(BFI) – Face à un contexte économique de plus en plus complexe, les banques africaines se doivent d’accroître leur productivité, pour améliorer leur compétitivité, renforcer leur résilience et offrir une meilleure proposition de valeur à leurs clients.
En 2022, les banques africaines se sont inscrites dans une logique de croissance, et ce malgré les incertitudes macroéconomiques actuelles. Selon une étude réalisée par McKinsey autour de la productivité bancaire, les revenus des banques du continent ont connu une nette amélioration : certaines banques en Afrique affichent même aujourd’hui des revenus supérieurs à avant la pandémie, et ce du fait de l’augmentation des volumes, mais aussi des taux d’intérêt et de la stabilité des coûts liés aux risques. Cependant, le rendement des fonds propres (ROE) des banques africaines, à l’exception de celles du Kenya, demeure encore inférieur par rapport aux niveaux enregistrés avant la pandémie, malgré un fort rebond constaté en 2021. Si les banques africaines souhaitent renouer avec une rentabilité supérieure aux coûts des fonds propres, elles devront se pencher davantage sur la productivité.
Rentabilité des cinq plus grands marchés bancaires en Afrique
La rentabilité des cinq plus grands marchés bancaires d’Afrique (Afrique du Sud, Égypte, Kenya, Maroc et Nigeria) a connu un déclin constant, avec une baisse moyenne de 2 pp au cours des six dernières années. L’Égypte a connu la plus forte baisse (-9,5 pp) en termes de rentabilité, suivie de l’Afrique du Sud (-2,7 pp). Partant d’une base faible, le Nigéria est la seule grande économie africaine à avoir connu une augmentation de son ROE bancaire depuis 2016 (3,6 pp), sous l’effet d’une baisse du coût du risque suite aux réformes économiques du Nigéria après la récession de 2015-2016, mais aussi de la reprise partielle des prix du pétrole.
« Les banques africaines sont coûteuses à gérer : elles possèdent un ratio coût/actif moyen compris entre 4 et 5 %, soit deux fois plus élevé que celui de la moyenne mondiale. Dans le même temps, l’environnement économique dans lequel de nombreuses banques africaines opèrent est souvent caractérisé par des taux de bancarisation et par des ratios prêts/dépôts beaucoup plus faibles, ce qui signifie que les pools de revenus bancaires plus petits et donc moins d’économies d’échelle. Cela invite plus que jamais les banques du continent à revoir leur base de coûts et leurs modèles opérationnels, en particulier si elles souhaitent continuer à investir dans la technologie et encourager l’inclusion bancaire« , explique François Jurd de Girancourt, directeur associé du bureau de McKinsey à Casablanca qui dirige le pôle de compétences Institutions Financières de McKinsey en Afrique.
L’étude réalisée par McKinsey invite les banques africaines à viser des gains de productivité de l’ordre de 25 à 30 %. À bien des égards, la pandémie et le resserrement de l’économie mondiale ont déjà incité la plupart des banques à s’engager dans cette voie. McKinsey suggère de recentrer leur effort de productivité autour de six domaines :
- Banque de détail : S’ancrer davantage dans la réalité « phygitale »
Selon nos recherches, le niveau d’adoption du numérique au sein des banques africaines a atteint 20 à 30 % : ce niveau pourrait cependant être plus élevé. En Amérique latine et en Asie par exemple, l’adoption du numérique par les banques a atteint les 50 %, tandis que sur d’autres marchés mondiaux, ce niveau tutoie les 75 %. Alors que, partout dans le monde, les services et les ventes sur les canaux numériques continuent à gagner en importance par rapport aux canaux physiques plus traditionnels, certains leviers clés manquent encore pour les banques africaines et qui pourraient fortement les aider à embrasser pleinement la réalité « phygitale ».
- Opérations : viser le « zéro opérations manuelles »
L’une des principales tendances qui façonnent l’avenir des opérations est l’hyperdigitalisation du travail. Nos recherches suggèrent qu’il existe un potentiel d’automatisation de plus de 50 % pour ce qui est des fonctions centrales liées à la vente ou à l’administratif (SG&A). Les grandes banques s’orientent de plus en plus vers l’automatisation et la numérisation de toute la chaîne de valeur bancaire. Malgré plusieurs années d’investissement dans le lean, le numérique et l’automatisation (qui sont pourtant à l’origine de 60 à 70 % des coûts), nous estimons qu’une partie importante de la chaîne de valeur bancaire en Afrique dépend encore des tâches manuelles.
- Fonctions centrales et support : Passer de back-office à «partenaire à forte valeur ajoutée»
Les banques africaines pourraient envisager d’adopter des méthodes de travail lean dans les fonctions centrales. L’intégration d’une mentalité plus orientée « client », que ce soit un client à l’intérieur de la banque ou un client externe, est susceptible d’aider les banques à anticiper et à répondre plus rapidement à un environnement qui évolue rapidement. Les fonctions support sont aussi souvent bien placées pour utiliser la data pour générer des informations utiles au métier.
- Informatique : accélérer l’adoption des nouvelles technologies
Pour passer à la vitesse supérieure, les services bancaires informatiques pourraient envisager d’accélérer la migration des applications et des infrastructures vers le cloud. La technologie du cloud a désormais atteint son point d’inflexion, et l’étude de McKinsey indique que les banques pourraient doubler la productivité d’informatique en déployant des plateformes technologiques plus modernes. De plus, en automatisant le déploiement de l’infrastructure et en passant à un modèle DevOps qui automatise les tâches manuelles et qui permet d’améliorer la gestion d’environnements complexes, les équipes réussiront à innover encore plus rapidement et à traiter de manière beaucoup plus efficace les demandes de leurs clients.
- L’immobilier : La flexibilité est le nouveau mot d’ordre
Le travail hybride est désormais devenu la norme. Cela donne aux banques africaines l’occasion de repenser l’utilisation qu’elles font de leurs actifs physiques. Par exemple, les banques pourraient offrir à leurs employés davantage de flexibilité sur le lieu de travail : à ce titre, la migration vers une plateforme de cloud computing pourrait faciliter le travail à domicile pour les employés. De tels changements des conditions de travail offriront aux employés un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée et pourraient avoir un impact positif sur la diversité, l’équité et l’inclusion des équipes, ainsi que sur les performances de celles-ci.
- Achats et coûts tiers : Collaboration numérique et analyses avancées
La prochaine évolution en matière d’achats se concentrera davantage sur l’automatisation et la collaboration numérique. Investir dans les capacités numériques permettra aux banques d’automatiser leurs process achats et de générer davantage de transparence. Par exemple, construire une « tour de contrôle achats » permettrait de mieux capturer et de mieux partager l’information, tout en offrant une visibilité à 100 % sur les actions de l’ensemble de l’entreprise. Cela contribuerait fortement à améliorer l’efficacité opérationnelle, tout en réduisant les temps liés aux cycles via un déploiement plus strict des contrôles et l’amélioration de la conformité en matière de prise de décisions immédiates. En définitive, cela pourrait contribuer à renforcer la culture de responsabilité au sein de l’entreprise.
« Si les banques africaines commencent à appréhender leur productivité à partir de ces six domaines critiques, alors elles pourront réussir à optimiser leur base de coûts, mais aussi mieux allouer leurs ressources financières vers leurs segments de croissance, tout en réagissant plus efficacement face à l’érosion du ROE. Elles parviendront en outre à réduire le coût du service apporté aux consommateurs, ce qui est nécessaire pour faire progresser l’inclusion financière » , déclare Jurd de Girancourt.