(BFI) – L’Afrique n’est pas suffisamment préparée au changement climatique, et son inaction pourrait coûter 2 000 milliards de dollars à son PIB en 2070. Les membres de l’Africa Financial Industry Summet (Afis) recommandent au secteur financier africain de s’engager dès maintenant, sans attendre que la législation ne l’y oblige
Avec une part de 4 % seulement des émissions mondiales de gaz à effet de serre, l’Afrique est le continent qui pèse le moins dans le changement climatique. Mais elle apparaît très vulnérable à ses effets, notamment les inondations, le stress hydrique, la perturbation des cycles agricoles, lesquels aggravent plus encore la pauvreté.
Une étude de Deloitte parue en novembre 2022 prévoit que l’inaction climatique, dans le cdre d’un scénario à +3°C, pourrait entrainer pour l’Afrique 2000 milliards de dollars de pertes sur son PIB de 2070. Soit un impact sur le PIB estimé à -14 % pour le continent, contre -1,5 % pour l’Europe et -5,7 % pour les Amériques (avec l’Amérique du Sud nettement plus touchée, à hauteur de -12 % de son PIB).
Même si des normes environnementales internationales voient le jour pour répondre à ces enjeux, l’Afrique a besoin d’un soutien important pour ne pas se laisser distancer. L’Union européenne (UE) travaille à la mise en place d’exigences de diligence raisonnable pour la chaîne d’approvisionnement de certains produits de base comme l’huile de palme, le bois, le cacao et le café. Cette démarche menace dangereusement les producteurs africains, qui pourraient se voir refuser l’accès au marché parce qu’ils participent à la déforestation ou parce qu’ils ne peuvent pas prouver que leur modèle d’entreprise est durable.
Développement de projets verts
Lors d’une table ronde stratégique à l’occasion de l’Africa Financial Industry Summit (Afis) de 2022, nous avons souligné le rôle plus actif que devrait jouer le secteur financier africain dans le soutien au financement de l’action climatique. Mais d’après les résultats de l’enquête du dernier Baromètre annuel de l’industrie financière africaine, seuls 9 % des répondants ont adopté un objectif « net zéro ».
De nombreuses institutions financières prévoient que la réglementation imposera des normes applicables à tous, ce qui apportera plus de clarté au marché. S’il existe déjà un grand nombre de lignes directrices et de pratiques générales, l’absence de normes spécifiques contraignantes renforce l’incertitude des investisseurs.
Des exigences de diligence raisonnable claires sur le plan social et environnemental, tant au niveau régional que continental, stimuleraient le financement de l’action climatique en Afrique. Les institutions financières ont donc tout intérêt à encourager les régulateurs à agir en ce sens. Nous leur recommandons de montrer la voie et d’anticiper le changement plutôt que de l’attendre.
Au Kenya, les projets verts ne sont plus vus comme une simple tendance et occupent déjà une place croissante dans les portefeuilles des banques. Après des débuts hésitants, le régulateur du pays pilote aujourd’hui le développement d’une économie sobre en carbone, qu’il entend promouvoir ailleurs en Afrique de l’Est. Cet exemple illustre le rôle proactif que doit jouer l’industrie financière africaine avec des engagements forts, qui ouvrent la voie aux régulateurs et guident les écosystèmes africains vers une croissance durable.
Manque de financements
Renforcer les engagements envers la durabilité aidera les institutions financières africaines à gagner en crédibilité et à obtenir davantage de soutien et de garanties de leurs homologues à l’international, qui jouent un rôle de premier plan dans le financement de l’action climatique. L’Afrique n’a attiré entre 2016 et 2019 qu’environ 3% du financement climatique mondial, selon la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, ce qui ne couvre que 10 % de ses besoins pour honorer ses engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat.
L’argumentaire en faveur des actifs climatiques est pourtant solide : les bâtiments écologiques, la production solaire distribuée et l’agriculture intelligente peuvent se montrer plus efficaces que les alternatives à base de combustibles fossiles pour soutenir l’urbanisation, la sécurité alimentaire et l’électrification.
En outre, les banques et les marchés de capitaux africains progressent bien dans l’affectation de l’épargne des compagnies d’assurance et des fonds de pension à des projets climatiques. En 2022, par exemple, l’Afrique a augmenté de 14 % le nombre d’obligations vertes, sociales, durables et liées à la durabilité (GSS+) émises, contre 6 % pour le marché mondial, selon Sustainable Fitch.
Les institutions financières africaines disposent des moyens de soutenir la mutualisation des risques et la montée en puissance des projets, tout en renforçant leurs pratiques de diligence environnementale et sociale. Le problème des projets bancables ne vient pas d’un manque de compétences techniques, mais de leur envergure limitée, laquelle augmente les risques et réduit leur viabilité financière.
Améliorer la durabilité financière apparaît donc comme une étape fondamentale : de nombreuses institutions financières craignent encore de perdre en compétitivité si elles prennent des engagements forts et développent un portefeuille vert alors que leurs concurrentes ne le font pas. Pour toutes ces raisons, nous encourageons les institutions financières africaines à s’engager pour le climat, sans attendre le changement de la réglementation.