(BFI) – Le Président en exercice de l’Union Africaine (UA), Monsieur Macky Sall, a plaidé en faveur de la création d’une agence de notation financière africaine face aux évaluations qu’il qualifie de « parfois très arbitraires » des agences internationales.
Il est à rappeler qu’une agence de notation financière est un organisme chargé, entre autres, d’évaluer le risque de non-remboursement de la dette d’un État, d’une entreprise ou d’une collectivité locale, et jamais d’un particulier. Le processus appelé rating donne une opinion sur la capacité d’un émetteur à remplir ses obligations vis-à-vis de ses créanciers. Le processus de notation est complexe, et s’opère suivant des critères préétablis.
Au total, seules trois agences d’envergure internationale sont actuellement reconnues par la communauté financière à savoir Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings. Ces trois agences détiennent à elles seules environ 85% du marché. La pertinence des Agences de notation se justifie par un contexte international de la dette marqué par des montants levés de plus de plus en plus importants que ne peuvent plus sécuriser les garanties de type classique comme les hypothèques et les nantissements qui sont onéreuses et difficiles à mettre en œuvre. L’importance du rating réside dans le fait qu’il permet aux entités bien notées d’accéder plus facilement aux marchés financiers internationaux et de pouvoir bénéficier de bonnes conditions d’emprunt en terme notamment de taux d’intérêt.
Pourquoi le Président en exercice de l’Union Africaine a émis cette idée dans le contexte actuel ?
Sans doute pour trois raisons. En premier lieu, le niveau d’endettement des pays africains devient de plus en plus préoccupant et laisse entrevoir des difficultés prochaines en termes de notation et par ricochet d’accès aux marchés financiers. Ce risque est exacerbé par un contexte international de plus en plus difficile avec les conséquences de la guerre en Ukraine, les séquelles du covid et les tendances inflationnistes notées dans le monde.
En second lieu, il est à noter qu’en 2020, les Investissements Directs Etrangers (IDE) vers l’Afrique se sont effondrés de 30 à 40 % et les envois de fonds ont chuté de 9 %; l’Afrique représente moins de 3,5% des IDE mondiaux. En tenant compte de perspectives économiques incertaines, ces contreperformances devraient s’exacerber et le continent pense pouvoir trouver au travers de l’endettement la solution palliative.
En troisième position, il doit certainement y avoir une exaspération du côté africain face à des agences de notation de plus en plus rigoureuses dans le respect des principes et soucieuses d ‘éviter la survenance de nouvelles crises financières mondiales comme celles que le monde a connu en 2008.
Cette idée de la création d’une agence panafricaine de notation est sans doute intéressante du point de vue symbolique et procéde d’une volonté de l’Union Africaine de s’inscrire dans une posture de force de proposition. Elle devrait toutefois être appréciée avec prudence et lucidité pour trois raisons.
Tout d’abord, les principaux marchés financiers se trouvent en Occident qui dispose d’une partie importante des liquidités disponibles dans le monde. Il est vrai que la Chine et les pays arabes deviennent des acteurs stratégiques incontournables au regard de leurs positions en devises très favorables. Mais force est de constater que l’organisation des marchés internationaux reste du ressort de l’Europe et des États Unis.
Ensuite, le marché admet difficilement de nouveaux membres et est concentré autour de 3 acteurs clefs ( Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings) avec des barrières à l’entrée importantes pour tout nouvel entrant notamment en matière de réputation, de taille critique et de réglementation.
Le premier aspect, réputation, explique le succès enregistré par ces trois grandes agences de notation et la confiance que leur témoignent les investisseurs. Ce sont des entités anciennes avec plus d’une centaine d’années d’existence qui ont acquis leur crédibilité au fil du temps. Une agence de notation doit aussi présenter des garanties de compétence en matière d’analyse financière, mais aussi démontrer sa capacité à gérer ses conflits d’intérêts et à préserver son indépendance vis-à-vis des émetteurs.
En ce qui concerne le deuxième aspect relatif à la taille critique, certaines évaluations estiment que pour être viable, une agence internationale doit disposer d’une taille lui permettant d’évaluer plusieurs centaines de milliers d’émissions, ce qui demande un capital de départ important.
S’agissant des obligations réglementaires, elles portent sur l’enregistrement auprès de l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF) et de la Securities and Exchange Commission (SEC) aux Etats Unis lesquelles accordent une importance capitale à des exigences de transparence sur la méthodologie et la rotation des analystes…
Autant de barrières à l’entrée qu’une nouvelle Agence de notation pourrait difficilement franchir.
Enfin, rien ne garantit le caractère impartial et la touche professionnelle indispensable requise dans ce genre de projet en tenant compte des expériences panafricaines ratées par le passé. Le traumatisme de la mauvaise expérience de la Banque Régionale de Solidarité (BRS) est certainement dans les esprits. Créée à l’initiative de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, sur la base du modèle de la Grameen Bank au Bangladesh, la BRS avait pour vocation d’aider les pauvres grâce à des prêts sans garantie. L’expérience s’est soldée par un échec, la BRS ayant été liquidée pour des raisons liées à la sa mauvaise gouvernance et au défaut de remboursement d’une bonne partie de ses crédits par les bénéficiaires. A cela s’ajoutent les difficultés notées dans le lancement de la Société de commercialisation de l’Information d’Entreprise (SCIE) également promue sous l’égide de la Banque Centrale laquelle ambitionnait aussi de se lancer dans la notation.
Pour toutes les raisons qui précèdent, la création d’une Agence panafricaine de la notation ne me semble pas une priorité en ce moment pour l’Afrique. Les vrais enjeux se trouvent ailleurs et concernent une meilleure gestion de la politique d’endettement des pays africains avec quatre orientations majeures :
- Ne solliciter les créanciers que lorsque la capacité d’endettement le permet ;
- Utiliser les ressources de la dette dans des projets viables;
- Négocier les meilleures conditions possibles;
- Viser une bonne qualité de la dépense publique afin d’ éviter les gaspillages de ressources financières, économiser et autofinancer autant que possible les projets.
Il est nécessaire que toutes ces mesures soient encadrées par de solides politiques économiques vertueuses basées sur l’import substitution et la transformation de matières premières locales.
Magaye GAYE est économiste international et, entre autres, enseignant à l’Institut Supérieur de Gestion de Paris (ISG).