(BFI) – Les femmes au centre du redressement post-pandémique de l’Afrique Par Julienne Lusenge et Natalie Africa Chaque année, le mois de l’histoire des femmes est l’occasion de célébrer les femmes qui ont façonné notre continent africain- et de mettre en lumière les femmes africaines qui font l’histoire aujourd’hui.
L’histoire réservera une place spéciale à ces femmes dont les réponses novatrices à la pandémie ont sauvé de nombreuses vies. Des femmes comme Aminata Touré, ancienne Premier ministre du Sénégal, qui a défendu avec conviction l’équité en matière de vaccins. Dr Tlamelo Setshwaelo, qui a donné l’exemple avec des réponses efficaces à la Covid-19 en tant que membre de l’équipe médicale d’intervention rapide de l’hôpital Sir Ketumile Masire Teching au Botswana. Ou Bhelekazi Mdlalose, une infirmière médico-légale qui est devenue une « traceuse de contacts » pour la Covid-19 à Gauteng, en Afrique du Sud. Ou encore des leaders comme Jane Karuku, directrice générale et PDG de East African Breweries, qui a dirigé le Fonds National contre la Covid-19 du Kenya, une initiative du secteur privé visant à collecter des ressources pour soutenir les efforts du gouvernement dans la lutte contre la pandémie.
Cependant, alors que nous rendons hommage aux femmes qui ont marqué l’histoire de l’Afrique, nous devons nous demander si nous en faisons assez pour que d’autres puissent s’imposer en tant que dirigeantes et créatrices de l’histoire de l’Afrique de demain. Nous aimerions donc proposer quatre pistes d’action : s’engager pour refuser toutes les formes de violences faites aux femmes, donner aux femmes les moyens d’agir dans l’économie, recueillir des données plus nombreuses et de meilleure qualité pour avoir une vue d’ensemble de la vie des femmes et promouvoir les femmes aux postes de décision, dans la politique et la gouvernance.
Les femmes africaines ont souffert de manière disproportionnée de la pandémie, et les avancées économiques et sociales durement acquises ces dernières années sont en train de reculer. Dans presque tous les pays, un pourcentage plus élevé de femmes que d’hommes a perdu son emploi. Au niveau mondial, au cours des deux dernières années, les femmes ont été presque deux fois plus susceptibles de perdre leurs emplois que les hommes.
A cela, il faut ajouter que les femmes du monde et de notre continent ont aussi été victimes d’une deuxième épidémie, celle-là décrite comme silencieuse, silencieuse mais bien réelle, celle des violences domestiques. Une étude menée par ONU Femme dans 13 pays a montré que près d’une femme sur deux avait déclaré des épisodes de violence directs ou indirects depuis le début de la pandémie. A la violence économique s’est ajoutée la violence physique.
Pour continuer de faire avancer les solutions pour améliorer la vie de nos sœurs et de nos filles, nous devons poursuivre le plaidoyer afin que les Chefs d’Etat et de Gouvernement africains adoptent la Déclaration de Kinshasa du 10 juin 2021 issue de la conférence sur l’égalité des sexes en Afrique ; organisée en marge du Forum Génération Egalité. Il faut aussi que les pays qui n’ont pas encore signé la Déclaration sur la Masculinité positive puisse se joindre aux autres nations pour s’engager d’avantage dans la lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes et aux filles.
Des millions de femmes à travers l’Afrique n’ont eu d’autre choix que de puiser dans les quelques économies qu’elles possédaient ou de vendre les biens productifs qui leur restaient. Par exemple, selon le programme « Les femmes comptent » d’ONU Femmes, plus de 60 % des femmes et des hommes en Éthiopie, au Kenya, au Malawi, au Mozambique et en Afrique du Sud ont subi une perte totale ou une baisse de leurs revenus personnels en raison de la pandémie. Avec 92 % des femmes africaines travaillant dans l’économie informelle, peu d’entre elles avaient la sécurité de l’emploi ou des filets de sécurité sociale pour affronter la tempête.
Pour combler les écarts économiques et renforcer la résilience économique, il faudra veiller à ce que les mesures de relance et les régimes de protection sociale soient intentionnellement conçus pour couvrir les femmes. Les décideurs politiques peuvent s’inspirer de pays comme le Togo. Son programme Novissi a acheminé des subventions d’urgence en espèces directement aux personnes de l’économie informelle, dont 65 % étaient des femmes. Le programme a touché près de 1,4 million de Togolais, permettant ainsi à de nombreuses femmes d’investir dans leur santé et leur bien-être économique et celui de leur famille.
La pandémie a démontré à quel point nous comptons sur les femmes africaines dans nos communautés ; intervenantes en santé, bénévoles et soignantes. Et pourtant, les femmes sont terriblement sous-représentées dans les processus décisionnels et les postes de direction. Seuls 24 % des membres des 225 groupes de travail gouvernementaux sur la Covid-19 établis en Afrique et dans d’autres pays en développement étaient des femmes. Nous sommes privés des perspectives qui nous aideraient à façonner et à répondre aux besoins de la moitié de la population de notre continent.
Des avancées positives ont été enregistrées au cours des derniers mois. L’Union africaine a élu sa première femme vice-présidente et a atteint la parité hommes-femmes dans six postes de commissaires récemment créés. La Camerounaise Vera Songwe, de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, a mis en place des directives visant à faire de l’autonomisation des femmes un pilier central des plans de relance économique postpandémie de la région. Voilà le leadership dont nous avons besoin.
Concevoir efficacement des initiatives qui font la différence est un défi majeur et définir avec précision les obstacles auxquels les femmes africaines sont confrontées nous aidera à déterminer comment les surmonter. Les décideurs ont besoin de données précises, ventilées par sexe et comprenant des mesures spécifiques qui dressent un tableau complet de la santé et de la vie économique des femmes. Une initiative prometteuse a été l’enquête nationale sur l’emploi du temps menée par le Bureau kenyan des statistiques. Première en son genre, cette enquête a permis aux dirigeants d’élaborer des politiques fondées sur des données qui allouent les services et les ressources là où les femmes en ont le plus besoin.
Les femmes joueront un rôle central dans la relance des économies africaines après la Covid-19. Alors que nous construisons un avenir post-pandémique pour notre continent, nous devons mettre en œuvre des solutions politiques basées sur des données qui répondent aux défis uniques auxquels les femmes sont confrontées. Après tout, des politiques efficaces aujourd’hui permettront aux femmes et aux filles de s’épanouir demain. Elles constituent un investissement dans une nouvelle génération de femmes africaines qui entreront dans l’histoire et que nous pourrons célébrer dans les décennies à venir.
Julienne Lusenge, Cofondatrice et présidente de Solidarité des femmes pour la paix et le développement inclusifs (SOFEPADI).
Natalie Africa, Conseillère principale auprès du directeur Afrique de la Fondation Bill et Melinda Gates.