(BFI) – Compenser la préservation de la biodiversité africaine par des financements suffira-t-il à mettre fin à «l’injustice climatique» subie par l’Afrique ? Dans un contexte de crise énergétique et de tensions géopolitiques, quels scénarios crédibles les décideurs africains devraient-ils poser sur la table des négociations de la COP 27 ?
Du 7 au 18 novembre 2022, la 27e conférence des États parties à la convention-cadre sur les changements climatiques (COP-27) se tiendra à Charm el-Cheikh, en Égypte ; ce sera également l’occasion de célébrer le 30e anniversaire de cette convention adoptée lors de l’historique Sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio de Janeiro en juin 1992, sous la présidence du secrétaire général des Nations unies, l’Égyptien Boutros Boutros Ghali. Que va faire l’Afrique à présent que la transition énergétique européenne est un échec patent ?
De l’intérêt des COP
On peut se demander pourquoi certains pays africains sont si intéressés par la participation aux COP. Lors de la COP-24 à Katowice, en Pologne, la délégation de la Guinée, un pays où, selon la Banque mondiale, seuls 26 % de la population ont accès à l’électricité comptait 406 membres. Une question se pose : qui paie pour tout cela ?
Malgré ces grands festivals, ses nombreuses « conclusions » et une couverture médiatique dans l’UE jusqu’à la nausée, les émissions mondiales de CO₂ ont augmenté de 59 % depuis l’adoption de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique de 1992, alors que son but était de limiter les émissions mondiales de CO₂. Sans la pandémie de Covid, elles auraient probablement augmenté de 65 %. Dans le monde réel, lorsque les résultats sont si mauvais et si contradictoires avec le but recherché, des mesures radicales sont prises sans hésitation, soit pour abandonner l’objectif irréaliste, soit pour changer l’équipe en échec. Dans le monde de l’entreprise, tout sera mis en œuvre pour ne pas perpétuer l’insuccès devenu patent, pour abandonner la stratégie perdante. Dans le contexte du changement climatique, c’est le contraire qui se produit. Plus les émissions mondiales de CO₂ augmentent et plus, avec la complicité des médias et des ONG écologistes, ont répète les mêmes litanies, non pas année après année, mais jour après jour.
Il est vrai que depuis cette conférence appelée Sommet de la Terre, l’UE a réduit ses émissions de CO₂ de 23 %, mais à quel prix ! De plus, elle y est parvenue en externalisant ses émissions puisque sa désindustrialisation est évidente. Cette réduction des émissions de CO₂ n’a pas incité les pays non OCDE à suivre l’exemple de l’UE. Au contraire, pour eux, elles ont augmenté de 134 % ; les émissions de la Chine ont explosé de 311 %, le record de croissance étant détenu par le Vietnam qui a produit 1300 % de CO₂ en plus. L’Afrique, qui est malheureusement à la traîne dans la course au développement, n’a augmenté ses émissions de CO₂ que de 93 %. Ces chiffres démontrent que l’Afrique n’a pas les mêmes performances économiques et occupationnelles que l’Asie.
L’après-Covid et la forte demande en énergies
Les ONG environnementales affirmaient qu’il y aurait un avant et un après-Covid. Il y en a eu un, mais dans la direction opposée à leur prévision. L’après-crise a montré que les gens ne veulent pas vivre dans une décroissance non choisie. Dès la fin de l’enfermement, la population libérée a repris sa course à la qualité de vie sur ses différents aspects, c’est-à-dire la course au développement, au bien-être et même aux loisirs. La crise Covid fut un test grandeur nature du mode de vie qui nous serait imposé si nous laissions faire les adeptes de la décroissance climatique. Objectivement, une fois l’expérience terminée, tout est redevenu comme avant. C’est aussi la raison de la crise énergétique actuelle, puisque la demande en énergie a fortement augmenté dès que le monde a pu mettre fin à sa léthargie imposée. N’oublions pas que les prix de l’énergie ont augmenté dès septembre 2021, soit six mois avant la guerre en Ukraine.
L’Afrique devrait cesser de suivre le mauvais exemple du G7 et de l’EnergieWende
Pour que l’Afrique se développe, pour qu’elle sorte de l’« économie informelle », elle doit disposer d’énergie et notamment d’électricité abondante et bon marché. Il est urgent d’électrifier l’Afrique. Pour ce faire, elle doit cesser de suivre l’EnergieWende de l’Allemagne, la croyance verte de la Commission européenne, et le crédo des ONG environnementales en l’utopie des énergies renouvelables intermittentes et variables. On constate actuellement les conséquences de leur imposition au prix de subventions et de directives européennes. Si ces énergies renouvelables intermittentes et variables sont inabordables pour les pays européens, comment le seront-elles pour les pays africains ?
Bien sûr, les centrales hydroélectriques, qui ont un énorme potentiel en Afrique. Puisque leur production d’électricité peut être contrôlée en fonction de la demande d’électricité du réseau, elles devraient être beaucoup plus exploitées. D’autant plus qu’elles servent aussi à la gestion de l’eau, puisque les barrages empêchent les inondations et permettent l’irrigation régulée des terres agricoles. L’éolien et le solaire ne sont donc absolument pas des solutions pour un développement digne de ce nom en Afrique, même si dans les zones rurales, leur soutien ponctuel est, bien entendu, le bienvenu.
Le manque inacceptable d’électricité en Afrique
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), en 2019, 572 millions d’Africains n’avaient pas accès à l’électricité. Le Kenya, le Sénégal, le Rwanda, le Ghana et l’Éthiopie font de bons progrès, mais plus de 40 % des pays d’Afrique subsaharienne n’ont pas encore d’objectifs officiels en matière d’accès à l’électricité. En moyenne, à l’échelle du continent, un Africain consomme 530 kilowattheures par habitant (kWh/h). Le citoyen de l’UE a besoin de 6 100 kWh/h, soit onze fois plus. L’AIE prévoit qu’en raison de la croissance démographique, malgré l’électrification en cours, quelque 571 millions d’Africains n’auront toujours pas accès à l’électricité en 2030.
En outre, l’électricité commerciale est souvent fournie de manière aléatoire et intermittente, faute d’adéquation entre l’offre et la demande et en raison de la faiblesse du réseau électrique. Par conséquent, ceux qui ont accès à l’électricité disposent souvent, sinon toujours, de générateurs diesel en appui afin de maintenir leur approvisionnement en électricité pendant les innombrables pannes ou délestages. Ces derniers sont fréquents. Par exemple, Eskom, la compagnie d’électricité sud-africaine, est obligée de procéder à des délestages dans son propre pays afin de respecter ses obligations commerciales de livraison d’électricité à la Namibie, un pays qui ne produit pas du tout d’électricité.
Cette situation est intenable. Il est urgent que l’Afrique se dote de suffisamment de centrales électriques fonctionnant aux énergies abondantes et bon marché, c’est-à-dire en plus des centrales hydroélectriques, des centrales au charbon et au gaz naturel. D’autant plus qu’elle dispose de ces énergies dans son sous-sol. Elle devrait cesser de suivre les ONG qui veulent lui imposer les énergies renouvelables ou, pire, les ONG environnementales qui lui disent de ne pas se développer économiquement, de ne pas suivre le modèle occidental de croissance.
Les organisations religieuses, caritatives ou environnementales n’ont pas les moyens financiers d’investir dans des centrales électriques conventionnelles. Elles ne peuvent que soutenir de petits projets d’énergie renouvelable, qui méritent certainement d’être soutenus lorsqu’il s’agit d’apporter un minimum d’électricité aux zones rurales. Puisque seules ces organisations agissent, l’illusion du « petit est beau », du Vert, est erronément et malheureusement perpétuée. Mais le continent n’a pas seulement besoin de ce type de projets. Il doit investir massivement dans les énergies conventionnelles, quitte à émettre du CO₂.
L’Allemagne a besoin des combustibles fossiles africains
C’est pourquoi il faut souhaiter une prise de conscience de ces pays avant la COP-27. Pendant longtemps, les États africains ont vécu dans l’illusion du Fonds vert, un fonds promis par les pays riches lors de la COP-15 et confirmé six ans après (!) dans l’Accord de Paris en 2015 (COP-21). Aujourd’hui, ils sont déçus que les promesses ne soient pas tenues, mais surtout, ils se rendent compte que les pays donneurs de leçons ne peuvent eux-mêmes abandonner les énergies fossiles.
C’est le cas du gouvernement fédéral allemand, qui cherche désespérément de nouveaux fournisseurs de gaz naturel depuis le début de la guerre russe en Ukraine et entend obtenir une partie du gaz que le Sénégal produira bientôt. Le chancelier Olaf Scholz s’est rendu dans ce pays d’Afrique occidentale en mai dernier pour cette négociation. BP gère le projet de production de gaz en mer Greater Tortue Ahmeyim au large de la Mauritanie et du Sénégal. L’entreprise internationale estime que le premier gaz sénégalais devrait être extrait en décembre 2023 avec une production initiale de 2,5 millions de tonnes de gaz liquide par an, pour atteindre 10 millions de tonnes en 2030. BP estime que le concept de la deuxième phase de production du champ gazier sera disponible à la mi-2022. Il y aura donc bientôt du gaz sénégalais, mais doit-il aller en Allemagne compte tenu des énormes besoins du continent ?
Les Verts allemands sont opposés à l’importation de gaz africain. Ils considèrent que cela est contraire à l’Accord de Paris, qui stipulait que les pays de l’OCDE ne financeraient plus de projets d’énergies fossiles.
Plusieurs ministres italiens ont signé des accords avec l’Algérie, l’Angola et le Congo pour renforcer l’approvisionnement en gaz et ainsi réduire la part du gaz russe, l’Italie étant le deuxième pays le plus dépendant de ce gaz après l’Allemagne. La Commission européenne a annoncé, quant à elle, son intention d’importer du gaz d’Israël et d’Égypte.
Le champ gazier situé au large de Kribi, dans le sud du Cameroun, est en production depuis 2016. La totalité de sa production de 1,2 million de tonnes par an a été achetée pour les huit premières années d’exploitation par une filiale du géant gazier russe Gazprom. Que se passera-t-il en 2024 ? Lors de sa récente visite à Yaoundé, le président Emmanuel Macron n’a pas réussi à faire changer d’avis Paul Biya, le président camerounais. L’économiste Jean-Paul Pougala rapporte que l’objectif de cette visite était de convaincre le Cameroun d’évincer Gazprom au profit d’Engie.
Il faut retenir que depuis des années, contrairement à l’UE et à ses États membres, la Russie ne perd pas son temps en Afrique à parler d’énergies renouvelables, mais de combustibles fossiles. L’UE, qui se précipite maintenant en Afrique pour obtenir de l’énergie fossile, ferait bien de se souvenir de la fable de La Fontaine : il ne sert à rien de courir, il faut partir à temps. Son équivalent moderne est que les erreurs géopolitiques se paient cher et ont des effets sur de nombreuses années.
L’Afrique doit cesser d’accepter la domination des écologistes
Puisque l’UE veut importer de l’énergie fossile d’Afrique, pourquoi l’Afrique n’utiliserait-elle pas sa propre énergie ? Elle devrait aussi refuser cette nouvelle forme de colonialisme qu’est l’écocolonialisme de l’hydrogène. L’Allemagne, la Belgique et la Commission européenne veulent produire de l’hydrogène à partir d’électricité dans un continent qui en a désespérément besoin. Cette aberration éthiquement inacceptable est en plus un contresens scientifique. Il est éthiquement incorrect de s’approprier le peu d’électricité qui sera produite par des énergies renouvelables intermittentes dans le but de permettre aux Allemands de fonctionner à l’hydrogène. Mais en plus, cela est infaisable techniquement sauf à gaspiller énormément d’énergie et d’argent.
Il serait ironique qu’à la COP-27, les pays africains promettent de stabiliser, voire de réduire, leurs émissions de CO₂ tout en vendant des combustibles fossiles aux Européens. À un moment donné, le bon sens doit prévaloir. Les pays africains doivent, comme le fait l’Europe depuis un siècle, produire de l’électricité à partir de l’hydroélectricité, du charbon ou du gaz naturel disponibles sur le continent.
Les institutions internationales ne l’entendent pas ainsi…
À la suite de la crise énergétique dans l’UE, on se serait attendu à un rappel à l’ordre de la part des organes qui devraient normalement s’occuper de la prospérité de ce continent. L’histoire a montré que la prospérité est déterminée par la consommation d’énergie. Il en va de même pour l’espérance de vie à la naissance et la qualité de vie telle que mesurée par le paramètre IDH. Mais non, ce n’est pas le cas, les organisations internationales et leurs agences qui dirigent le monde continuent d’exiger que l’Afrique donne la priorité à la lutte contre le changement climatique.
Le 27 juillet à Washington, la Banque africaine de développement et le Atlantic Council ont à nouveau plaidé en ce sens. Un responsable de l’Agence américaine pour le développement international a rappelé que les États-Unis de Joe Biden s’étaient engagés à soutenir les investissements dans les énergies renouvelables. Lors de cet événement, l’ancienne secrétaire d’État française Rama Yade, qui s’est reconvertie dans le lobbying pour le développement durable, a ajouté que « se concentrer sur l’Afrique et le changement climatique est devenu primordial ». Tous ces militants internationaux ne cherchent pas à créer de la prospérité, mais à dépenser les 100 milliards par an promis à la COP-21, quel que soit le résultat.
Israël, un exemple pour l’Afrique
Bien qu’il ne soit que géographiquement proche de l’Afrique, il est intéressant de mentionner Israël, un pays à la pointe de l’innovation technologique. Partout en Israël, vous pouvez voir des panneaux solaires sur les toits de tous les bâtiments, mais ils sont utilisés pour produire de l’eau chaude, pas de l’électricité. Dans ce pays de haute technologie, la transition énergétique n’est pas une obsession. Il est vrai qu’une entreprise a tenté de développer un projet commercial de batteries échangeables pour véhicules électriques, mais il a fait rapidement faillite.
En juillet 2022, la ministre de l’Environnement, Tamar Zandberg, a recommandé de suspendre le développement de la production d’énergie éolienne dans le pays. Elle invoque la « contribution négligeable » à la production d’électricité par rapport aux graves conséquences environnementales. Reconnaître que les énergies renouvelables intermittentes et variables sont un gâchis économique et environnemental, comme le fait Israël, est une étape qui ne peut plus être ignorée, en premier lieu par les pays africains. Il est vrai que l’exploitation des champs gaziers Tamar et Léviathan dans la zone économique exclusive du pays lui offre une production d’électricité bien moins chère que celle générée par les éoliennes. C’est un bon exemple à suivre pour l’Afrique.
Vers un changement ?
Le quotidien britannique The Guardian affirme avoir vu un document technique préparé par l’Union africaine qui indique que de nombreux pays africains préparent leur position de négociation à la COP-27 en faveur de l’expansion de la production de combustibles fossiles sur le continent.
Le Guardian, mécontent, rapporte que le document indique que « à court et moyen terme, les combustibles fossiles, en particulier le gaz naturel, devront jouer un rôle crucial dans l’élargissement de l’accès à l’énergie moderne, en plus de l’accélération de l’adoption des énergies renouvelables ». Bien sûr, chaque fois que l’on parle d’énergie, il faut toujours ajouter une périphrase en faveur des énergies renouvelables. Pire, de plus en plus ils mentionnent l’hydrogène comme l’a fait le chancelier allemand au Sénégal en promettant de soutenir le développement de leurs économies de l’hydrogène.
Confrontés à l’urgence énergétique, les riches Européens sont déterminés à brûler plus de gaz. S’ils veulent signer des contrats avec des fournisseurs de gaz qui eux doivent investir pour produire plus de gaz, ceux-ci exigeront que les contrats de fourniture de gaz soient de type « long terme », c’est-à-dire un engagement d’achat pour 10 à 25 ans, selon les négociations afin de pouvoir récupérer leurs investissements. Cela signifie que les pays qui font la leçon aux autres sur la réduction des émissions de CO₂ continueront d’en émettre beaucoup pendant longtemps. Pourquoi les pays pauvres ne seraient-ils pas encouragés à faire le même choix ? Cela ressemble à une hypocrisie évidente, et il ne faut pas s’étonner si certains utilisent cet argument pour dire qu’il s’agit d’une forme de nouveau colonialisme. Il est compréhensible que Muhammadu Buhari, le président du Nigeria, pense que « nos amis européens et américains ne pratiquent pas toujours ce qu’ils prêchent. Nous leur demandons de lever le moratoire qu’ils ont imposé sur les investissements dans les combustibles fossiles en Afrique ».
Les Africains ont-ils réalisé qu’ils peuvent eux aussi bénéficier des mêmes avantages que l’Occident a tirés des combustibles fossiles au cours des 150 dernières années ? Se sont-ils rendu compte que sans les combustibles fossiles vilipendés, les Européens vivraient dans les conditions d’hygiène et de précarité sociale du 19e siècle ? Ils ne doivent pas compter sur les États-Unis ou l’UE pour leur développement. Ils doivent s’appuyer sur l’utilisation d’une énergie bon marché et abondante, à savoir le charbon et le gaz naturel, pour produire l’électricité nécessaire à la modernisation du pays. Plus tard, lorsque les petits réacteurs nucléaires SMR seront commercialement disponibles (peut-être vers 2035), l’Afrique pourra également utiliser l’énergie bon marché et abondante de l’énergie atomique.
Les Africains ont le choix. Ils peuvent suivre les conseils des ONG écologistes et des institutions internationales. Ils peuvent aussi prendre leur avenir en main en s’engageant rapidement et avec détermination dans la voie de l’électrification conventionnelle, car, comme nous l’avons vu, ils consomment onze fois moins d’électricité par habitant que les Européens.
Bien sûr, l’utilisation des combustibles fossiles est une condition nécessaire, mais non suffisante pour résoudre la pauvreté en Afrique. Cependant, il est illusoire de penser le développement du continent africain sans électricité abondante et non intermittente. L’urgence est d’électrifier le continent en tenant compte des ressources en gaz naturel, en charbon et aussi en hydroélectricité ; l’Afrique doit abandonner l’illusion des énergies renouvelables intermittentes que nous, Européens, n’avons pas réussi à développer après 49 ans d’efforts. Les Africains ont leur destin entre leurs mains.
Samuel Furfari, Professeur en géopolitique de l’énergie à l’Université Libre de Bruxelles, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB) et Président de la Société Européenne des Ingénieurs et Industriels