(BFI) – La banque de l’opérateur télécoms est un gouffre. De surcroît, ses performances commerciales sont médiocres en regard des dépenses engagées. Du coup, elle est à la recherche d’un allié. Pas si simple.
Le président d’Orange était à peine nommé en mai dernier qu’il ne se gênait pas pour le clamer dans tout Paris: Orange Bank, c’est fini. Depuis qu’il a succédé à Stéphane Richard, Jacques Aschenbroich veut arrêter les frais. La banque a déjà coûté 800 millions d’euros en cinq ans pour des promesses largement non tenues. Du coup, Orange a mandaté la société de gestion Lazard pour lui trouver un allié. «Un nouveau partenaire stratégique sera un levier d’accélération pour la banque», explique, optimiste, le nouveau directeur général d’Orange Bank, Stéphane Vallois. L’objectif est de céder au moins 51% de son capital tout en restant un partenaire commercial même si la marque peut disparaître.
Et pourtant… Au départ, le P-DG d’Orange rêvait de créer un «Free de la banque». Le lancement d’Orange Bank, fin 2017, avait eu lieu en grande pompe. Stéphane Richard s’était même mis en scène en personne dans des spots publicitaires en train de payer avec son téléphone, de faire un virement par SMS ou de se moquer de son rival Xavier Niel, le patron de Free. On allait voir ce qu’on allait voir. Le groupe ne voulait rien de moins que «disrupter» le secteur.
Cinq ans plus tard, le bilan est bien sombre. Non seulement les pertes sont colossales, mais Orange Bank n’a séduit que 1,5 million de clients en France contre plus de 4 millions pour Boursorama. A l’origine, l’idée d’Orange était de fidéliser ses clients mobiles. Depuis l’arrivée de Free en 2012, 15% des abonnés partaient chaque année à la concurrence.
Pour stopper cette spirale infernale «hémorragie-guerre de prix», Stéphane Richard voulait «verrouiller» ses clients. Les banques, elles, en perdent très peu. Alors il a lancé une offre agressive: zéro frais et un accès 100% mobile. Un défi personnel alors qu’il visait un troisième mandat à la tête de l’opérateur. «La banque était un beau projet entrepreneurial mais coûteux et risqué, reconnaît aujourd’hui l’ancien président d’Orange. J’ai peut-être surestimé nos chances de succès.» Des péchés de jeunesse et un peu de malchance.
Dès le départ, Orange a fait le mauvais choix de partenaire pour lancer sa banque. En 2016, Boursorama vient pourtant toquer à sa porte. Mais la filiale de Société générale veut contrôler le capital et diriger Orange Bank pour laisser à Orange la distribution des services financiers dans son réseau de boutiques. C’est «niet». Stéphane Richard, qui veut garder les mains libres, se rabat sur un partenaire moins regardant mais mal en point: Groupama. L’assureur rame depuis quinze ans avec sa banque qui atteint péniblement les 500000 clients.
Orange rachète Groupama Banque, la rebaptise Orange Bank, et en fait le socle du projet. Mais dès le lancement, les bugs s’accumulent. Le système informatique n’est pas adapté à la banque en ligne, l’assistant virtuel Djingo déraille et les clients qui affluent, attirés par les 130 euros offerts à la souscription, ne sont guère actifs ensuite…
La nouvelle banque en ligne subit et les têtes tombent les unes après les autres. Laurent Paillassot, qui venait du secteur bancaire et avait planché sur le projet, est remplacé au moment du lancement par un pur produit d’Orange, Marc Rennard, pourtant néophyte dans la banque… Un an plus tard, rebelote: c’est André Coisne, l’ancien patron d’ING et de BforBank, la banque en ligne du Crédit agricole, qui débarque. Il restera moins d’un an… Il racontera n’avoir eu aucune marge de manœuvre, pris entre les bisbilles internes et le manque d’accès au réseau d’Orange.
Le plus gros raté est bien là. Dès le départ, Orange Bank n’a pas su profiter de la force de frappe du réseau de boutiques de l’opérateur télécoms. Les trois premières années, la banque en ligne ne recrute ses clients qu’à coups de superpromos. Résultat, Orange Bank ne revendique alors que 650000 clients dont la moitié vient de Groupama. Son nouveau patron, encore un!, Paul de Leusse, pousse enfin les feux sur le réseau des boutiques d’Orange.
Un grand plan de formation des commerciaux est lancé pour booster les offres bancaires. Orange Bank augmente leurs commissions pour les inciter à vendre. Et ça commence à porter ses fruits. «La vente en boutique est la clé, confie Vincent Gimeno, le responsable CFDT chez Orange, qui représente les salariés au conseil d’administration. L’essentiel des ouvertures de compte se fait en boutique». Aujourd’hui, 80% des offres payantes sont souscrites dans les 300 boutiques agréées d’Orange Bank.
«Nos clients, nos services et l’accès au réseau d’Orange restent nos meilleurs atouts», se félicite Stéphane Vallois. Le jeune patron a pris les commandes d’Orange Bank début octobre, alors que le processus de sa cession venait d’être lancé. Il sait que pour «vendre» sa banque qui est un gouffre financier, il faut mettre en avant la force du réseau Orange en France, en Espagne et en Afrique. Aujourd’hui, la banque développe les prêts pour les achats de smartphones et va bientôt se lancer dans l’assurance auto et habitation, ainsi que dans la prévoyance.
Un modèle ressemblant furieusement à celui de son grand rival Boursorama, que beaucoup considèrent comme un acquéreur idéal avec ses 4,5 millions de clients. La filiale de Société générale continue d’être très active: elle vient d’avaler ING et conquiert 100000 clients chaque mois. «Notre modèle est efficace et nous serons rentables en 2024 avec ou sans croissance externe», botte en touche Benoît Grisoni, le directeur général de Boursorama. Et, alors qu’une introduction en Bourse pourrait être visée dans les deux ans, un rachat d’Orange Bank risquerait de chambouler un tel plan.
C’est peut-être le Crédit agricole qui aurait le plus intérêt à foncer sur la cible. Sa banque en ligne BforBank, qui n’a jamais décollé, ne compte que 250000 clients arrachés aux caisses locales du groupe. Un nouveau patron vient aussi d’arriver et 125 millions ont été réinjectés pour la relancer. En 2021, Orange avait déjà discuté avec le patron de la banque mutualiste, Philippe Brassac, d’une fusion entre BforBank et Orange Bank.
«Le Crédit agricole, avec une alliance plus large, au-delà de la banque en ligne, aurait été un bon partenaire», nous explique Stéphane Richard. De surcroît, les boutiques Orange en région pourraient être un bon relais pour le Crédit agricole. Et c’est surtout le réseau international de l’opérateur, en Pologne, en Espagne et en Afrique, qui l’intéresse. «Orange Bank en soi n’a pas grand intérêt, mais on aime bien les partenariats qui nous permettent d’apporter nos services métiers en contrepartie d’une capacité d’approche client qu’on n’a pas», confie un dirigeant du Crédit agricole, qui cherche à rebondir dans la banque en ligne face à ses concurrents Société générale (avec Boursorama) et BNP Paribas, qui profite de l’essor de Compte Nickel. La dernière chance pour Orange Bank?
Les pertes d’Orange Bank s’accumulent depuis le lancement
- 2018 169 millions d’euros
- 2019 185 millions d’euros
- 2020 195 millions d’euros
- 2021 160 millions d’euros
- 2022* 80 millions d’euros
*Au premier semestre.