Et contrairement à l’accord d’Abuja de 2001 qui prévoyait que seuls 15% du budget des Etats suffirait pour lutter contre les principales maladies sur le continent, le coronavirus pose le principe sur lequel l’Afrique ne peut plus compter sur les subventions internationales pour se construire une santé publique forte et capable de répondre à des défis sanitaires majeurs. En Afrique, les maladies plombent le budget des ménages et l’économie des pays, l’OMS estime à 2 400 milliards de dollars par an le manque à gagner dû à l’état de santé des populations. Des coûts qui affectent donc les revenus des ménages, tout comme les PIB.
Les résultats d’une étude concernant l’impact de la santé – mesuré en termes d’espérance de vie – sur la croissance économique laissent entrevoir qu’une année de vie de plus augmente le PIB de 4 %.
Quelles solutions de financements pour le secteur de la santé publique ?
La coopération globale au niveau de la santé publique entre l’Afrique et ses différents partenaires publics et privés n’est pas à remettre en cause, tout comme l’apport du secteur privé à l’économie de la santé, il s’agit là plutôt d’un apport conséquent essentiel et vital pour la santé publique du continent. Cependant, les termes de l’accord d’Abuja de 2001 ne sont plus compatibles avec les enjeux et les défis du continent vis-à-vis de santé publique. L’Afrique doit reprendre la main sur le financement des infrastructures hospitalières, la formation de son personnel soignant, la mise en place d’une couverture maladie universelle et le financement de la recherche biomédicale dont elle est encore en partie dépendante de l’Institut Pasteur dans la plupart des Etats.
Il faut privilégier les initiatives locales et régionales, les entreprises privées par exemple peuvent, en effet, être efficacement appelées à financer les infrastructures sanitaires, leur équipement et leur gestion, une manière de partager les risques et les responsabilités. La Banque africaine de développement (BAD) a d’ailleurs récemment approuvé dans ce sens un programme de financement de la santé en Afrique : Razorite Healthcare Africa Fund 1 (RHAF1) domicilié à Maurice et dédié au financement d’infrastructures de santé avec pour objectif final une levée de fonds de près de 100 millions de dollars pour soutenir des entreprises d’Afrique subsaharienne axées sur le secteur des soins de santé et présentant un fort potentiel de croissance.
Enfin, il est donc évident qu’avec cette crise sanitaire, l’un des principaux défis du continent sera de réorganiser sa santé publique, mais surtout de remettre en avant des politiques de financement indépendantes des subventions extérieures et plutôt recentrées sur des initiatives locales, régionales et continentales. Ceci pour faire de la santé publique l’un des véritables leviers de croissance économique et sociale pour les décennies à venir.
Sewa Wilson, directeur associé chez Next Associés, startup dans le conseil et stratégies spécialisée dans l’intelligence économique pour institutions publiques et entreprises privées en direction de l’Afrique.