(BFI) – Cette année, Casablanca Finance City consacre son rapport CFC Africa Insights à la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Les experts évoquent, entre autres, les raisons pour lesquelles la plateforme commerciale africaine promise pour être la plus grande au monde sur le plan régional, ne peut être comparée au marché de l’Union Européenne. Explications.
« Même une fois achevée, la Zlecaf créera un régime commercial souple et dirigé par l’État plutôt qu’un marché unique homogène comme l’UE », indiquent les auteurs de CFC Africa Insights, le rapport économique annuel de Casablanca Finance City (CFC) dévoilé il y a quelques jours dans la capitale économique du Maroc. Pour sa neuvième édition, le rapport se focalise effectivement sur la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) qui devrait, à termes, être le plus espace commercial régional au monde reliant 54 pays.
Des fondamentaux différents
Mais alors que le rapprochement avec le marché de l’Union européenne est quelques fois évoqué dans les débats, le rapport de CFC estime qu’il est « inutile » de comparer les deux espaces pour plusieurs raisons. La première, expliquent les experts, est qu’ayant des objectifs politiques stratégiques et économiques dès sa création, l’UE est dirigée par une Commission qui a la capacité de contrôler de manière significative la souveraineté des gouvernements nationaux, contrairement à la Zlecaf qui établit un marché où chaque Etat reste souverain, s’adaptant au marché régional à son propre rythme. Deuxièmement, le marché de l’UE est, selon le rapport, caractérisé par une forte homogénéité et bien que les pays membres aient des niveaux de développement différents, l’écart entre les niveaux de revenus est resserré. Les experts de Casablanca Finance City donnent l’exemple du pays le plus riche de l’UE, le Luxembourg dont le PIB par habitant est 8,8 fois supérieur à celui de la Bulgarie, le pays le plus pauvre de l’espace. Au sein de la Zlecaf, les disparités sont énormes. Le pays le plus riche, les Seychelles, afficherait un PIB par habitant 55 fois plus important que ceux des pays les plus pauvres.
La troisième raison invoquée quant à l’inutile comparaison de la Zlecaf et du marché de l’UE, estime le rapport, est que les institutions économiques et juridiques d’intégration en Europe forment une série de cercles concentriques centrés sur les plus grandes économies de la région, l’Allemagne et la France. Au sein de la Zlecaf en revanche, « aucun État – ni même aucune paire d’États – n’est en mesure de jouer ce rôle », affirment les experts. De ce fait, plutôt qu’un système ordonné avec un centre clair, l’intégration économique africaine est basée sur une variété d’institutions de différents niveaux d’intégration à travers le continent.
« On est un peu trop impatient vis-à-vis de la Zlecaf »
Adopté en 2018 et opérationnel depuis janvier 2021, la Zlecaf – priorité de l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA) – est désormais au cœur des attentions quand il s’agit de développement économique du continent. Sous l’impulsion du Secrétariat de la Zlecaf dont le patron, le Sud-africain Wamkele Mene, vient d’être reconduit pour quatre ans, avec l’appui des institutions telles qu’Afreximbank, plusieurs initiatives sont en cours, permettant aux Etats et aux acteurs économiques de plusieurs pays de commercer plus facilement. Tout cela devrait booster le PIB du continent à plus de 4% d’ici 2035.
Si la lenteur du processus est souvent critiquée en raison de tous les préalables nécessaires afin que la Zlecaf tourne à plein régime avec les 53 Etats ayant signé l’accord, Abdou Diop, managing Partner de Mazars ne l’entend pas de cette oreille : « On est un peu trop impatient vis-à-vis de la Zlecaf. L’UE a mis du temps à se construire. Il y a encore une bonne dizaine d’années avant d’arriver aux objectifs de croissance de 4% visés par la Zlecaf. Et cela est raisonnable ! ». « Ce qu’il faut surtout noter, insiste Camelia Benani du cabinet d’avocats DLA Piper, c’est que la souveraineté des pays est au cœur de la mise en œuvre de la Zlecaf ».
Yacine Fall de la Banque africaine de développement (BAD) également présente à Casablanca pour le lancement du CFC Africa Insights aime qu’on reconnaisse les récentes avancées. « Il y a une accélération du processus en ce qui concerne les barrières tarifaires », a-t-elle souligné, rappelant qu’une quarantaine de pays ont déjà émis leur offre provisoire de démantèlement des tarifs douaniers. D’ailleurs, le Maroc y a procédé fin janvier, se positionnant pour des échanges commerciaux plus importants avec les autres pays du continent. A ce sujet, le ministre du Commerce et de l’Industrie, Ryad Mezzour, « un boulevard exceptionnel de développement » qui s’offre à l’Afrique. « Nous avons des avions, des logements, des médicaments… à produire. Nous avons l’opportunité de construire quelque chose d’unique dans l’histoire du monde », a-t-il déclaré, estimant que c’est en cela qu’une place financière comme CFC est intéressante, afin notamment de drainer les investissements nécessaires à ces avancées.
CFC se positionne pour l’excellence financière
Pour CFC, il est surtout question de valoriser la Zlecaf pour ce qu’elle représente : « l’opportunité de configurer l’économie africaine de manière à lui accorder une place de choix dans l’écosystème mondial », comme l’a souligné lors de son allocution, Said Ibrahimi, directeur général de Casablanca Finance City. Reconnue comme la plus grande plateforme financière du continent avec 215 entreprises labélisées d’ici la fin du premier semestre 2024, CFC entend se positionner afin d’être une porte pour les investisseurs intéressés par la Zlecaf et prévoit le lancement prochain d’un institut africain de la finance, histoire de contribuer à l’émergence de centres d’excellence financière qui contribue à accélérer la machine du commerce intra-africain.
La Tribune Afrique