(BFI) – La monnaie est un enjeu central de notre époque parce qu’elle se trouve à l’intersection de trois types de problématiques de ce nouvel âge conflictuel de la mondialisation : d’abord, la possibilité d’échanges commerciaux et financiers garants de stabilité et de prospérité ; ensuite, l’expression d’une forme de souveraineté de l’État ; et, enfin, la participation à la manifestation d’une identité collective nationale. La combinaison de ces trois causes constitue, en effet, le déterminant de l’adéquation du franc CFA aux réalités économiques, politiques et sociales des pays utilisateurs.
Alors que le débat sur la fin prononcée du franc CFA se pose avec véhémence et s’institutionnalise en Afrique de l’Ouest précipitée par deux évènements politiques majeurs à savoir : la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) et l’accession démocratiquement correct de Bassirou Diomaye FAYE à la tête du Sénégal, en Afrique Centrale le sujet semble tabou, et les dirigeants sont de plus en plus réservés à mettre en débat l’épineuse question.
Dans la partie Ouest, les choses ont considérablement évolué ce, de façon dynamique par le fait que le débat infuse toute la société. Les différentes réformes engagées et annonces faites, font de cette question autour du franc CFA un défi commun. De la ratification du nouveau traité de coopération monétaire entre la France et l’Union monétaire ouest-africaine (UEMOA), de la fermeture du compte d’opération et le renoncement par Paris du dépôt d’au moins 50 % des réserves de change des pays de la zone franc auprès du Trésor français avec en sus le retrait des français de toutes les instances de décisions de l’UEMOA sont autant de décisions qui marquent bien la fin d’une époque, puisque la France sort de la gestion monétaire quotidienne des États de l’UEMOA.
Ce changement de paradigme donne le ton, et laisse entrevoir de lendemains rassurants vers la consolidation d’un espace économique viable, d’une monnaie commune et fédératrice avec le Nigéria et le Ghana, le tout sur des priorités structurelles et stratégiques décidées par les Africains. L’argument central de cette réflexion est de présenter les défis qui caractérisent la
question du franc CFA au sein de la zone CEMAC. Si la première ligne soulève les motifs de blocage, la deuxième s’étale sur l’ultime conviction de faire évoluer les choses.
LA CEMAC : Quelle position autour franc CFA ?
Au niveau de la zone AFCE1, le sujet est tabou, et aucune réforme n’est visiblement engagée. Ainsi, j’entrevois deux motifs qui pourraient expliquer ce mutisme et l’immobilisme qui en découle. Le premier, c’est clairement une absence de leadership au niveau de la conférence des chefs d’État de la CEMAC, puisque c’est cet organe qui doit impulser les réformes. La BEAC, organe désigné pour proposer dans des délais raisonnables un schéma approprié conduisant à l’évolution de la monnaie commune, semble trainer le pied. De toute évidence, sa gouvernance ne se fonde plus sur une conviction, ni une légitimité au regard des scandales à répétition, des désaccords au sein de son exécutif, et des prises de position partisane.
L’identité communautaire, symbole d’un idéal et des défis communs a disparu laissant place à un tour de cantine. A cela découle, d’un côté, une absence de consensus autour de ce dossier, et de l’autre l’adoption d’une démarche démagogique consistant à surfer entre les vagues de reconnaissance et de démarcation.
Le second motif, est celui en lien avec la faiblesse des reformes en matière de finances publiques dans l’application des critères de convergence qui a conduit à la mise sous assistance financière du FMI à la suite de la conférence de Yaoundé, en décembre 2016. Ces vagues de recours près du Fonds Monétaire International se traduisent par des facilités élargies de crédit (FEC) qui sont des programmes économiques comportant des mesures pour tendre vers une situation macroéconomique stable et viable. Comment poser le débat dans ce contexte ?
Ces critères préconisent un taux d’inflation inférieur ou égal à 3%, un encours de dette publique rapporté au PIB inférieur ou égal 70% pour ne considérer que ces deux. Parmi les critiques formulées dans la littérature, on retrouve régulièrement l’argument du caractère absolu des seuils et on souligne que les plafonds fixés ont été arrêtés de manière parfois arbitraire (Fouda Owoundi, 2009 ; Gupta, Powell et Yang, 2005).
Prenons le cas pour le plafond d’inflation, de nombreuses études s’interrogent sur le seuil de 3% dont la définition numérique semble trop basse (Avom, 2007 ; Nkodia et Sarr, 2007; Plane et Tanimoune, 2005). Ce seuil peut en effet induire des coûts potentiels en termes d’activité économique et d’emploi, et conduire vraisemblablement à une exposition au risque déflationniste. Une étude de la FERDI2 propose de déplacer ce critère au second rang expliquant que ce déplacement ne modifierait pas l’objectif de stabilité monétaire des banques centrales régionales. Cette proposition peut également être justifiée par le fait qu’historiquement l’inflation n’a jamais constitué une menace pour les pays membres de la CEMAC et qu’elle est essentiellement importée.
Le fait est que ces mesures d’assistance sont souvent accompagnées d’une batterie
de recommandations n’épargnant pas le panier de la ménagère (Cas du Congo avec une augmentation du prix à la pompe du carburant dans un marché du travail au salaire rigide depuis des années). Une digression serait de dire que ces programmes ne sont autres que des demi-sœurs des anciennes politiques d’ajustement structurel qui, durant la décennie 90 , ont sacrifiés sur l’autel des intérêts de la France tous les espoirs de développement que portaient l’Afrique francophone. La formule sacrificatrice a été la dévaluation unilatérale3 par la France de 50% de la valeur du franc CFA face au Franc Français de l’époque.
La nécessite d’une évolution
84 ans après son institution, alors que les zones monétaires escudo et sterling, créées à la même période, ont disparu, la zone franc signe et perdure dans des pays dont la situation économique en fait parmi les plus pauvres au monde. Elle se caractérise par une pauvreté extrême, un chômage chronique et structurel où plus de 40% de la population vit dans l’extrême pauvreté, et est confrontée à d’innombrables défis structurels qui compromettent croissance et développement. Le FCFA a beaucoup de défauts à lui tout seul. Jusque-là, l’équilibre externe prime sur l’équilibre interne, et tout l’enjeu est de faire évoluer cette hiérarchie de manière que les objectifs internes soient davantage pris en compte sans que l’instabilité monétaire ne s’installe, détruisant au passage les acquis, en termes de coordination régionale, de l’actuelle coopération économique et monétaire en zones CFA. La remise en cause profonde des mérites du franc CFA en l’occurrence la fixité de la parité du CFA avec l’euro.
Nous sommes à la croisée des chemins. Pour l’instant, nous avons un système monétaire qui favorise l’extraversion des économies, sans transformation des matières premières, de l’Afrique vers le reste du monde avec un franc CFA qui apparaît comme un véhicule commode de l’accumulation de richesses hors de la zone franc du fait de la convertibilité du franc CFA en euro, de la parité fixe entre CFA, et euro et de la libre circulation des capitaux de la zone franc vers la zone euro.
L’effet de bascule ne peut avoir lieu que si nous avons un système monétaire et financier qui finance l’économie intérieure et donc qui finance la transformation structurelle de nos économies. On ne peut pas avoir un débat éthéré sur la meilleure organisation monétaire. Il faut que le débat autour de la monnaie que nous voulons soit connecté directement au type de développement que nous voulons. Et si le type de développement que nous voulons, c’est la transformation sur place de nos matières premières. C’est donc se positionner sur des phases plus élevées des chaînes de valeurs régionales et internationales. Là, il faudrait une monnaie qui puisse financer l’économie réelle, à des taux d’intérêt très bas, et qui puisse permettre aussi la compétitivité à l’export de nos économies, donc une monnaie plutôt faible et pas aussi forte que le CFA.
Cette question est inextricablement à la fois économique et politique car elle implique également celle de la souveraineté et, donc de la rupture plus que symbolique vis-à-vis de l’ancienne métropole. Dès lors, il incombe à nos dirigeants d’accorder un intérêt rigoureux à l’assainissement et surtout à la bonne gestion des finances publiques. Politique et économie sont intimement liées dans l’organisation de notre société.
Enfin, de ce que je crois, la monnaie a toujours impliqué « une foi et une croyance sociale » (F. Simiand) car elle relie les contemporains mais aussi le passé, le présent et l’avenir. Il s’agit d’une règle sociale qui exprime et conforte les valeurs globales de la société. Dès lors toute crise monétaire ne peut être que le reflet d’une crise de société.
Par Jobrey Loïc AMONA, Cadre de banque