(BFI) – Tous ces «experts», dont beaucoup de vendeurs de vent, qui devisent dans les salons d’hôtels sur les apports de la Zone de libre-échange continentale (Zlecaf) et son rôle d’accélérateur des échanges intra-africains, devraient sortir de leur bulle. La réalité que vivent les entrepreneurs et les commerçants africains est loin de ce qu’ils déroulent sur leurs fichiers PowerPoint.
En Afrique de l’Ouest par exemple, si la libre circulation de marchandises est gravée dans le marbre du traité de la Cedeao, dans les faits, cette circulation n’est pas si libre que ça. Elle est plombée par un chapelet d’externalités qui empoisonnent la vie des opérateurs économiques de la sous-région. Pour ceux qui sont situés dans les pays enclavés, il s’agit clairement d’un cauchemar. A Abidjan, San Pedro, Lagos, Lomé ou Tema au Ghana, Dakar, à la congestion structurelle, s’ajoute le phénomène de coûts invisibles face auquel les autorités restent étrangement passives. Il s’agit du racket qui frappe les importateurs des biens de consommation courante, et le coût de l’insécurité sur les voies d’acheminement de la marchandise vers l’hinterland.
Le bakchich fait partie des frais portuaires
Les témoignages des importateurs abondent. De Dakar à Lomé, «pour libérer ses conteneurs», le chargeur doit préparer une enveloppe de «motivation» des douaniers au guichet au port ou ceux qui sont postés aux entrepôts sous douane dans les pays enclavés. Ce bakchich est devenu tellement «naturel», qu’il fait partie de frais ordinaires pour les importateurs. Aucun pays n’échappe à cette corruption même si son ampleur n’est pas la même partout à tel point que les transitaires incluent discrètement ces «frais de motivation» dans le montant qu’ils facturent aux chargeurs.
La dynamisation du commerce interafricain reste un vœu pieux si l’on ne s’attaque pas aux coûts invisibles qui pèsent sur les utilisateurs des ports. Les attaques de camions et le racket effectué par des éléments de forces de défense ou des faux douaniers sur les trajets entre le port et la destination finale de la marchandise, doivent être vigoureusement combattus. Sans cela, la mise en œuvre de la zone de libre-échange sur le continent restera un sujet de colloque et de séminaire de «renforcement des capacités.»
Pour tout importateur en Afrique de l’Ouest, la congestion du trafic routier est un cauchemar surtout lorsque le port se trouve dans une agglomération urbaine. L’exemple de Lagos résume à lui tout seul cet enfer. Les 7 à 8.000 camions porte-conteneurs sur les 16.000 qui entrent et sortent chaque jour de la métropole nigériane font la queue entre 2 à 6 jours devant le port (oui, vous avez bien lu !) dans la queue, pour parcourir une distance de moins de 5 km (Source : Banque africaine de développement). La révélation fait froid dans le dos. Et Lagos n’est pas un cas isolé. La majorité des ports ouest-africains est embouteillée en permanence du fait du manque de parkings dédiés au stationnement de camions.
A ces désagréments, il faut ajouter les horaires d’ouverture des guichets des douanes qui sont tout, sauf compatibles avec l’exigence de compétitivité. Les autorités portuaires du continent devraient prendre exemple sur les grands complexes portuaires asiatiques, de Dubaï à Canton, où les guichets de douanes fonctionnent 24h/24 et sans bakchich ! L’écoute permanente est un des ingrédients du succès de ces plateformes plébiscitées d’ailleurs par les importateurs africains. C’est tout le contraire que l’on observe dans les ports de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). A Abidjan par exemple, les services des douanes sont ouverts de 8h à 18h alors que les acteurs privés travaillent 24h/24h. Inutile de dire combien ces interruptions de service coûtent de l’argent aux chargeurs et aux armateurs. Finalement, c’est le consommateur qui trinque en dernier ressort.