(BFI) – La dette publique africaine a explosé de 170%, dépassant désormais les 1 800 milliards de dollars. Un niveau élevé qui s’explique à la fois par les besoins massifs en infrastructures, les dépenses liées aux crises successives et l’évolution des sources de financement internationales.
Si le ratio dette/PIB montre une légère détente, attendu autour de 61,4% en 2026, contre 66% en 2023, la vulnérabilité, elle, ne faiblit pas. Ces chiffres tirés de la dernière mise à jour des perspectives macroéconomiques de la Banque Africaine de Développement (BAD), révèle une réalité : le coût du service de cette dette explose, détournant des ressources précieuses des investissements productifs vers le remboursement des créanciers.
Une structure de dette profondément transformée
Au cours de la dernière décennie, la composition de la dette africaine s’est radicalement modifiée. Les prêts concessionnels, dominants il y a encore 15 ans, ont laissé place à des instruments plus coûteux et plus volatils. La part de la Dette extérieure commerciale est ainsi passée de 35% en 2010 à 46% en 2023. Les euro-obligations, les créanciers émergents hors Club de Paris et les financements contractés à des taux de marché occupent désormais une place dominante.
Face à l’accès difficile aux marchés internationaux ces dernières années, les pays africains se sont massivement tournés vers les financements domestiques. Selon la BAD, la dette intérieure représente aujourd’hui 38% de la dette totale, contre 29% en 2010, soit près de 500 milliards USD. Cette stratégie de substitution a un coût élevé, elle renchérit les taux domestiques, accentue la concurrence entre l’État et le secteur privé pour l’accès au crédit, et accroît l’exposition des banques aux risques souverains.
Le service de la dette explose : jusqu’à 31% des recettes publiques
Le véritable point de rupture se situe du côté du service de la dette, devenu un très lourd fardeau. Entre 2011 et 2024, la part des recettes publiques consacrée au remboursement du principal et des intérêts est passée de 11,7% à plus de 31% en moyenne.
En 2024, les pays africains ont consacré 6,3% de leurs recettes publiques au paiement des intérêts extérieurs uniquement. Pour certains pays tels que le Ghana, Zambie, Angola, Sénégal, Guinée-Bissau, ce ratio dépasse 10%, réduisant dramatiquement la capacité à financer les services essentiels.
Le constat le plus choquant est que dans 25 des 51 pays, les paiements d’intérêts ont dépassé les dépenses de santé publique entre 2021 et 2023. Un indicateur sans équivoque de l’arbitrage budgétaire en défaveur du capital humain.
Pourquoi la dette devient incontrôlable
Plusieurs facteurs expliquent la montée des risques autour de la dette africaine. On peut citer
- Coût d’emprunt trop élevé : Les primes de risque restent supérieures aux niveaux pré-pandémie, malgré la détente monétaire mondiale. En 2025, certains pays ont emprunté à des taux dépassant 10% sur les marchés internationaux.
- Manque de transparence et coordination limitée : La multiplicité des créanciers (bilatéraux, privés, émergents) rend les restructurations opaques et très lentes.
- Mobilisation fiscale insuffisante : Le ratio impôts/PIB plafonne autour de 14%, loin des 30-35% observés dans les économies émergentes. Cette faible capacité de collecte réduit la marge de manœuvre budgétaire et oblige à emprunter davantage.
- Chocs externes récurrents : Volatilité des prix des matières premières, climat, conflits régionaux : chaque choc pousse les États à emprunter davantage.
- Faiblesses de la gestion budgétaire : Subventions mal ciblées, pertes dans les entreprises publiques, passifs contingents, dépenses hors budget : autant de facteurs qui aggravent la fragilité.
Quelques pistes d’action urgentes
Pour restaurer la soutenabilité de la dette, la BAD recommande une réponse à plusieurs niveaux : améliorer la gouvernance budgétaire et renforcer la transparence ; publier régulièrement les engagements et intégrer les passifs contingents ; numériser les administrations fiscales pour accroître les recettes ; harmoniser les outils de viabilité de la dette au niveau régional ; réformer le Cadre commun du G20, encore trop lent et incomplet.
Sans actions rapides, le poids de la dette continuera de cannibaliser les marges budgétaires, au détriment de l’investissement, de l’emploi et de la transformation structurelle.




