(BFI) – Mon parti pris est sans équivoque : le contrat de performance est un outil de trop. Bien qu’intrinsèquement utile au sens où il assure les fonctions de facilitation et de redressement, le contrat de performance entre l’Etat et les Etablissements et Entreprises Publics, annoncé dans la circulaire N° 4918/MINFI/ du 05 juillet 2022, intervient dans un contexte de réforme marqué par la présence d’un arsenal d’outils de gestion relativement complet et cohérent. Au moins trois raisons justifient notre position :
- Le contrat de performance est un doublon voire une pâle copie du budget programme déjà utilisé dans l’administration publique depuis 2013 et dans toutes les entités publiques depuis 2015. En effet, le budget programme présente des caractéristiques similaires et peut produire des résultats au-delà de ce que prévoit un contrat de performance. A défaut d’être difficilement complémentaire, cet outil présente un doublon qui contribuera à entretenir une bureaucratie consommatrice de temps, d’énergie et d’argent et freinant ainsi la réforme dans ce secteur qui a déjà de la peine à produire les résultats escomptés.
- L’expérience antérieure des contrats de performance, notamment dans le secteur public et parapublic à l’exemple des contrats plan des entreprises en réhabilitation, n’a pas été un succès retentissant pour garantir que la présente expérience sera différente.
- Le rapport infidèle à la loi pourtant plus contraignante qu’une circulaire est de nature à douter de l’exécution efficace de la circulaire. La réforme actuelle, encadrée par les lois 010 et 011/2017 du 12 juillet 2017, retient des dispositions qui ne sont pas toujours respectées. Dans ce contexte de défiance juridique, rien ne garantit le succès des contrats de performance.
- La signature du contrat de performance a la même valeur que les résolutions des conseils d’administration. Une analyse détaillée de la circulaire indique que seule la signature formelle entre les parties constitue la spécificité de l’outil proposé par rapport aux outils déjà existant. Là encore, on pourrait opposer que les résolutions du conseil d’administration des entités publiques qui autorisent l’exécution des budgets programmes est un document juridique valable. Donc, au fond, cet outil n’a pas de valeur ajoutée substantielle.
Ces différents points sont successivement détaillés dans les développements qui suivent.
- Le contrat de performance est une pâle copie du budget programme
Il est important de comparer ces deux outils pour comprendre leur ressemblance, apprécier leur dissemblance et assumer une préférence pour le budget programme.
- En ce qui concerne la ressemblance, le budget programme comme le contrat de performance est un outil de planification de moyen terme (3 à 5 ans). Tous deux s’appuient sur le plan stratégique de la structure pour prioriser les changements à produire. Les deux outils mobilisent les mêmes principes : responsabilisation des gestionnaires ; identification des résultats (en termes de changements mesurables par des indicateurs quantitatifs ou qualitatifs) ; alignement et cohérence des actions (liens de causalité entre les actions et les résultats) ; souci de performance (notamment de pertinence, d’efficacité, d’efficience, d’éthique et de durabilité) ; engagement à passer de la logique de moyens à celle d’action, puis celle d’action à celle du changement, i.e. du résultat.
- Au sujet des dissemblances, contrairement au budget programme qui est un outil de planification certes rigoureux et structuré, le contrat de performance se présente plus comme un outil de facilitation et de redressement. L’objectif du contrat de performance est de faciliter les échanges en vue d’atteindre la performance visée. On part donc de l’hypothèse que le contexte actuel des échanges entre l’Etat et les acteurs sociaux de l’entité publique n’est pas de nature à produire la performance attendue. L’enjeu est donc d’identifier dans les éléments de contexte et de relations entre les acteurs sociaux les facteurs qui empêcheraient que la performance s’obtienne. Le contrat de performance servira donc à lever les « goulots d’étranglement » afin de faciliter les échanges. En réalité, il n’est pas un contrat au sens juridique du terme, il est davantage un outil de redressement. Il est donc question d’identifier clairement le problème à résoudre, la situation à redresser (pour le cas qui nous intéresse on se réfère aux prétextes évoqués dans la circulaire et dans une certaine mesure la récente lettre du ministre d’Etat SGPR sur la GRH dans les entités publiques). Si cette intention est noble, elle se heurte malheureusement aux habitudes et pratiques qui ne faciliteront pas son épanouissement. Les expériences antérieures sont suffisamment illustratives de ce fait.
Les dissemblances relevées imposent une complémentarité des deux outils mais nous confortent davantage à l’idée de se concentrer à assurer une bonne appropriation du budget programme dont les effets vont au-delà de la logique de redressement. L’exercice engagé par les entités publiques depuis 2015 doit se poursuivre et se densifier au lieu d’être court-circuité par un nouvel outil qui va entraîner des peurs voire des résistances logiques en pareille circonstance et annihiler le peu d’efforts déjà produits.
- L’expérience mitigée de contrats de performance est un sérieux motif de doute
L’administration publique camerounaise n’est pas étrangère aux contrats de performance. Cet outil émerge pendant la grande période de crise économique (1980-2000) au sein des entreprises publiques qui ont échappé à la privatisation. Bien au-delà, c’est une habitude entretenue par la Commission de réhabilitation des entreprises (CTR) à travers les contrats plans signés avec les entreprises admises en réhabilitation. A l’évaluation, ces entreprises réhabilitées ne présentent pas toujours des performances améliorées ; ce qui autorise un directeur général d’une entreprise publique à considérer ce processus comme « un guichet de financement pour les entreprises publiques sans lien avec l’amélioration de leurs performances ». Bien que certaines expériences aient connu du succès notamment les contrats de performance dans la douane camerounaise, ils sont si rares que la généralisation de cet outil dans les entités publiques n’est pas un gage de succès.
- Le rapport infidèle à la loi est un handicap à tout projet de réforme
Bien que les sociologues nous aient appris qu’on ne change pas une société ou une culture, il nous paraît impossible de conduire un changement sans décrets ou lois. C’est donc logiquement que les lois de 2017 et le décret subséquents de 2019 ont été pris pour encadrés les changements planifiés dans la réforme envisagée. Malheureusement la CTR constate pour le déplorer dans son rapport de 2020 que plusieurs entités publiques ne se sont pas arrimées aux dispositions de ces textes. Bien plus, plusieurs incohérences managériales (dont le fait d’être PCA et tutelle en même temps) et incompatibilités (être PCA et DG) sont observées. Par ailleurs tous les outils de gestion instruits par ces textes n’ont pas été implémentés 5 ans après. Le débat sur le respect des mandats a donné lieu à de controverses juridiques entrainant un statut quo. Bien plus grave, les clauses de rendez-vous contenues dans ces textes ne semblent pas être un impératif. A titre d’exemple, il était attendu, comme l’avait annoncé la circulaire du MINFI du 9 mai 2019, que les entités subirait une évaluation triennale avec comme incidence leur re-classification en fonction de performances budgétaires. Les salaires des mandataires sociaux devaient être modifiés en conséquence. Alors que cette reclassification est attendue depuis le 9 mai 2022, aucun indice ne semble présager que cette clause sera respectée. La nouvelle focalisation est sur les nouveaux contrats de performance qui seront signés de 2022 à 2024.
- La signature du contrat de performance a la même valeur que les résolutions des conseils d’administration
Contrairement à la loi de 99 qui régissait le fonctionnement des entités publiques remplacée par les lois de 2017, les résolutions du conseil d’administration sont d’application immédiate. Il a été constaté que lors des conseils d’administration, l’un des points abordés est la mise en œuvre des résolutions. Par ailleurs, les résultats produits sont (ou devraient être) sanctionnés en cas de mauvaise performance. La signature en elle-même n’est pas suffisante pour garantir un changement notable.
Pour conclure, les dispositions de la circulaire semblent apporter une mauvaise solution à un vrai problème. En effet, pour que le contrat de performance joue effectivement son rôle de redressement, il doit adresser les questions de dysfonctionnements notamment celles du choix des dirigeants et des mandataires sociaux. Cette question indexe les pratiques dans ce domaine qui manquent de visibilités procédurales objectivités et indispensables pour une mise en œuvre efficace des contrats de performance. Dans ce contexte de faible état de droit (du fait du non-respect de la réglementation), il est à craindre que les contrats de performance institués ne soient qu’un gadget sans fondements conceptuels forts. Un outil de trop !
Pr Viviane Ondoua Biwole, professeur associé chez Yale University – ProgrammEPILAM