(BFI) – A 26 ans, cet ingénieur en télécommunications est le pionnier de la gestion du risque au sein d’une société de gestion d’actifs en Afrique centrale. Portrait établi par Investir au Cameroun.
Jean bleu, polo beige teinté de points noirs, sandales épaisses qui couinent au rythme de ses pas lourds, Charmant Behalal traine encore dans son bureau bien aménagé au deuxième étage de l’immeuble DHL de Bali, un quartier de Douala. Il y est seul. Nous sommes samedi, il est presque 21 heures, pourtant la journée ne semble pas terminée pour cet ingénieur de télécommunications reconverti dans l’univers de la finance.
Derrière sa bonhomie et son jeune âge se cachent de lourdes responsabilités. Cela ne se voit pas, mais la sécurité de plus 200 milliards FCFA d’actifs financiers reposent sur ses épaules, certes moins frêles qu’elles l’étaient il y a 10 ans, lorsqu’il intégrait l’école polytechnique de Yaoundé.
Ceux qui ont cédé à Harvest Asset management, son employeur, la gestion de leurs milliards ne se doutent peut-être pas que c’est un ingénieur en télécommunications qui scrute les meilleurs horizons pour leurs placements financiers. Il le fait avec l’entière confiance de Marc Kamgaing, son patron. Ce diplômé en finance et en informatique notamment de la Harvard Business School dit d’ailleurs être revenu au Cameroun pour susciter des vocations dans le domaine de la gestion d’actifs. C’est d’ailleurs lui qui donne à Charmant la chance de sa vie.
Des télécommunications à la finance
Il y a cinq ans encore, alors qu’il termine son parcours d’ingénieur, le jeune homme est très loin de s’imaginer faire une carrière dans la finance. Dans ses rêves, il se voit plutôt ingénieur chez Huawei, mais le destin va décider autrement. Son sort est scellé le 12 juillet 2016. Ce jour-là, le Cameroun adopte une loi régissant les organismes de placement collectif en valeurs mobilières au Cameroun (OPCVM). Aguiché par ce texte, le groupe marocain Attijariwafa crée Attijari Securities Central Africa (Asca), un pôle spécialisé dans la gestion d’actifs. Marc Kamgaing est débauché du Maroc pour piloter ce projet. Il recherche des profils d’ingénieurs ou d’experts en mathématiques pour constituer son équipe. « Ils sont les seuls à pouvoir délivrer certaines tâches complexes », justifie-t-il.
C’est ainsi qu’il fait un appel à candidatures. Charmant Behalal en quête d’opportunités est retenu comme plusieurs autres candidats pour un entretien. Il part de Yaoundé pour passer le test à Douala. Comme plusieurs candidats, il n’a véritablement pas de notions en finance encore moins en gestion d’actifs. D’ailleurs, même au sein de cette compagnie à l’époque, le personnel n’en savait pas plus sur le sujet. Son entretien ne se passe pas bien. Le jeune homme rentre donc à Yaoundé sans espoir.
Mais contre toute attente, une semaine plus tard, il reçoit un coup de fil. On lui demande de passer le jour d’après pour un nouvel entretien. « J’avais perdu espoir. Cet appel me laissait perplexe. Une nouvelle chance peut-être. J’ai tout arrêté pour me documenter sur l’analyse de risques en matière de gestion d’actifs. C’était nouveau tout ça. Je me souviens avoir parcouru dans le bus, un vieux magazine d’Investir au Cameroun que j’avais emprunté à un aîné. Cette revue m’a donné des informations supplémentaires sur la finance et ça m’a beaucoup aidé dans mes recherches », se souvient-il.
À Douala, les mêmes questions qu’au premier entretien sont posées et de tous les candidats, il se démarque par sa progression dans la maitrise du sujet. « J’étais surpris par le volume de travail qu’il a abattu pour cerner le sujet », se rappelle Marc Kamgaing. Charmant Behalal est le seul candidat qui a mis à jour ses connaissances. Il décroche donc ce contrat de six mois comme stagiaire au poste d’analyste risque des marchés juniors. Une tâche quand même complexe pour quelqu’un qui n’a jamais eu une formation en finance.
Six mois de challenge…
Nouveau dans l’univers de la finance, il est conscient du retard à rattraper. Il occupe ses heures de pause et ses soirées à lire sur la finance. Le défi est important, la barre est très haute, mais pas de nature à faire reculer le farouche compétiteur qu’il est.
Ce caractère de challenger s’est forgé au cours d’une enfance passée à PK 14. Dans ce quartier populaire de Douala, la plupart des garçons ont en commun la passion et le rêve d’une carrière dans le football. C’est son rêve aussi. Mais alors qu’il est en classe de 5e, sa mère lui demande de choisir entre le ballon et ses études. Il sacrifie alors sa passion pour ses études. « Je pense que je n’ai réellement pas eu le temps de profiter de mon enfance comme les autres enfants », confie-t-il. C’est d’ailleurs ces sacrifices qui lui valent son intégration à l’École polytechnique de Yaoundé après l’obtention de son bac C.
Durant ces six mois de stages, Marc Kamgaing alors directeur général adjoint, croit en lui et lui confie des dossiers importants. Pour mener à bien ces dossiers, il doit se familiariser au champ lexical de la finance. Bien plus, il faut se battre pour maîtriser des calculs complexes tels que la variation du prix d’une obligation ; il faut mesurer le risque systématique des obligations. À coup de fonctions mathématiques, il y parvient, aidé par son background de polytechnicien…
Malheureusement, en juin 2017, son contrat n’est pas renouvelé. Il a 22 ans et est un peu choqué par cette décision qui intervient alors qu’il avait déjà commencé à automatiser certaines tâches. Au cours du mois d’août, à son tour, Marc Kamgaing démissionne. Il rappelle Charmant et, avec lui, engage la structuration du projet Harvest Asset Management.
Au cœur de la naissance Harvest Asset Management
C’est dans une chambre de l’hôtel Beauséjour à Douala que les deux posent les jalons de cette société de gestion d’actifs financiers, aujourd’hui leader du secteur en Afrique centrale avec près de 60% de parts de marché. Son promoteur croit en son jeune collaborateur. Et pour ce challenge, il voit en lui la personne indiquée.
À la naissance de Harvest Asset management, il est analyste risque de marchés. Mais au cours d’une négociation avec un partenaire, une équipe de due diligence vient inspecter leur équipe de travail qui est passée de deux à cinq employés. À l’issue de cette inspection, il passe responsable risque. Il est alors le premier en Afrique centrale à occuper ce poste dans une société de marchés. Depuis, il scrute les horizons de l’entreprise pour la préparer aux incidents qui pourraient survenir. « Je suis tout le temps en alerte ; mon pôle est comme une tour de garde. Je veille et je mets tout en œuvre pour que l’entreprise soit préparée aux incidents qui pourraient survenir », explique ce grand rieur.
Défis et perspectives
Aujourd’hui, il est responsable risque et performance au sein de cette société de gestion d’actifs. En plus de veiller sur le risque, il doit déployer sa créativité pour traquer les possibilités existantes permettant d’améliorer la performance au sein de l’entreprise qui emploie aujourd’hui près d’une vingtaine de personnes. « Si le paillasson à l’entrée du bureau peut freiner la productivité des employés, je dois trouver une passe », schématise-t-il.
Il a récemment piloté avec brio, la migration de l’infrastructure de travail de son entreprise vers le cloud. À plein temps, il surveille le fonds commun de placement Atlantique performance. « Dans cet environnement, il n’y’a pas trop de challenges techniques pour celui qui a un bon background », fait-il savoir. Et d’ajouter : « la grosse difficulté est d’accéder aux données du marché financier local ».
Porté très haut dans la confiance de son patron qui lorgne une expansion de ses activités en Afrique de l’Ouest, Charmant Behalal veut aujourd’hui collecter, produire et centraliser les données financières sur le marché local afin de les rendre disponibles pour les investisseurs. « C’est ça mon ambition pour le moment », rappelle, avec beaucoup de conviction, le jeune époux et père d’une petite fille. Les yeux rivés sur son smartphone, il s’excuse un moment et jette un coup d’œil sur son ordinateur. Il a encore des cases à cocher au bureau. Nous sommes samedi, il est presque vingt-deux heures et trente minutes…