(BFI) – Mettre fin au franc CFA ne relève pas d’un simple changement de monnaie : c’est une redéfinition des fondements économiques et institutionnels des États africains. Conçu en 1945 dans un contexte colonial, le franc CFA a longtemps assuré stabilité et prévisibilité : inflation maîtrisée, convertibilité garantie par la France, facilitation des échanges régionaux et confiance des investisseurs étrangers. Mais cette stabilité reposait sur une dépendance structurelle : les pays membres ont cédé une part essentielle de leur souveraineté monétaire en adoptant des règles fixées hors de leur espace décisionnel, souvent déconnectées de leurs priorités économiques internes. Rompre avec ce système ouvre deux voies distinctes.
Deux chemins pour l’indépendance monétaire
La première, ambitieuse, consisterait à instaurer des monnaies pleinement autonomes, capables d’accompagner des politiques adaptées aux réalités nationales : financement ciblé de l’investissement productif, politique de crédit tournée vers les secteurs porteurs, pilotage plus flexible des taux d’intérêt et du budget selon le cycle économique. La seconde, plus graduelle, passerait par une refonte encadrée : gouvernance régionale repensée, constitution progressive de réserves de change, mise en place d’un régime de change administré ou géré collectivement. Les bénéfices potentiels d’une telle transformation sont substantiels. Les pays gagneraient en capacité d’ajustement face aux chocs économiques, pourraient mieux soutenir la transformation industrielle, renforcer leurs marchés financiers et orienter l’épargne vers la production locale. La rupture offrirait aussi un levier de cohérence entre politique monétaire, budgétaire et de développement, en redonnant de la visibilité aux stratégies économiques nationales.
Une transition semée d’embûches
Mais cette transition comporte des risques majeurs. Une sortie précipitée pourrait provoquer une fuite des capitaux, une dépréciation rapide de la nouvelle monnaie, une poussée inflationniste et une hausse du coût du crédit. Dans des économies souvent fragiles — déséquilibres budgétaires persistants, faibles réserves de change, marchés financiers étroits —, ces effets cumulés pourraient compromettre la stabilité macroéconomique et miner la confiance des acteurs économiques. L’enjeu central n’est donc pas le nom de la monnaie, mais la solidité des institutions qui la soutiennent. La réussite d’un nouveau cadre monétaire suppose des banques centrales indépendantes et crédibles, une gestion budgétaire rigoureuse, la constitution de mécanismes de stabilisation, une intégration régionale renforcée et des marchés financiers capables d’absorber les chocs.
Sans ces fondations, toute réforme resterait symbolique et vulnérable aux pressions externes comme aux déséquilibres internes. La véritable transition n’est pas seulement monétaire : elle est institutionnelle et économique. Elle vise à doter les pays africains d’outils capables d’assurer la stabilité, de soutenir la croissance et d’inspirer confiance aux marchés comme aux citoyens. La disparition du franc CFA n’aura de sens que si elle s’inscrit dans une architecture économique maîtrisée, articulant souveraineté et discipline, flexibilité et crédibilité. C’est à ce prix que la souveraineté monétaire pourra devenir un véritable levier de développement durable.
Par Constantin Dabiré, PDG de la Société africaine d’ingénierie et d’intermédiation financières




