1. Début des années 1990 d’importantes découvertes de pétrole sont faites au Tchad sur 3 champs au Sud du Tchad (Komé, Miandoum, Bolobo), essentiellement par la Major américaine du pétrole ESSO EXPLORATION INC et le Malaisien PETRONAS entre autres. Le Tchad étant un pays de « l’hinterland », c’est à dire sans accès au littoral, se pose immédiatement la question de l’évacuation de ce petrole pour que son exploitation soit rendue possible.
2. Juillet 1992, après avoir éliminé l’option d’évacuation par le Nigeria, plus coûteux et dont les oleaducs sont la proie des pirates et groupes rebelles, le Vice-Président de Esso Exploration Inc West Africa, arrive à Yaoundé et annonce aux autorités Camerounaises que son groupe se propose de construire un oléoduc ou pipeline pour l’évacuation de la production pétrolière du Tchad vers la côte Atlantique (Kribi précisément) à travers le territoire camerounais. Ce que le Cameroun accepte non seulement pour aider ce pays frère à profiter de son pays mais parce que lui mm y gagne de substantiels « royalties » en termes de droit de passage du brut Tchadien qui viendront s’ajouter aux gros investissements et milliers d’emplois directs et indirects générés par la construction de ce pipeline. Le tracé du pipeline porte sur 1080 kms dont 980 kms en territoire Camerounais.
3. L’annonce de la construction d’un pipeline depuis le Tchad et à travers le territoire Camerounais provoque une levée de bouclier et une opposition farouche des ONG de la protection de l’environnement au niveau international parce que le tracé du projet traversait une zone forestière riche en faune.
4. Après plus d’une décennie de batailles avec les mouvements écologiques, et d’études techniques et environnementales pour la validation du tracé du pipeline, les compagnies pétrolières réussissent à convaincre la Banque Mondiale d’entrer dans le financement du projet et d’apporter ses compétences en matière d’appui à la gouvernance. La construction du pipeline qui débute aux débuts années 2000 coûtera plus de 2,5 milliards de $, le plus gros investissement de cette nature jamais réalisé en Afrique subsaharienne. Les travaux de construction ont duré 3 ans (2000 – 2003).
5. Pour l’exploitation du pétrole Tchadien, la société Esso Exploration & Production Chad Inc. (EEPCI) est créée à partir d’un consortium composé de Exxon devenu entre-temps ExxonMobil (40%, opérateur), de Chevron Texaco (25%) et de la compagnie d’Etat Malaisienne Petronas (35%). Le Tchad a repris en 2014 les parts de Chevron Texaco dans le consortium.
Le contrat de partage de production sur 25 ans entre cette société et l’Etat du Tchad prévoyait 60% pour le Tchad et 40% pour EEPCI avec une estimation moyenne du prix du barril à 20 $.
6. Pour l’evacuation de la production du brut Tchadien via le pipeline Doba-Kribi, 2 structures de transport sont créées par ExxonMobil à savoir:
– TOTCO (Tchad Oil Transportation Company) qui gère la partie Tchadienne du pipeline
– COTCO (Cameroon Oil Transportation Company) pour la partie Camerounaise du pipeline et dans laquelle la SNH représente et défend les intérêts de l’Etat du Cameroun.
7. Début 2020, ExxonMobil et Petronas annoncent leur intention de vouloir quitter le projet d’exploitation du pétrole et de pipeline Tchado-Cameroun. ExxonMobil concrétise sa volonté de départ en cédant ses 40% d’actifs à la société Savannah Energy qui devient actionnaire des 2 structures de transport. Ses statuts lui permettant d’entrer jusqu’à 25% dans le capital des sociétés pétrolières étrangères qui s’installent au Cameroun, la SNH acquiert 10% du capital de Savannah Energy. Le Cameroun est donc dans une logique et stratégie libérale en accord avec sa réglementation et la pratique des affaires dans ce milieu.
8. Or le Tchad (le nouveau pouvoir Deby Fils), pour les raisons propres à ses intérêts, est mécontent des conditions de cession des actifs de ExxonMobil et affiche une logique et une volonté de reprise de ces actifs par la nationalisation afin de devenir actionnaire majoritaire ou unique du nouvel opérateur appelé à exploiter et transporter son pétrole. D’autant plus qu’il soupçonne et accuse, à tort ou à raison, des intérêts privés Camerounais d’être derrière Savannah Energy
9. Les 2 logiques (libérale et nationaliste) et engagent un bras de fer. La bataille se transporte à Paris sur le terrain de l’instance d’arbitrage de la Banque Mondiale. Le Tchad perd l’arbitrage face à Savannah en décembre dernier. Le Tchad ne s’avouant pas vaincu décide de recourir aux instances communautaires de la CEMAC pour obtenir une non objection à sa volonté de nationalisation. Le Cameroun refuse ou tarde à donner sa non objection en cohérence avec sa logique libérale.
10. La cession des 10% des actifs de Savannah Energy à la SNH, conforme à la réglementation, semble être du côté Tchadien la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le Tchad a décidé de passer en force sur la nationalisation et transformer cette « affaire d’affaires » en grave crise diplomatique par le rappel de son ambassadeur. Je vois plus dans cette décision, non pas comme le résultat d’une crise diplomatique profonde entre les 2 pays amis et frères, mais un moyen de faire régler cette affaire au plus haut niveau par le compromis politique et la raison d’Etat pour l’intérêt supérieur des 2 États. La brouille ou crise sera de courte durée.
Daniel Claude ABATE, Vice-Président Haut Conseil des Affaires CEEAC – Ancien Area Manager ExxonMobil Centre – Sud – Est (2000 – 2005) en charge entre autres de la liaison et suivi avec les autorités du Cameroun durant la phase de construction du pipeline