(BFI) – La Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) envisage récupérer le leadership d’une alliance centre-africaine à construire le marché carbone. Certaines organisations estiment en effet qu’à l’horizon 2050, le continent africain pourrait devenir un des plus gros exportateurs de crédits carbone avec entre 1,5 et 2,5 gigatonnes d’équivalent de CO2 évités (1 gigatonne = 1 milliard de tonnes), entre 120 et 200 milliards de dollars de capitaux mobilisés et entre 110 et 190 millions de nouveaux emplois créés. Mais l’institution financière sous-régionale note que malgré un « très fort potentiel » de marché carbone en Afrique, les pays francophones sont ceux qui accèdent le moins aux mécanismes officiels de la finance climat, notamment les guichets des différents fonds mis en place comme le Fonds vert pour le climat, le Fonds d’adaptation aux changements climatiques et le Fonds pour l’environnement mondial.
C’est ce risque de pénalisation des pays francophones qui a d’ailleurs amené la BDEAC à organiser à Yaoundé, du 23 au 25 janvier 2024, des assises francophones sur les marchés du carbone, en partenariat avec l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD) et la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). L’ambition affichée par la Banque est de renforcer l’action climatique et de développer une alliance « centre-africaine » pour les marchés du carbone et la finance climat en Afrique centrale. Ce, en vue de permettre aux pays d’accéder auxdits financements, en particulier ceux du bassin du Congo, l’un des plus importants massifs de forêt équatoriale réparti dans six pays (Cameroun, RCA, RDC, Guinée équatoriale, Gabon et Congo), et qui absorbe environ 750 millions de tonnes de C02 par an, selon l’ONU.
« Les pays du bassin du Congo ne parviennent pas encore à faire évoluer le cadre légal, institutionnel et réglementaire (d’autorisation des ventes de crédit carbone et de leur comptabilisation, NDLR) tant au niveau national que sous-régional. Or, une telle évolution est un préalable au développement et à l’animation du marché du crédit carbone dans notre sous-région. Face à ce gisement d’opportunités, la BDEAC, comme instrument de financement et de développement en Afrique centrale voudrait, dans le cadre de ses missions régaliennes, et conformément à son plan stratégique 2023-2027, se positionner comme le principal acteur de coordination, d’identification et d’échanges des crédits carbones dans la sous-région », a déclaré son président, le Camerounais Dieudonné Evou Mekou (photo), à l’ouverture desdites assises mardi.
Financement des projets de développement durable
Le Cameroun a manifesté sa volonté politique en faveur du développement du marché carbone afin d’en faire une source de financements plus importante du budget de l’État. Mais l’on en est encore qu’au stade de la volonté politique, contrairement à la RDC ou au Gabon où l’on est un peu plus avancé sur cette question. Ces deux pays du bassin du Congo ont mis en place des structures à même de gérer la complexité du développement des marchés carbones, à travers respectivement le Fonds national REDD (Fonaredd) et le Fonds gabonais d’investissements (Fgis). En décembre 2022, le Gabon est devenu le premier pays à mettre à disposition des crédits carbone dans le cadre d’un système mis en place par la CNUCC pour comptabiliser les « réductions d’émissions » obtenues en empêchant la déforestation ou en plantant et faisant pousser davantage d’arbres. Lors du sommet « One Forest Summit » organisé en mars 2023 à Libreville par le gouvernement gabonais en collaboration avec la France, Lee White, l’ancien ministre de l’Environnement, a toutefois déclaré que le pays peine à vendre ses 90 millions de tonnes de crédits carbone sur le marché international, principalement auprès des pays occidentaux, comme le rapportait Le Nouveau Gabon.
Dans le cadre de son plan stratégique 2023-2027, la BDEAC indique avoir mobilisé près de 400 milliards de FCFA destinés à financer des projets de développement durable. L’institution financière sous-régionale héberge par ailleurs le Fonds bleu pour le bassin du Congo, principal outil financier de la Commission climat du bassin du Congo (CCBC). Celui-ci a pour objectif de mobiliser les ressources nécessaires auprès des contributeurs et investisseurs en vue du financement de la mise en œuvre des programmes et projets concourant au développement durable et à la promotion de l’économie bleue dans son champ d’intervention. La rencontre de Yaoundé sous l’égide de la BDEAC doit notamment amener les États et d’autres experts à réfléchir sur la façon de pouvoir rassembler ce financement qui sera utilisé dans les projets à identifier.
En rappel, le marché du carbone est un mécanisme qui permet d’échanger des droits d’émission de CO2 de la même manière que des titres financiers. Les pays ou les entreprises les moins pollueurs peuvent donc vendre leurs droits d’émission aux entités les plus pollueurs. Selon les experts, le financement est essentiel pour permettre à l’Afrique d’atteindre ses objectifs en matière de climat. Le continent, qui pollue le moins, est cependant celui qui subit le plus de dommages. À la Cop 28 à Dubaï en décembre dernier, le Groupe africain a demandé aux pays riches de fournir entre 200 et 400 milliards de dollars par an d’ici 2030 pour les pertes et dommages, et 400 milliards de dollars par an pour l’adaptation au changement climatique.