(BFI) – Le patron d’Olam Food Ingredient (OFI) Cameroun, (2021-2025), a été nommé « à la tête des opérations cacao d’Ofi en Côte d’Ivoire ». Une annonce lourde de symboles. Car en Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, cette fève n’est pas qu’une culture : c’est un empire. Et désormais, l’un de ses plus hauts dignitaires est Camerounais. À 53 ans, Joseph Manna, qui a pris fonction en juin dernier à Abidjan, tient les rênes d’un secteur qui fait vivre près d’un quart de la population ivoirienne et a généré 2018 milliards de FCFA d’exportations en 2023, selon l’Agence Côte d’Ivoire Export. Au sein du groupe Olam, c’est une première pour un Africain.
Au pays des éléphants, Ofi est un véritable mastodonte. Selon des statistiques non confirmées par l’entreprise, Ofi traite parfois jusqu’à 350 000 tonnes de cacao, sur une production ivoirienne moyenne de 1,8 million de tonnes la campagne 2024/2025. À titre de comparaison, Ofi Côte d’Ivoire traite à lui seul davantage que l’ensemble de la production cacaoyère du Cameroun, qui s’est chiffrée à 309 518 tonnes en 2024. Avec deux unités industrielles à Abidjan et à San-Pedro, l’entreprise transforme 166 000 tonnes de fèves par an, soit 17,5 % des capacités de transformation installées en Côte d’Ivoire (950 000 tonnes).
La moitié des volumes de fèves d’Ofi Côte d’Ivoire est déjà certifiée, un atout majeur alors que la nouvelle réglementation européenne sur la lutte contre la déforestation (EUDR) bouleverse les règles du jeu. Mais le géant singapourien entend aller plus loin pour sécuriser ses débouchés et consolider sa présence face à la concurrence. Car derrière cette nomination se joue une bataille d’influence : celle des parts de marché du négoce ivoirien, encore dominé par Barry Callebaut, premier exportateur du pays.
Depuis son arrivée, Joseph Manna chapeaute une armée humaine quatre fois supérieure aux effectifs permanents d’Ofi Cameroun, à laquelle s’ajoutent plus d’un millier de travailleurs saisonniers. Un défi monumental, qui place la barre très haut pour la gestion des opérations quotidiennes et la performance globale de l’entreprise.
Cette nomination couronne aussi vingt-six ans de parcours au sein du groupe Olam International pour cet enfant de Bali Nyonga, dans la région du Nord-Ouest du Cameroun, qui a construit sa carrière à force de patience, de travail acharné et de résultats tangibles, loin des projecteurs.
Du bas de l’échelle au sommet
En 1999, Olam Cameroun (Olamcam) n’est encore qu’une jeune pousse. Manna, diplômé de la toute première promotion de la Faculté des arts de l’université de Buea, y entre comme inspecteur qualité. Son quotidien : parcourir les pistes boueuses pour rencontrer les producteurs et inspecter fève après fève. À cette époque, ses responsabilités au sein du groupe sont limitées. Mais sa motivation est sans faille. Armé de la rigueur et de la curiosité propres aux hommes ambitieux, le jeune Manna se révèle un loup aux dents longues sur lequel Olam peut compter.
Rapidement, il gravit les échelons : chef d’unité en 2001, superviseur de branche en 2007, puis Business Controller en 2009. Sa mission est stratégique puisqu’il s’agit de gérer l’approvisionnement en cacao dans l’ensemble des bassins de production du Centre, du Sud et de l’Est du Cameroun, ainsi que l’approvisionnement, la transformation et l’exportation du café arabica. Les volumes tournent alors autour de 15 000 tonnes de cacao et 2 000 tonnes d’arabica.
La qualité de ses performances lui vaut d’être nommé Business Head du pôle cacao en 2016. Sous sa houlette, la collecte grimpe à 40 000 tonnes de cacao par an. Douala devient son terrain de jeu. Ici, il supervise toute la chaîne de valeur : de l’achat aux producteurs à l’expédition vers l’Europe et l’Asie. L’année suivante, il accède au poste de Product Country Head, Cocoa. Il restructure le modèle d’approvisionnement, sécurise des positions commerciales et durcit les critères qualité.
Tournant décisif
En 2019, Joseph Manna franchit un nouveau cap en devenant vice-président du groupe Olam. Un an plus tard, la vaste restructuration du conglomérat singapourien donne naissance à Olam Food Ingredients (Ofi), l’une de ses quatre entités indépendantes. Cette réorganisation s’accompagne d’une nomination symbolique : Manna devient Country Head d’Ofi Cameroun, le premier Camerounais à occuper ce poste. À ce titre, il supervise l’ensemble des opérations, impulse la stratégie de croissance et veille à la conformité fiscale. Les résultats ne se font pas attendre. La collecte directe de cacao grimpe de 40 000 à plus de 70 000 tonnes, consolidant la position d’Ofi parmi les deux plus grands exportateurs de cacao au Cameroun. Dans la foulée, Ofi Cameroun se hisse également parmi les 25 plus gros contribuables du pays, renforçant sa place stratégique dans l’économie nationale.
Défenseur de la fève durable
Au-delà des volumes, Joseph Manna s’est attaqué à un défi de taille : la qualité du cacao camerounais, longtemps considérée comme son talon d’Achille sur les marchés internationaux. En étroite collaboration avec les autorités et les acteurs de la filière, il initie des programmes ambitieux pour hisser le pays au niveau des géants mondiaux comme la Côte d’Ivoire, le Ghana ou encore l’Équateur.
Les résultats parlent d’eux-mêmes : en l’espace de cinq ans, les volumes certifiés passent de 3 000 à plus de 30 000 tonnes. Cette progression fulgurante s’appuie sur un réseau structuré de plus de 20 000 producteurs certifiés et 50 000 exploitants identifiés et cartographiés selon les standards de l’EUDR. Un effort titanesque, mais payant : rien qu’au cours des trois dernières années, plus de 800 millions de FCFA de primes ont été injectés chaque année dans les communautés cacaoyères, transformant durablement les revenus des paysans.
Distinctions
En s’imposant comme l’une des figures marquantes du groupe Olam, Joseph Manna a enchaîné distinctions et reconnaissances. Ses performances constantes, son excellence opérationnelle et son leadership lui ont valu de multiples prix internes, consacrant son rôle clé au sein du conglomérat. En 2017, sa réputation franchit les frontières du groupe : la Banque mondiale lui décerne un certificat pour sa contribution au rapport « Enabling the Business of Agriculture », consacrant son expertise à l’international.
Son application rigoureuse de la politique de conformité d’Ofi au Cameroun a, elle aussi, été saluée. En 2023, lors de la Cameroon Customs Stakeholders Night, Ofi Cameroun est classée troisième plus grand exportateur du pays et reçoit une distinction spéciale pour la plus forte progression des exportations en 2022. En 2025, le RTC et le Port autonome de Douala consacrent l’entreprise premier exportateur de fèves de cacao et deuxième exportateur national de produits de base, confirmant l’empreinte du management de Manna.
Aux côtés des producteurs
Homme discret, aux décisions fermes, Manna reste connecté à la terre. Il cultive ses propres cacaoyers, « pour sentir le terrain », confie-t-il. Désormais, il déploie son savoir-faire à Abidjan. Rendements, qualité, durabilité : il sait que la bataille se gagne aux côtés des producteurs, là où il a commencé… au Cameroun.
Dans un marché mondial du cacao marqué par la volatilité des prix et les défis environnementaux, sa nomination est un signal clair. Ofi mise sur l’expérience de terrain et le leadership africain pour consolider sa position dans le premier pays producteur mondial. Pour Joseph Manna, le portrait d’un leader s’écrit encore, au rythme des fèves et des saisons.