(BFI) – Nous vivons une ère particulière de l’histoire de l’humanité, que je qualifierai de « virage ». En effet nous abordons un virage de l’histoire du monde, marqué non seulement par la fin d’une trajectoire plus ou moins rectiligne de la vie de l’humanité, mais surtout par l’incertitude d’un futur qui se dessine lentement sous le brouillard des positionnements géostratégiques et des rivalités économiques. La trajectoire rectiligne prend sa source dans la fin de la guerre froide, avec la chute du mur de Berlin dans la nuit du 9 novembre 1989. Cette chute du mur symbolisait l’échec du bloc de l’Est, l’effondrement de l’URSS, et consacrait le début d’une période de trois décennies de quasi-hégémonie Euro-américaine. L’heure de gloire de l’occident venait de sonner ! Dans cette période de domination du monde sans partage, les Etats-Unis d’Amérique ont affirmé leur suprématie tant sur les plans économiques, que politiques et militaires. George W. Bush, Président des Etats Unis d’Amérique n’affirme-t-il pas au lendemain des attentats du 11 Septembre 2001 : « Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ». C’est là l’expression de toute l’importance, de la place centrale des USA dans ce monde post-guerre froide. Cet état des choses était renforcé par la prééminence du dollar, dans les transactions liées au pétrole.
De l’eau a coulé sous les ponts, et nous faisons aujourd’hui de curieux constats, qui assurément portent à s’interroger.
- La montée des BRICS est à mon sens, le premier « voyant allumé » sur le tableau de bord.
En effet les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa) sont un groupe de pays promouvant une reconnaissance de la multipolarité des équilibres politiques et économiques mondiaux, en rupture avec les organisations héritées de l’après Seconde guerre mondiale. Ce groupe représente 45 % de la population de la planète, près du quart de sa richesse et les deux tiers de sa croissance. Selon des estimations de 2014, les BRICS seraient à l’origine de plus de 50 % de la croissance économique mondiale au cours des dix années précédentes. C’est donc à juste titre que ce groupe est considéré comme un contrepoids sérieux à la puissance des États-Unis et de leurs alliés, charriant au passage les espoirs de nombreux pays ayant fait les frais d’un ordre international, qui les maintenait sous la domination euro-américaine pendant des décennies.
- Le conflit Russo-Ukrainien
Ce conflit opposant la Russie (alliée aux forces séparatistes Ukrainiennes pro-russes) à l’Ukraine, naît dès février 2014 à la suite de la révolution Ukrainienne. Initialement, cette révolution était concentrée sur le statut de la Crimée, et de certaines parties du Donbass. Le conflit s’étend véritablement en février 2022, lorsque la Russie s’engage dans une invasion à grande échelle de l’Ukraine. On a donc assisté à un véritable bras de fer politico-diplomatique entre la Russie et l’occident (pris au sens large), portant à penser à une re-multipolarisation du monde. Si autrefois dans les cas Lybien et Ivoirien l’on a fait usage de la force brute en allant « déloger » des chefs d’état concernés, aujourd’hui l’occident s’est contenté de simples sanctions face à l’ogre Russe. Jamais l’occident n’a autant négocié ! C’est dire qu’en face, il y a un protagoniste imposant.
Dois-je rappeler que du point de vue économique, la Russie est selon les années le premier ou le second producteur mondial de pétrole et de gaz, le premier exportateur de gaz et un fournisseur énergétique essentiel de beaucoup des Etats de l’Eurasie et de l’UE. Depuis 1999, son taux de croissance est largement supérieur à celui des Etats du G7.
Du point de vue militaire en 2022 selon la Federation of American scientists (FAS), la Russie détiendrait quelque 6 000 ogives nucléaires devant les États-Unis (5 977 pour la Russie, 5 428 pour les États-Unis). Ce qui la place en tête de liste dans le classement des puissances nucléaires mondiales. Aussi, au classement des États d’Europe possédant les plus importantes armées nationales en termes d’effectif militaire, la Russie fait la course en tête, suivie de l’Ukraine, la Turquie, la France et l’Allemagne.
Le magazine américain « Forbes » quant à lui, a publié son classement annuel des personnalités les plus puissantes du monde 2022. C’est le président russe Vladimir Poutine qui occupe la première place pour la deuxième année consécutive, devant ses homologues américain Barack Obama et chinois Xi Jinping.
- Du crépuscule de l’hégémonie du dollar ?
Depuis l’accord de 1974 entre le président américain Richard Nixon et le roi saoudien Fayçal, l’Arabie saoudite a accepté des paiements pour la quasi-totalité de ses exportations de pétrole en dollars. Cette situation ne convient pas à plusieurs pays, qui se sont opposés au fait que le dollar soit la monnaie de réserve mondiale. C’est dans ce sens que la Chine a cherché à augmenter la pression sur l’Arabie saoudite, au sujet de la forme de monnaie dans laquelle son commerce de pétrole est mené. C’est ainsi que Pekin a accru son influence ces dernières années dans le Golfe, débouchant sur une rencontre à Riyad le 9 décembre 2022, entre le président chinois Xi Jinping et le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman.
Cette dernière a été l’occasion de signer un accord de « partenariat stratégique global ». Le président chinois a assuré que son pays continuerait à acheter du pétrole et du gaz naturel liquéfié « en grandes quantités », mais avec une petite astuce : le faire en yuan, la monnaie chinoise, au lieu du dollar américain.
Il devient donc aisé d’y voir la matérialisation de la politique d’éviction du billet vert de la scène économique internationale, débutée il y a cinq ans avec la création du pétroyuan.
Il est évident qu’avant cette rencontre, peu nombreux étaient ceux qui pouvaient questionner la position du dollar américain, comme monnaie incontestée du commerce mondial.
Au regard de ce qui précède, il est clair que nous serons témoins d’un changement majeur dans l’histoire du monde, qui appellera assurément des transformations multidimensionnelles.
- Connaitra-t-on davantage de prospérité pour l’immense majorité de la planète ?
- Y aura-t-il moins de conflits armés ?
- Le monde sera-t-il à l’abri des crises financières ?
Telles sont les incertitudes de cette transition majeure, que je qualifie de « virage » du vingt et unième siècle.
Par Joseph Helmut ESSONO, Cadre de banque et Expert en Management de Projets
Très bel article.
Analyse de très haut vol. L’auteur édifie sur une réalité contemporaine, qui conditionne le futur du monde.